Qu'Ulver surprenne n'est plus une surprise. Être habitués à ne pas savoir quoi attendre ne signifie pas que l'impression sera banale. Et pour cause...
Après tout, comment aurions-nous pu douter un instant d'eux ? La pertinence de chaque sortie, leurs différences et au final leur complémentarité fait que chaque nouvel album se réfléchit en tant que pièce de l'entité discographique.
De ce point de vue, The Assassination of Julius Caesar n'est plus seulement un excellent album. Il devient une nécessité, apparaissant comme la clé de voûte d'un processus. En composant ce disque qu'on pourrait qualifier d'album pop, Ulver habille sa complexité thématique en menant une jusqu'au bout son esthétique.
Le point de cohérence ultime est atteint par le fait que s'il peut se réfléchir, il peut surtout défiler sans qu'on le sente passer, armé d'une immédiateté imparable. Bien sûr, s'ils s'essaient au catchy, c'est sans oublier leur origine lycanthrope. Il n'est de meilleur chasseur que celui qui ressemble à sa proie.
Rien que l'irrésistible refrain de "Rolling Stone" est tubesque et... sexy, sorti d'un dancefloor 80's gothique : « Pauvre petite sœur j'espère que tu as compris ? L'enfant dans les bois sera emporté par un loup ». Le chaperon rouge crève dans la grande danse nihiliste du monde. Même les prédateurs ne sont qu'en sursis. Une perversité froide lie ce texte à la musique. Un trait de génie résidant dans l'intelligence artistique qui a marqué leur carrière hors norme. Cette-fois elle se libère d'une nouvelle manière, sans aucun complexe. Ulver a tout osé mais n'a enfin plus peur de rien, pas même de sortir un titre dont on pourrait espérer un radio edit pour qu'il traverse les impénétrables et sclérosées ondes grand public.
Un flot d'images remonte soudainement, et on ne peut qu'être tenté de citer des titres comme "Never Change" de John Lord Fonda. Habitée par la sainte trinité Dave Gahan, Roland Orzabal et Mark Hollis, la voix de Kristoffer Rygg installe une mélancolie traînante et lucide. "So falls the world" incitera fortement à ressortir Souvenirs de The Gathering pour replonger dans cet incroyable duo avec Anneke Van Giersbergen sur "A life all mine". Mais il faudra aussi évoquer Soulsavers pour vous encourager à voir large, et on pourrait encore tirer sur le champ de vision en vous invitant à vous évader chez Brendan Perry. Les textures évasées amènent vers des refrains quasi cérémonieux ("Transverberation", "1969"), tissés de participations vertueuses : Stian Westerhus, Anders Møller, Daniel O’Sullivan, Nick Turner...
Arrive le moment où il faut lire ce disque. C'est peut-être ce fameux second niveau qui éclaire le premier d'une nouvelle lumière. Bien sûr les loups sont des adeptes des albums à thème. Celui-ci propose une mise en perspective de figures historiques, toutes reliées par un fil que seule la musique démêlera.
L'événement reste le point névralgique : la mort de Lady Di, l'incendie de Rome par Nero, tentative d'assassinat de Jean-Paul II, St Thérèse d'Avila, de Lisieux... Comme ces petits pics de l'Histoire causant les grands revirements, accrochant la lecture d'une frise comme un refrain. La fiction n'est pas écartée. Citer Rosemary's Baby pour peindre musicalement un pan de l'année 1969 rappelle que l'art traduit souvent son époque, voire la fait. Comme le réussit Ulver, notamment en s'en tenant à une vision esthétique stable, explorant une vision dark wave dans tous ses possibles après un passage à froid.
The Assassination of Julius Caesar ne tue pas le père, il ressuscite même l'esprit habitant Talk Talk lors de son revirement magistral. Les nuits polaires sont sûrement un observatoire de choix pour relier une telle constellation.
Hasard ou coïncidence ? C'est un choix de l'esprit. Cette année sortait le très attendu (à tort ou à raison) nouvel album de Depeche Mode. Le parallèle n'a rien de cynique. Ulver fait ici ce que Violator avait réussi : transfigurer l'héritage, perpétuer en commémorant, et réussir son propre syncrétisme.
L'album a été produit et enregistré par Ulver, mixé par Martin « Youth » Glover.
Sorti le 7 avril chez House Of Mythology