C'est dans un salon chaleureux que le chanteur et second guitariste d'Anathema nous accueillent. Profitant d'un moment de répit pour téléphoner à sa compagne à notre arrivée, les quelques minutes de retard seront comblées par une sincérité et un véritable échange avec Vincent Cavanagh. La présence de Lydia, manageuse de la page Facebook francophone officielle de la bande nous permettra d'être un des seul (si ce n'est l'unique) média à pouvoir le prendre en photo ce jour-là.
Bonjour Vincent, et merci d’accorder cet entretien à La Grosse Radio.
Vincent : C’est vraiment sincère ? (rires)
C’est officiel, The Optimist est achevé et prêt à sortir. Comment va le groupe Anathema ?
C’est une excellente question… Moi, je vais bien actuellement ! Je me sens même « léger » (rires). Les enregistrements ont pris beaucoup de temps, mais tout est terminé. Lorsque le groupe s’est réuni, on se sentait tous bien, on savait qu’on avait fait un travail complet. C’est un grand soulagement pour tout le monde. On a fait notre métier. Je pense que c’est probablement voulu que nous ne changions pas grand-chose à notre album : nous avons une track-list, une production de qualité, et on le fait quand bon nous semble. C’est peut-être mieux d’avoir fait les enregistrements comme nous les avons faits (en live, NDLR). Je suis généralement très critique à propos de tout. Et là, ça a été vraiment parfait, j’en suis très fier. Maintenant, tout le monde a hâte de le jouer en concert. De plus, nous avons le package qui est prêt à sortir. Il contient un artbook d’une quarantaine de pages qui permettent de mieux intégrer l'atmosphère, les lieux et des scènes réelles et sociologiques, qui expliquent ce qui se passe. Nous avons des images et des chansons. Oui, c'est comme si, simplement à partir de la musique, une histoire physique se mettait en place. Et on attends aussi avec impatience les réactions des gens, le plaisir qu'ils auront de le découvrir, ce que ça va réveiller en eux. Il est important que dans un groupe comme nous, on reste régulièrement ensemble. On fait des célébrations avec la bande. C’est une deuxième famille. En fait, c’est une grande famille. Daniel Cardoso est comme un frère pour nous. Et cette relation est un facteur important pour relier le groupe ensemble. Donc voilà comment on se sent en ce moment. Je vais bien, je me sens prêt à faire des concerts. Tout le monde va bien, a trouvé sa place et s’y sent à l’aise.
Vous avez déjà présenté quelques titres de ce nouvel album au public européen en novembre dernier. Comment l’idée vous est venue de jouer des morceaux inédits du prochain album sur scène ?
Vincent : Je crois bien que c’est surtout Danny (Daniel Cavanagh, guitariste/compositeur) qui a poussé pour qu’on le fasse ! Et pour se faire, nous nous étions quand même bien préparés. En rapidité certes. Le projet consistait également à le faire simplement, dans de petites salles, pas de promo, pas d’embêtement. Et c'était une bonne idée. Nous l'avons fait parce que la musique évolue. "The Optimist", par exemple, a effectivement changé en la jouant devant un public. "Springfield", "Can’t Let Go"... C’était une vraie aide pour nous de les jouer de cette manière. Il faut savoir que tout est très utile. Et c’était aussi très spécial.
Avez-vous eu des retours des fans sur cette tournée par rapport aux morceaux, ou vous êtes-vous juste basé sur les visages, les réactions en live ?
Je ne pense pas qu’on ait vraiment beaucoup regardé sur le net. J’ai Twitter, mais je n’ai pas Facebook… Pas de cette manière là en tout cas. Je n’ai rien vu sur Twitter. On a parlé avec quelques personnes après, oui. Et on a eu des réactions comme celle de Lydia (Anathema France). Ils ont fait des commentaires très positifs, ce qui est très encourageant pour nous. Mais tu sais, l’album n’était qu’à mi-chemin. Danny profitait d'un moment de répit de temps en temps pour finir les compositions dans le tourbus, entre deux siestes. Cela reste petit pour travailler. Mais c’est la façon de le transmettre, avec sincérité, devant les spectateurs, qui a compté. On a l’impression d'en faire plus. On a obtenu quelque chose avec cette musique, "The Optimist", comme un "Ok, c’est validé !" par l’audience.
Nous étions à Caen, au Big Band Café, le 12 novembre 2016. Je me souviens du silence dans la salle lors des premières notes de "Springfield". Qu’est-ce que cela fait d'avoir une salle entière qui écoute la musique, qui est concentrée comme dans son salon sur son canapé ?
C’est là qu’on comprend qu’on a vraiment des fans de musique, de notre musique. On ressent l’intégrité d’un véritable fan de musique. Ils anticipent même ce que vous allez faire alors qu’ils n’ont jamais entendu cette chanson ! En quelque sorte, ils se disent : "Ok, c’est la première fois qu’ils jouent cette musique, je vais focaliser mon attention dessus et essayer d’en capter l’atmosphère". Puis la musique se termine et on entend "Wouhou !" ou "Shit !" . Mais oui, c’est cool. Parce que c'est quelque chose de vraiment génial que vous avez compris, que vous savez alors que les gens, eux, ne le savent pas. Je pense probablement savoir quand nous commencerons à jouer "Springfield", et les gens aussi, puisqu’ils peuvent le reconnaître. . C’était vraiment une superbe soirée au Big Band Café !
