The Black Lips – Satan’s Graffiti or God’s Art?

Trois ans après Underneath the Rainbow, les Black Lips reviennent pour présenter leur nouvel album, Satan's Gaffiti or God's Art?, fruit du travail accompli dans le studio de Sean Lennon, au nord de l'état de New York. Comme son titre interrogatif le prophétise lucidement, on ne sait trop comment approcher cette huitième ligne dans la discographie des Américains, autant apte à s'en aller tripoter les nuages sur certains coups d'éclat, qu'à se contenter de planer paresseusement au niveau des pissenlits le reste du temps.

On est donc, tout au long des 55 minutes qui composent Satan's Graffiti or God's Art?, tiraillé entre les abysses et les cieux, entre enthousiasme frénétique et ennui mortel. Alors même que tous les matériaux sont là pour façonner un album au moins honorable, le groupe fait une série de choix regrettables, qui lui sont autant de balles tirées dans le pied. Le départ en est symptomatique : alors que "Occidental Front" semble présenter toutes les qualités du morceau d'ouverture efficace – une chevauchée terrible, des musiciens tendus sur les étriers et balançant leur thème guerrier comme s'ils jouaient leur vie -, on lui préfère "Ouverture Sunday Morning", introduction molle tout à fait dispensable, anesthésiant, plutôt que de les mettre en valeur, les qualités de "Occidental Front" ainsi relégué en seconde position. Ce type d'ajouts se fait beaucoup ces temps-ci. Qu'ils soient tentatives, un peu gauche, de narrativisation de l'album, ou petites récréations anodines, il est de bon ton de leur consacrer une piste entière. Ici "Interlude Bongo's Baby", qui parvient à être énervant en une poignée de secondes, prend pour tous les autres, nous prouve que cette mode n'a que trop duré, et qu'il faut cesser, maintenant.

Le fait est que dans ce cas précis, toutes ces facéties allongent inutilement un album souffrant déjà de trop nombreuses longueurs. "Wayne", en position centrale, cristallise toutes ses frustrations, et nous paraît interminable : quatre minutes, injustifiées au vu de la structure plate comme la Belgique qu'elle présente, les mêmes schémas tournant en boucle sans variation d'intensité sensible. Ce titre donne le ton à toute la seconde moitié, qui patauge, s'enfonce sans espoir de remontée.

On se demande au final si cette gloutonnerie ne compense pas, tout simplement, un manque d'inspiration voire, psychologie de comptoir, un problème d'identité. Il n'y aurait là rien de très étonnant : les changements de personnel perturbent forcément un groupe, et pour cet album, le batteur Joe Bradley, membre fondateur, a été remplacé par Oakley Munson. Une saxophoniste, Zumi Rosow, s'est également greffée à l'équipe ; un certain temps est nécessaire pour trouver les automatismes, développer le collectif, tout en gérant les guest-stars Saul Adamczewski (Fat White Family) et Yoko Ono, pour enfin répondre à la question philosophique : à présent, sommes-nous les mêmes, ou sommes-nous autres ? Le titre "Crystal Night" peut laisser entendre que la réponse n'a pas encore été trouvée : doux, globalement plutôt agréable et réussi, mais que les Black Lips, inexplicablement, ont tenu à saborder. Comme s'ils n'assumaient pas d'écrire une balade, d'y coller des paroles franchement niaises « we never said goodbye, and now I cry », ils passent les chœurs à travers quelques effets leur donnant des voix d'écureuils de dessin animé, un peu l'équivalent, dans le son, des filtres snapchat avec les oreilles de chien. Une manière de dédramatiser, de prendre de la distance par le second degré, mais qui par ricochet empêche l'auditeur de prendre la chanson au sérieux – un interlude de plus.

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Et puis, entre toutes les pièces de cette collection de maladresses, il y a les tubes, tout de même, comme le groupe a toujours su en composer : on a évoqué plus haut "Occidental Front", citons à présent "Can't Hold On", sa mélancolie des terres brûlées, avec ses cuivres et saxophone joyeux en dépit de tout ; "Squatting In Heaven", un genre de Dr Feelgood spatial ; "Rebel Intuition", parfaitement dynamique avec ses chœurs tout frais ; ou encore "Interlude Got Me Alone", un morceau à part entière celui-là, genre de blues malsain proto-Fun House rappelant un peu "Stone Cold", sur le premier album du groupe. Autant de titres qui prouvent que les musiciens n'ont pas perdu la main : les abysses et les cieux, donc.

S'il est une étape en revanche, qui échappe à ce constat des extrêmes, c'est celle de la production : ni géniale ni catastrophique, passable tout du long. Entre les collaborations avec la Fat White Family, la prise en main de l'album des Moonlandingz, et son Claypool and Lennon Delirium, Sean Lennon est incontestablement en train de devenir un producteur important, du genre de ceux qui définissent le son d'une époque, que les groupes s'arrachent, que les concurrents copient, que les nouveaux ringards implorent, pour retrouver leur hype d'antan : on ne serait pas étonnés que les Arctic Monkeys essaient de bosser avec lui d'ici un à deux ans (et ce serait vraiment super qu'il refuse). Ici toutefois, point de coup de génie, le résultat est simplement moyen. On pourrait donc se dire que le moment n'est pas opportun pour le couronner de lauriers, mais précisément, ces instants sont révélateurs : en l'absence de fulgurances inspirées, l'artiste est mis à nu ; cet album offre donc une vue privilégiée sur ce qui est l'essence du style de Sean Lennon, son esthétique brouillon-raffinée, son affection pour les gémissements primaires et les cuivres/saxophones quasi-free-jazz, entrelacés en chorus, ses guitares acides et décadentes en fond de mix, ses sons improbables de flûtes et gadgets divers...

Ainsi, malgré quelques excellents titres, Satan's Graffiti or God's Art? ne devrait pas faire date dans l'histoire des Black Lips. Toutefois, on concèdera que l'idée de créer un album de 18 titres, d'une durée de 55 minutes, surtout dans le registre qu'ils explorent, est un défi audacieux, voire un pari complètement idiot ; mais la prise de risque, qu'elle soit soldée d'échec ou de réussite, se doit d'être toujours saluée. Reste à savoir si cet incident annonce un enterrement, ou une résurrection.

Sortie le 5 mai chez Vice Records

Crédits Photo : Ben Rayner

NOTE DE L'AUTEUR : 5 / 10



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