Dire que la pression sur les épaules du sextet en provenance de Southampton était forte est un euphémisme tant Creeper a réussi à conquérir la scène punk underground d'Europe en moins de trois ans avec trois EP qui nous ont montré un groupe avec un potentiel incroyable. Eternity, In Your Arms est le premier album que tout le monde attendait avec impatience, fébrile de mettre la main sur ce disque qui peut faire décoller la carrière du groupe. Spoiler alert, c'est une pépite et vous ne pouvez pas vous permettre de passer à côté.
Très souvent lors d'une interview lorsque l'on demande à un groupe quel album est le plus stressant à composer, à enregistrer et à sortir, ce n'est jamais le premier qui est cité dans la discussion. Avec Creeper, le rapport s'inverse. Après Creeper en 2014, The Callous Heart en 2015 et The Stranger en 2016, il était plus que le temps que Will Gould (chant) et ses compères passent l'épreuve du premier album.
Et alors que l'attente parmi les fans avait déjà atteint un niveau important, Creeper décide de disparaître complètement de la surface de la Terre à l'automne dernier. Messages cryptiques et avis de disparition sur les réseaux sociaux, voila qu'en plus ils jouent avec nos nerfs. Bien sûr, tout cela est fait dans le but d'annoncer l'album et d'en commencer la promotion en amont. Et puis on se rend compte que Creeper ne va pas s'arrêter là, que ces messages et ces avis de disparation vont servir à l'imagerie de l'album, des paroles et des clips tout en ramenant aux thèmes des deux précédents EPs. Et si tout cela était prévu depuis belle lurette ?
Alors c'est bien beau de faire le "buzz" sur les réseaux sociaux et de faire parler de soi sur Twitter ainsi que dans la presse spécialisée mais si derrière la musique ne suit pas, l'intérêt est plus que quelconque. Dès le lendemain de l'annonce de l'album, c'est avec "Suzanne" que Creeper dissipe toutes nos peurs. Ouf, on retrouve le groupe que l'on avait laissé quelques mois plus tôt et le résultat est probant. Ce sera d'ailleurs le cas tout au long du (très) long processus entre l'annonce début octobre et la sortie fin mars, Creeper nous proposant tout d'abord "Hiding With Boys" avant les fêtes de fin d'année et puis "Black Rain" il y a seulement quelques jours. Le choix de ces titres n'étant absolument pas anodin puisque les trois clips forment une histoire derrière le thème de l'album et nous ne pouvons que conseiller de vous diriger vers la page Youtube pour le découvrir par vous même.
Au cours des trente six minutes et onze titres de Eternity, In Your Arms, Creeper nous emmène dans un voyage qui fait du bien et qui apporte un bon gros vent de fraîcheur. Les Anglais ne réinventent absolument rien, soyons clair, en revanche ils savent jouer avec leurs influences pour en tirer le meilleur et nous proposer une musique qui colle à la peau, qui donne envie de danser, de chanter, de pleurer parfois et tout simplement de passer un bon moment. Principal artisan de cette musique, Will Gould (chant) est impressionnant tout du long en proposant un chant parfois très théâtral et parfois beaucoup plus introspectif. Morceau déjà présent sur le précédent EP, "Misery" est le parfait exemple de cela. Entre moments à la limite du parlé en passant par des envolées lyriques, on passe par toutes les émotions au sein d'un titre juste derrière une phrase mythique des Anglais, "misery never goes out of style".
Officiellement arrivée dans le groupe entre The Callous Heart et The Stranger, Hannah Greenwood (piano/chant) prend de plus en plus d'ampleur et c'est flagrant sur ce premier album. Elle est au choeur du refrain de "Black Rain", en filigrane sur "Winona Forever", en duo total avec Will Gould sur "Room 309" et prend même totalement la main sur "Crickets". Elle est seule - juste accompagnée par la guitare acoustique de Ian Miles (guitare) - à nous compter une histoire avec un.e ex, imaginaire ou réelle, qui est forcément arrivé au moins une fois à chacun de nous. Ecrite et enregistrée sur une idée de Will Gould qui voulait que Creeper teste autre chose sur l'album, il a fallu pousser la musicienne et quand on voit le résultat, on ne peut que le remercier. Il n'y a pas que sa voix qui est mise à contribution puisque le piano est l'instrument au coeur du morceau final "I Choose To Live" notamment.
Autant graphiquement, visuellement que musicalement, il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre Creeper et My Chemical Romance. Le combo américain sortait en 2006 un album qui marqua toute une génération avec The Black Parade et même si Creeper n'a pas encore la notoriété de Gerard Way et sa bande, on sent comme un rapprochement entre les deux. Il est intéressant de noter qu'une bonne partie des fans des Anglais sont des gens ayant grandi avec The Black Parade lors de la période collège/lycée, signe définitif que la musique emo n'est pas morte.
La grande force de ce premier album réside dans sa diversité, là où beaucoup de groupes vont chercher la facilité pour un premier opus, Creeper propose au public un spectre varié de styles. Il n'y a pas de moments creux et l'album ne s'essoufle pas sur sa deuxième partie. Bien au contraire puisque c'est là que l'on y retrouve les deux titres plus calmes et ambitieux que sont donc "Crickets" et "I Choose To Live" ainsi que le diamant qui s'intitule "Winona Forever".
Signés chez Roadrunner Records, les membres de Creeper ont un boulevard devant eux et il n'est pas déconnant de penser à eux quand on réfléchit aux têtes d'affiches des festivals du futur. Les Anglais viennent d'entamer leur première tournée en tant que tête d'affiche justement et ils seront de passage le 14 avril à Paris avant de venir faire un détour par le Download Festival. Ne manquez pas cela mais surtout, jetez-vous sur Eternity, In Your Arms, vous ne le regretterez pas.
Sortie le 24 mars chez Roadrunner Records.
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