"Vous connaissez sûrement le progressif / math-rock instrumental. Aussi virtuose que rébarbatif. Et puis il y a tout de même des formations qui sortent leur épingle du jeu en jouant à fond la carte de l'énergie positive. Et puis il y a Strawberry Girls, qui ajoute à cela du R'NB, de la soul et du trip-hop. Et tout de suite, c'est beaucoup plus intéressant"
Avant de s'attaquer à leur véritable troisième album, les américains de Strawberry Girls s'attaquent à un curieux projet, celui de proposer une version réenregistrée et repensée de leur premier EP Italian Ghosts, originellement sorti en 2011. Premier EP qui avait certes un son très cheap, notamment la batterie, mais pourquoi ne pas se concentrer sur de nouvelles compos ? Il faut croie que ce premier enregistrement tenait le groupe à coeur, qui a donc décidé de le réhabiliter en en proposant cette nouvelle version, ce qui est pour nous l'occasion rêvée de découvrir cette formation.
Strawberry Girls a démarré comme un groupe de prog / math-rock entièrement instrumental avant d'ouvrir sa musique à davantage de chant, quand ils pouvaient mettre la main sur un chanteur invité, la formation ne disposant pas de vocaliste attitré. Cette ouverture offre bien sûr une palette de couleurs élargie aux musiciens, qui peuvent se lancer dans des délires qui risquent bien de faire fuir les puristes et d'enchanter les mélomanes. Dans le registre du prog instrumental virtuose à l'énergie positive contagieuse (imaginez And So I watch You from Afar en plus technique, plus progressif), Strawberry Girls n'avait plus rien à prouver (son deuxième album American Graffiti place la barre très haut dans le genre). Reste que ce registre compte de très nombreuses formations en activité et que l'on est en droit d'attendre un peu plus, autre chose, un élément hétéroclite qui viendrait conférer davantage de personnalité. C'est peu dire que le message a été reçu 5/5.
Entre les titres typiques de son univers que l'on retrouvait sur la version initiale de Italian Ghosts, qui démontrent à quel point la virtuosité instrumentale peut être utilisée judicieusement (quelle patate, mes aï le groupe a placé des titres soul magnifiquement chantés, mais qui, forcément, dénotent avec le reste, pour notre plus grand bonheur. Car Strawberry Girls ne s'est pas juste amusé à placer des titres ici et là, ces nouveautés viennent prolonger la dynamique des titres qui les précèdent, et un enchaînement comme celui entre l'explosif "Vanilla Rainforest" et "Thank God", titre qui n'aurait pas dépareillé dans le rayon R'N B, est aussi incongru que réussi et jouissif. Alors oui, cela demande un peu d'ouverture d'esprit, mais pour qui n'a pas peur des mélanges (qui à priori font parte de l'ADN du prog', mais beaucoup l'oublient), c'est un régal. Surtout, l'ajout de ces éléments permet au groupe de s'éloigner d'un style usé jusqu'à la moêlle.
Car le prog' / math-rock instrumental, aussi virtuose et plein de bonne humeur soit-il, est pratiqué par de (très) nombreux artistes, en particulier de l'autre côté de l'Atlantique. Des artistes qui, forcément, ont tendance à se ressembler. Dès lors, pour les amateurs, quel bonheur de découvrir des formations qui n'ont pas peur de prendre des risques, de s'éloigner des sentiers battus, et de le faire avec talent ! Car ce Italian Ghosts version 2016 est une véritable réimagination de l'original (avec en sus des thèmes qui reviennent, comme sur le très beau et très trip-hop "Shadow of the Moon", qui confère au disque une véritable unité), ce qui en fait un terrain de jeu idéal pour l'expérimentation. Ces changements de ton ont également pour effet de nous faire apprécier davantage les envolées guitaristiques : parvenir à enchaîner une ballade soul comme "Step into the light" avec le furieux "South American sun" et ses leads de tarés, c'est très fort.
Encore une fois, il est probable que les auditeurs aux oreilles courtes passent à côté. Pour les autres, Strawberry Girls frappe un grand coup et parvient, au moins temporairement, à s'extraire de la masse de groupes pratiquant ce style aussi foisonnant que galvaudé. Ce n'est pas un mince exploit, mais il ne reste plus qu'à espérer qu'il ne s'agissait pas que d'une simple parenthèse et que le groupe va continuer sa démarche et va continuer d'innover, quitte à faire de ce mélange à priori improbable sa marque de fabrique. Trouver un style bien à soi, c'est après tout à ce prix que l'on se fait un nom, et ce devrait être l'objectif de tout artiste qui se respecte.
Sortie le 17 février 2017
