La sortie de Demon clôt une attente qui se muait en impatience manifeste. Car offrir une suite à l'album Meradiam représentait pour nous un défi insurmontable... et pourtant.
L'esprit derrière Le Seul Élément n'a cure de ces conceptions qui voient une sortie d'album comme la construction d'une carrière. Dès que l'écoute est lancée on retrouve ce qui fait de ce one man band un projet fort : authenticité et véracité.
Demon perpétue donc ce que Meradiam avait institué soit mettre en musique une psychanalyse qui fait de l'individuel une expérience collective. Nous pourrons tous nous projeter dans cet album, car il propose une exploration à laquelle personne n'est étranger. Il s'agît d'une quête, la longue quête de sens pour ces particules infimes que nous représentons dans un univers à la fois infini et en expansion. Dans ce paradoxe, quelques interstices temporelles se dressent, de brefs moments que l'on appelle « existences ». Y naissent une fugace conscience du moi qui nous permet juste de comprendre que nous ne comprenons rien à l'univers dans lequel on né et disparaît en un battement de cil.
Si les références cinématographiques se multiplient à l'écoute de Demon, ce n'est sûrement pas pour le classer dans les b.o. C'est surtout parce que cette musique n'a d'égal en sensation que certains concepts portés par le cinéma. Nous nous sentirons perdus à la recherche de l'Event Horizon, ou coincés dans les cordes du temps d'Interstellar sinon pris dans les boucles littéraires où nous embarque l’Être vert de Ian Macdonald, acteur de sa propre naissance. Ou encore la conscience anticipée qui fait vivre deux fois sa mort au personnage des Chaînes de l'avenir de K Dick, sommet d'angoisse nihiliste.
L'aspect stellaire de Demon n'est pas seulement un parti pris esthétique. C'est un propos, une construction que le terme ambient qualifie mal. Elle est sensitive, neuronale, épidermique, projette l'infiniment petit dans l'infiniment grand à travers la construction de thèmes mélodiques (que l'on pourrait interpréter comme le sens que nous construisons de nos expériences) sous lesquels vibre une voix profonde comme un écho de l'instant de Planck. Une voix que nous ne pouvons comprendre alors même qu'elle semble soutenir le tout.
C'est le constat de notre épopée, entendre une réponse que l'on ne saurait comprendre, sentir une présence que l'on ne saurait voir.
Le Seul Elément est ce qui reste de nous quand nous partons à notre propre recherche, à travers les limbes du temps. Musicalement, ce fil ténu d'humanité qui nous reste dans cet avenir numérisé est représenté par un piano, instrument obsolète par excellence. "Rien n'est beau comme on l'imagine" martèle les touches dans une boucle qui construit sa mélodie sur notre impression temporelle. Les profondeurs évoquées vers le milieu de "Mersey Mad Beat" sonnent comme des balises pour nous guider tandis que "Run" nous fera ressentir ce que la relativité du temps veut dire.
L'impression d'angoisse claustrophobe qui transpirait de Meradiam s'est apaisée. Si le premier album nous laissait en orbite, enfermés dans une capsule sans les concepts pour appréhender notre dérive, Demon génère une sensation différente, comme une étape. Cette fois-ci, nous dérivons mais l'angoisse laisse place à une contemplation admirative bien que les secrets de l'univers nous soient encore inconcevables.
N'oublions toutefois jamais que les contours flous sont malléables, et que le Démon est protéiforme, de substance instable, avec le pouvoir de se matérialiser dans les espaces de nos peurs.
Écouter Le Seul Élément est une expérience personnelle qui demande de l'abandon. Être capable de s'en remettre à un autre, d'être guidé. Oublier notre moi pour mieux le retrouver, augmenté d'une perception dont la musique se fait le vecteur par excellence.
C'est une œuvre d'art ancrée dans un temps et un autre à la fois. Elle trouve résonance dans une scène vivace et bouillonnante qui cherche à bouger les perceptions, en proposant une musique qui nous enveloppe plus qu'elle ne nous porte.
Demon atteint le stade où les sensations que l'on ressent supplantent le raisonnement esthétique. Ce dernier est au service des premières, alors que le contraire fait office de règle dans une production générale qui fait de l'authenticité un vernis de mise bien fragile.
Le Seul Elément ne se situe pas au dessus. Il est juste ailleurs, loin de ces turpitudes, l'esprit dans un demain dont nous foulons actuellement le seuil.
Sorti le 24 février 2017 chez Cleopatra Records