C'est vrai ! Concernant The Optimist, je ne vais pas entrer dans les détails pour ne pas gâcher la surprise aux fans, mais je le trouve exceptionnel : plus mélodique, plus instrumental, plus mélancolique. Il existe des regrets pour cet opus, ou vous y avez mis tout ce que vous désiriez ?
Je ne pense pas que la perfection existe vraiment. Cela peut être plus subjectif parce qu’on y trouve la patte de plusieurs membres de la bande. Je pense que moi-même, Danny, et John (Douglas, batteur) avons fait un travail du début à la fin dont nous sommes heureux. Et cela n’a pas toujours été le cas ! Si vous poursuivez la perfection, vous n'aurez jamais fini l’enregistrement (rires). Croyez-moi, il a fallu beaucoup de temps pour terminer cet album. Je suis heureux, et nous sommes heureux autant qu’on peut l’être grâce à ce sentiment d’avoir fini les choses complètement.
Pourquoi avoir remplacé le nom de certains titres joués lors de la tournée ? (par exemple "Gotyou to" est devenu "Leaving It Behind").
Tout simplement parce que ce n’était pas des titres définitifs, mais des titres de travail. C’est un travail à part, parfois drôle. Cela fait partit du processus d’enregistrement.
"San Franciso" est une pure merveille, un morceau 100% instrumental. Vous vous êtes juste fait plaisir sur cette composition ou tout était calculé ? D’ailleurs, pourquoi ce nom "San Francisco" ?
C’est une vision des choses. Une manière dont on pourrait conduire dans San Francisco. Cela pourrait se faire sur le pont du Golden Gate, il y aurait les premières lueurs sous la pluie… C'est sympa ! Il y aurait cette atmosphère dans une ville en pleine nuit noire… Cela fait partie de ce personnage, de cette histoire que raconte l’album. Donc oui, c’est une manière de voir les choses. Il a failli y avoir une voix encodée dessus, mais… On s’est dit qu’on n’en avait finalement pas besoin. C’est vrai que c’est la meilleure musique instrumentale qu’on ait faite, ouais !
L’album se termine avec "Back to the Start", qui dure plus de dix minutes. Vous n’avez pas regardé le temps, juste composé et enregistré ?
Si tu ne peux pas le faire, tu ne le fais pas : si on écoute bien, ce morceau dure en fait six minutes, puisqu’il y a quatre ou cinq minutes de silence jusqu’à la fin. Donc techniquement, on n’a pas fait un morceau de dix minutes, mais plutôt un titre de six ou sept minutes au plus.
Pourquoi ne pas l’avoir fait plus court alors ?
On ne voulait pas le couper en deux, ce n’était pas dans notre intention, dès le début. Ce silence a un sens, c’est comme… une pensée cachée.
The Optimist n’est pas une suite de A Fine Day to Exit. Pourtant, cet album de 2001 sert de « substitut » ? Comment vous en êtes-vous inspiré 15 ans après sa sortie ?
Non, ce n’est pas une suite. C’est l’histoire qui reprend, différemment. Hum… Oui, c’est une histoire. Elle est liée à A Fine Day To Exit… La plage était le dernier endroit de « l’optimiste ». Cela correspond à un ensemble de coordonnées dans un autre ensemble. Dans la première piste de The Optimist, on entend cette relation. Ainsi, l'album s'ouvre avec cette possibilité de se mettre à sa place. Ce n'est pas une chanson, c'est un paysage sonore environnemental : vous commencez sur la plage, avec le gars, vous entendez ses pas dans le sable, puis il monte dans sa voiture. Il allume la radio et puis, peu après, le beat commence, et l’histoire avec.
Tu as dit lors d’une interview il y a deux ans que tu aimerais jouer des morceaux de cet album, comme "Barriers" ou le titre "A Fine Day To Exit". On peut s’attendre à ce genre de surprises lors de la tournée qui approche ?
Oui, il y aura des surprises. Mais je pense que la meilleure des choses à faire, c'est de jouer The Optimist en entier, et ne pas revenir en arrière. Mais ce serait cool de visiter d’autres albums. Il y a des chansons plus inhabituelles que nous n'avons pas jouées dans le passé. A côté de cela, il y a des classiques que tout le monde connaît comme "Untouchable". Mais je pense que ce serait mieux de jouer The Optimist du début à la fin, comme quand on l’écoute en fait, et essayer de donner le même résultat. "Close Your Eves", "San Francisco" … Je pense qu'il est logique de le faire de cette façon et de faire une courte pause, avec d’autres choses qui peuvent être incluses dans le show.
Parlons un peu de la prochaine tournée française...
...10 concerts !
Oui, 10 concerts ! C’est énorme !
