Th Da Freak – The Freak

Howlin' Banana Records a mis la main sur le premier long format de Th Da Freak, compositeur solitaire néanmoins issu du collectif Flippin' Freaks. Si The Freak est, selon les aveux de son créateur au site Gonzai, moins un véritable album qu'un assemblage de titres épars, dont la plupart tourne depuis quelques temps déjà sur l'internet, le label indie lui conférera, le 12 mai prochain, une existence solide plus officielle que les impressions de CD fait-maison déjà réalisées, via le format joliment désuet de la K7 des familles.

Si l'emballage du projet met donc l'accent sur la décennie 90 en tant qu'influence ultime, tant dans la démarche d'enregistrer une cassette et de nous la tendre en disant, « tiens, je t'ai fait une compil », que dans l'esthétique des clips bricolés, les sons, les cheveux et les combats de pogs en concert (ce qui devrait d'ailleurs sérieusement lui coller à la peau : on n'a pas lu un seul article à propos de Th Da Freak sans que le mot pog n'apparaisse, et nous ne ferons donc pas exception), en fouillant un peu plus profondément, on découvre çà et là quelques vestiges d'autres périodes florissantes. L'aspect pop sixties de la composition prend par exemple plus de place que sur les précédents EPs, eux plutôt orientés grunge. Quant aux penchants expérimentaux, ils peuvent aussi bien être rapprochés de quelques bizarreries des années 70 que de facéties plus récentes, comme celles que Ty Segall, par exemple, a pu commettre dans ses récents albums, en bidouillant la stéréo et en appuyant sur un peu tous les boutons de la console pendant le mix. Cette diversité donne à l'album un petit air d'avant-garde intemporelle pas piqué des hannetons.

Le son nous semble être une donnée primordiale de la qualité de l'album. Pour couper court à tout suspense : The Freak n'a pas été produit par Steve Albini. Et c'est cher bien. On est clairement dans de l'anti-studio, dans de l'anti-mastering aux hormones ; on préfère développer une esthétique du bancal, du joliment crado parfaitement convaincante. Les instruments craquent, comme bouffés par les mites, les guitares vacillent, instables, rendent les sensations d'une fin de vie sereine au bord de la piscine, et le mix regorge de bonnes idées, d'effets distillés dans de parfaites proportions (écouter "No Body Keen", où le crescendo du premier couplet vers le refrain prend une ampleur terrible avec trois fois rien), exploités avec justesse, sans aucun abus. Evidemment, comme toujours lorsqu'il y a prise de risques, on admet que quelques choix sont moins heureux, comme les batteries un peu écrasées de "Morphing" et de "Electrocution", mais qu'importe, ce sont les stigmates des braves.

L'autre qualité caractéristique de The Freak est la propension de son auteur à partir dans tous les sens : on ressent constamment l'intransigeante liberté propre aux projets solitaires, apte à nous surprendre à tout moment sans que l'on puisse dire que le rendu final manque de cohérence. La palette des genres visités est assez large : si l'on est globalement plutôt sur des formats pop, mid-tempo raisonnablement dynamiques aux mélodies soignées, mais des titres comme "Electrocution" viennent un peu nous botter le cul, de temps en temps, à coups de riffs grungy tranchants. Le chant, quant à lui, reste plutôt stoïque, contrastant parfois avec la vivacité de l'instrumental ("The Coppery Light", ainsi parfaitement nineties), ou collant avec l'esprit aérien d'une balade gentiment psyché. Les chœurs sont travaillés, prennent souvent une place importante dans les refrains où ils s'entremêlent au lead, jusqu'à ce qu'on ne sache plus qui est quoi.

D'autres titres sont plus difficiles à cerner : avec "Imogen Poots" et sa structure floue, on ne sait pas trop où on va ; ça peut être agréable, en un sens – le lâcher-prise, tout ça. Et puis, si l'on a pu résister tout au long de l'album, à mesurer l'influence de tel artiste sur tel morceau (on en a bien deux ou trois par titre, tous différents), on ne peut lutter éternellement : il faut dire que "Juggling The Pot" pourrait figurer sur le premier album de Beck, avec sa voix robotique, agressive... Ca reste au fond l'analogie la plus cohérente, si l'on compare les démarches globales du Th de The Freak, et du Beck tôtif : un attrait pour la mélodie simple qui reste dans la tête, nageant dans un océan d'effets bizarroïdes passant sournoisement pour parfaitement naturels.

Le premier album de Th Da Freak est donc une belle réussite indie, une cassette pour freaks, par d'autres freaks. Ce genre d'œuvres, où la production occupe une place prépondérante, peut opposer une certaine résistance à leur revisite sur scène, mais ici, la qualité de la composition devrait pouvoir faire le taf. De toute façon, Thoineau (on l'appelle par son prénom et tout) serait déjà tourné vers l'avenir, et préparerait un nouvel album, avec cette fois-ci, l'entrée en studio de son groupe de scène.

Sortie le 12 mai chez Howlin' Banana Records

th da freak, the freak, slugs, rock indie, howlin banana records, 2017

Crédits Photo : capture d’écran du clip de Slugs, Lodois

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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