"Demarco aurait-il enfin inscrit une fausse note sur sa discographie ?"
Deux ans, ce n’est pas grand-chose, mais avec le débit d’un Mac DeMarco, cela peut sembler une éternité ; mais enfin le voici, le véritable successeur de Salad Days. Et on l’aura attendu avec une petite appréhension. Les premiers singles sortis un peu plus tôt n’avaient rien de honteux mais ne laissait pas non plus présager du meilleur. DeMarco aurait-il enfin inscrit une fausse note sur sa discographie ?
A ceci j’aimerais répondre choisis ton camp camarade, car l’ami Mac continue sur sa lancée de crooner dépressif et neurasthénique dont les fantômes hantaient déjà certains titres de son dernier ep, Another One. Pas de franche rigolade en vue, pas de délire cartoonesque, et le psychédélisme restera définitivement sobre. Non, non, cette fois le canadien a décidé de la jouer serious business en signant un album qu’on devine plus folk et introspectif. Et ma foi ; pourquoi pas ? Il est souvent nécessaire à un artiste de changer un peu son fusil d’épaule afin de se renouveler et d’enrichir son travail, et puis Demarco n’est pas manchot lorsqu’il s’agit d’écrire de bonnes chansons. Oui, mais là, ce n’est pas le cas. Le chanteur n’a jamais été un grand musicien mais avait toujours su effacé ses lacunes à l’aide d’un don inné pour trouver des lignes mélodiques toutes plus accrocheuses les unes que les autres. Pas cette fois. Non, cette fois, on reste dans des accords un peu jazzy qui tentent de contourner l’évidence dans leur enchaînement mais semblent désespérément perdus, ne sachant pas trop où aller, et finissent par tourner en rond avec nous.
Alors on s’ennuie poliment, on se laisse bercer dans un cocon sympathique mais creux, on ne s’amuse plus avec ses synthés, et petit à petit, on se dit qu’on est en train d’écouter un regroupement des b-sides, effectivement trop lisses ; et là ou DeMarco était un ado attardé rigolo ou bien un romantique cartoonesque, on le retrouve maintenant en cafardeux lounge à la gueule de bois. Nous nous retrouvons bien seul dans ces méandres dont on ne détient pas la clef de lecture, et c’est souvent le chou blanc. Inexorablement la fin du disque approche, et on se demande ce qu’il a bien pu se passer. Et puis on se met à réfléchir à la vie de notre héros, pourquoi, lui, le clown indie, qui avait toujours su éviter le pathos à coups d’ironie absurde nous gratifie d’un tel album ?
Et puis on tombe sur « Moonlight On The River » et on commence à comprendre, enfin. Si Another One s’inspirait en partie de la relation qu’entretient DeMarco depuis des années avec sa petite amie Kiera et parlait donc quasi exclusivement de relations amoureuses, This Old Dog est clairement inspiré par la mort, le vieillissement et le sentiment de perte. Deux ans, ça permet aussi de remettre certaines choses en perspective, notamment une carrière qui va trop vite, et puis aussi le rapport à sa propre famille, et surtout dans le cas de This Old Dog le rapport au père. Il faut savoir que le père de DeMarco, alcoolique et drogué notoire, a bien vite quitté le domicile sans jamais donner de nouvelles à son fils qui clairement ne semblait pas trop compter pour lui. Et c’est en vieillissant et en regardant dans le miroir que le fils commence à voir un reflet qui ne lui plaît pas forcément. Ressembler à ses parents et les voir disparaître, nous y sommes tous confrontés un jour ou l’autre. Et c’est de ça que parle l’album. Pas étonnant que la joie et l’ubuesque soient mis de cotés.
Qu’on ne s’y trompe pas, si la démarche paraît maintenant louable, lourde de sens et foncièrement artistique, jusque là, pour du Mac DeMarco, ça reste faible. Mais voilà, « Moonlight On The River », ses sept minutes explosant enfin la durée moyenne d’une chanson du Mac, son ambience mi planante mi "badante", et son final déchiré à coup de guitare en forme de lamentations rageuses. Il se passe définitivement quelque chose, enfin on est saisi, bousculé, intrigué, touché. Et alors qu’on pensait en avoir fini, qu’on était déjà content de ce sursaut créatif qui aurait pu se contenter d’être une belle note finale nous redonnant pleinement confiance dans le potentiel du musicien, DeMarco nous achève avec sa chanson la plus poignante, la plus nue, et presque la plus simple, « Watching Him Fade Away ». En moins de trois minutes, on se prend la vérité en pleine face, une rasade douce-amère que nous n’avions pas du tout vu venir. Malgré tout, le clown aura quand même fini par nous faire pleurer.
Sorti le 5 mai chez Captured Tracks