Ouais, mais il y a de la bonne cuisine en France, on mange bien ! (rires) Ouais, je suis super content de savoir qu’on va y jouer autant de fois. Il y a des amis un peu partout et des endroits où nous ne sommes jamais allés jouer. Je suis d’autant plus heureux parce que le « gros » concert se passera au Bataclan. Ce sera bien évidemment une soirée très émotive pour tout le monde. C’est une bonne chose qu’on puisse y jouer The Optimist, je le pense. On voudrait faire ressentir cette atmosphère, cette histoire visuelle, avec la conduite dans San Francisco… Ce sera vraiment une soirée très spéciale. On a les festivals de cet été pour se préparer. Et on sera prêt.
Vous connaissez bien Alcest, le groupe qui fera la première partie de vos concerts ?
Oui, on les connaît. On a eu l’occasion de les rencontrer sur la tournée aux USA en 2013. Ce sont de bons gars, de bons musiciens, discrets, et très talentueux. Leur musique est très poétique. Ce sont vraiment des gars sympathiques !
- Questions des fans -
Souvenez-vous, peu de temps avant l'interview , La Grosse Radio, en partenariat avec Anathema France, avait organisée un concours afin de vous faire gagner le droit de poser une question de votre choix à Vincent. Trois ont été tirées. Les voici :
1) Christophe : "Y aura-t-il de nouveaux concerts acoustiques comme ceux dans des cathédrales en 2015 ? J'ai trop adoré ces expériences et je serais heureux d'y participer à nouveau."
Oui. Il n’y a rien de prévu officiellement pour le moment, mais c’est une expérience que nous aimerions renouveler. C’est possible que cela se fasse même juste après The Optimist Tour. Je ne sais pas exactement à quel moment, mais nous le referons. Je pense que cette façon d’interpréter notre musique, en version acoustique, quand le groupe n’est pas au complet, est intéressante pour nous. Les beats, les lignes de basse…Cela met en valeur nos compositions que de les interpréter d’une autre façon. Quant à le faire avec The Optmist…il y a beaucoup de pianos, ce serait nouveau, nous n’avons pas encore essayé de l’interpréter acoustiquement… Mais on pourrait tenter ouais. C’est vrai que le concert dans la cathédrale de Saint Eustache était vraiment une excellente expérience pour nous tous. Le concert A Sort of Homecoming aussi…c’était…un privilège ! Quand je le regarde, je me dis que ce n’est pas moi. C’était un grand honneur. Le refaire oui…mais ailleurs…à la « Sainte Chapelle » ce serait bien ?
2) Léna : "Quelle est la chanson d'Anathema que tu préfères chanter ? Et pourquoi ?"
Cela dépend. Je les aime toutes, mais certaines apportent des émotions différentes : "Dreaming Lights", elle a une superbe mélodie. "Untouchable" évidemment. "The Storm Before The Calm", j’adore la chanter, cela demande une certaine gamme vocale. C’est une expérience physique aussi bien que mentale et émotionnelle. Il faut s’exercer régulièrement pour obtenir une sorte d’endorphine. C’est une combinaison. Une combinaison mentale et émotionnelle. C’est différent de tout, vraiment. J’y mets toute mon énergie, tout ce que j'aime quand je chante en direct. J’aime chanter.
3) Lydia : "Lors des derniers concerts de novembre, Danny est arrivé sur scène avec un sweat noir à capuche sur la tête sur une musique intro de «Mr Robot». Existe-t-il un lien direct entre «Mr Robot», l'album, et Danny ? Si oui lequel ?"
Il n’y a pas de connexion directe. Mais il y a des points communs : une sorte d’émotion. C’est un album de musique douce, et dans ce sens déjà, il ressemble au nôtre.. Personnellement, on attend toujours de faire une bande originale de film. Il faudrait que les éléments soient dans la direction de ce qu’a fait David Lynch ou Kubrick. Il faut que la musique soit aussi brillante que l’émotion et l’histoire que cela raconte. Je pense qu’il existe aujourd’hui déjà beaucoup de compositeurs de ce genre ou de musique sonore contemporaine, et ils sont vraiment géniaux. Il y a par exemple Max Richter, je l’adore. Il s’agit de mon compositeur contemporain préféré en ce moment. Il est différent des autres, avec ces éléments électroniques et post-rock. Il ne se contente pas que du classique. Il a collaboré avec d’autres personnes pour faire des remixes. Il faut utiliser plusieurs instruments, des synthétiseurs et d’autres choses pour créer une atmosphère. Clint Mansell. John Murphy et Hans Zimmer, ce dernier est vraiment le meilleur pour moi. Pour en revenir aux faits, la bande originale de Mr Robot est vraiment excellente. Donc, si vous n’avez pas encore regardé la série, et surtout écouté l’album, je vous le conseille ! C'est Mac Quayle qui a composé la bande originale, et elle est géniale, voire même…dérangeante.
Et le coup de Danny, d’entrer sur scène avec un sweat, capuche sur la tête ?
Vincent : Alors là, je ne sais pas du tout par contre (rires) !
Interview réalisée le 28 Avril à Paris.
Merci à Valérie de JMTCONSULTING.
Merci à Lydia de Anathema France.
Merci à Vincent Cavanagh .