Charan Po Rantan – Rose Balkan

Parmi les instruments les moins sexy trône l'accordéon. Rien qu'à l'entendre vient de suite une odeur de cacahuètes grillées mêlée de rôtis divers, et pour mes congénères lorrains un arrière-goût de saucisse blanche et de bonne bière sur fond de musique bavaroise.
Sinon il y a aussi quelques héros de l'accordéon chez ECM, pour qui veut s'y frotter...

Heureusement les japonais(es) osent tout. Jusqu'à s'emparer du piano du pauvre pour lui dérider le soufflet tout en gardant son impact festoyant. Le résultat est détonant à tout point de vue.
Encore une fois on s'aperçoit qu'entre l'Europe et le Japon c'est un amour voire une admiration réciproque.

Mais revenons à notre première phrase, parce que le mot sexy n'était pas innocent. Charan Po Rantan a un sacré capital en la matière, non seulement de par la beauté naturelle et stylistique des deux sœurs, mais surtout grâce à l'érotisme qui habite leurs voix. Chaque tremolo vous fera tressaillir dans cette atmosphère de cotillons jaillissants de fusils recyclés.

Imaginez le contexte : mettez Kusturica, Beirut dans une bonbonnière. Paris dans une bouteille de vodka secouée sur un rythme Klezmer envoyée à la mer depuis le cap Nosappu. Faîtes tourner et mettez la main dedans. Il y aura de tout, de l'acidulé, de la douceur, du chewing-gum, les bonbons qui vous explosent dans la bouche, des confettis et de la peinture partout. Les fous du cabaret sont sortis dans la rue !

Rose Balkan, Charan Po Rantan

Vous pourriez même inviter Tom Waits à la fête, il faut toujours une tête d'enterrement pour saler le tout avec un petit « Cemetary Polka ». Mais au moment où le Cancan Balkan entamera « Hava Nagila », il n'aura plus le contrôle de ses pieds et devra se résoudre à sourire.

Dans ce tour du monde où la planète ressemble à un carrousel, Charan Po Rantan réussit à concentrer toute la force autour du duo et donc de la sororité. C'est un talent certain que de ne pas s'éparpiller au milieu de ces fanfares caramélisées, contenir cette explosion et la laisser s'échapper quand il le faut dans une frénésie qui évite le cartoonesque.

Trouver une synthèse efficace n'est jamais chose aisée, alors ne parlons pas d'identité. Nos japonaises semblent avoir un don pour l'image et l'identification. L'accessoire est le must, aussi Momo chante avec son cochon en peluche (venant d'un lorrain ça pourrait paraître douteux n'est-il pas ?). Ultra kawaï certes ! N'empêche, contrairement à une partie de ce qui est importé, les sœurs n'ont pas eu une lubie en cherchant un segment de marché. Koharu a accumulé les prix depuis sa plus tendre enfance jusqu'aux plus prestigieux d'entre eux en la matière.

Tout ce brassage n'est surtout pas un hommage, car c'est avant tout un disque de chansons variées, aux refrains hyper entraînants et rythmes à faire pleurer le bitume. C'est un album d'appropriation, de clin d'oeils, qui reste (hormis l'évidence de la langue) ancré dans son pays natal. Les deux soeurs s'amusent, mais ne se jouent de personne. Leur vision est, tout comme son résultat, aussi complexe qu'authentique et spontanée.

Cet album est un hymne à l'amour jovial, celle d'un instrument, d'un esprit, du voyage, de lettres traduites et réécrites, empruntées. Un amour et une admiration sans frontière, salvateur et ô combien thérapeutique. Depuis quelques semaines, il égaie chacun de mes réveils.

Reste à les voir en live, pour vivre et ressentir ensemble cette atmosphère que Rose Balkan restitue admirablement. Parce qu'au final, son plus grand tour de force est qu'à son écoute on n'a jamais l'impression d'être seul.

Sortie le 22 avril chez Specific Recordings qui a pensé à tout pour nous faire plaisir avec cette magnifique édition vinyle rose, avec cd et code de téléchargement. Rose Balkan, qui compile des titres de deux précédents albums, sera partout avec vous.

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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