Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, Ben Vaughn est l’un de ces grands héros oubliés de l’Amérique. Auteur, compositeur, interprète, producteur, il a marqué de son esprit et de sa patte le monde du rock ‘n’ roll underground. C’est un de ceux qui auraient pu ou auraient du être touchés par le succès tant leur talent est grand. Mais le destin en a décidé autrement.
Cela ne l’a pas empêché de produire quelques grands noms comme Alex Chilton, Nancy Sinatra, Charlie Feather ou plus récemment les surfeurs Los Straitjackets. Ben Vaughn est aussi compositeur de musique pour la télé. Les génériques de 3rd Rock From The Sun et That’s 70’s Show, c’est lui. Ca ne l’empêche pas non plus de s’illustrer à travers une émission de radio intitulée The Many Moods Of Ben Vaughn qui tourne comme un avion outre-Atlantique ainsi que sur bon nombre de podcasts sur le vieux continent. Ben Vaughn a déjà à son actif plus d’une quinzaine d’albums qui ont connu des fortunes diverses. Rambler 65 paru en 1996 est un de ceux qui ont reçu les meilleures critiques. Mais pour le moment, penchons nous sur sa nouvelle livraison, Pièce De Résistance sortie chez Kizmiaz.
Pièce de Résistance en français dans le texte. Plutôt surprenant comme choix non ? Et l’écoute du titre éponyme n’est pas moins surprenante. Elle nous perme de cibler un peu la personnalité du bonhomme. Sur fond d’accordéons ou de mellotrons, une ambiance cajun s’installe et, par dessus, Ben Vaughn égrène toute sa connaissance des locutions françaises sans que cela n’ait aucun sens ! Et portant ça fonctionne ! Mention spéciale à l’enchainement "Mercredi Abruti Réservoir" ! Le décor est planté.
Cette fois-ci en version quintet, Ben Vaughn revisite plusieurs styles fondateurs de l’Amérique country folk rock. Mais attention, les cinq gaillards se connaissent bien. Ben joue avec Gus Cordovox depuis 83, avec Mike Vogelmann depuis 88 et Seth Baer depuis 1990. CC Crabtree, le petit dernier (et membre des Pink Slip Daddy) n’officie au sein du combo que depuis 18 ans ! Vous imaginez bien que de cette complicité se dégage une alchimie musicale des plus intéressante.
Lorsqu’ils explorent les territoires défrichés par Johnny Cash, les riffs de guitares sur des titres comme "Percy’s Blues" notamment donnent du relief au style de l’homme en noir. Mais les arrangements de Ben Vaughn offrent une analyse plus personnelle et il nous invite ainsi dans son univers. Lorsqu’il évoque une traversée en chemin de fer sur "Railroad Track", comment ne pas penser au train que Johnny Cash entend en début de "Folsom Prison Blues" ? Ca respire la sincérité, le vécu. Et tout cela est soutenu par belles parties de guitares acoustiques qui alternent avec les envolées du saxophone. On obtient alors un parfait équilibre entre les influences blues mais aussi le coté rock ‘n’ roll et la musique country. Un bien beau concentré de l’Amérique et de ses racines.
Pas facile de trouver des videos récentes du Ben Vaughn Quintet, alors en voici une de "Growin' A Beard" au Deli, Haddon Heights, New Jersey le 3 août 2011.
Et quand le quintet met les cuivres en avant, il nous livre une musique qui donne irrémédiablement des fourmis dans les jambes. La contrebasse consolide la chose de fort belle manière. Ca suinte la musique des années 50, le rock ‘n’ roll des pionniers. Le quintet se permet de jouer ce genre de titres avec une belle dose de sincérité.
Dans tout ce savant mélange, une constante, la voix de Ben Vaughn. Elle n’a rien à envier à celle de l’homme en noir mais elle sait aussi se rapprocher des intonations de Jerry Lee Lewis particulièrement sur "Here Comes Trouble" ou "Tape A Nickel To The Tonearm" ! Yeah ! Tu en veux du rock ‘n’ roll qui dépote ? Ben Vaughn mué en "Killer" sait chauffer, haranguer l’auditeur.
Et puis surtout, on sent une sincérité et une simplicité qui sont touchantes. Ben Vaughn nous raconte des histoires personnelles, avec des gens normaux, des citoyens lambda et c’est en cela qu’il réussit a nous toucher là où ca fait mal. Tout le monde peut s’assimiler sans souci au héros de "Walkin My Way Back To Your Heart" qui essaye de reconquérir sa promise.
Autre aspect de la musique du quintet, ces magnifiques histoires de losers magnifiques sur des tempos plus ralentis. On lorgne côté du Velvet Underground en descente d’acide sur "Sunday Morning" lorsqu’on écoute "Sleep Without Drugs" et on a envie de s’identifier au héros de "When Losers Rule The World".
Chez le Ben Vaughn Quintet, guitares et cuivres rivalisent de virtuosité et de feeling pour se répondre et créer des ambiances tantôt blues parfois lorgnant vers les parties jazzy. Les gars s’emploient et brodent des harmonies autour d’un riff roboratif. N’est ce pas ça être rock ‘n’ roll ?
Résultat des courses, un disque vraiment très bien foutu, très accrocheur, mêlant habilement blues, rock et country pour rester large et qui nous montre la grande culture de Ben Vaughn. Ce gars n’a pas son pareil pour trousser de magnifiques chansons remplies de tranches de vies imprégnées de ce que fût le rêve américain mais vu du coté des losers magnifiques. Une musique remplie de sincérité et qui fait du bien.
Sortie le 16 décembre 2016 chez Many Moods Records