Certains cœurs, certaines voix, n'ont décidément aucune contrainte géographiques, ni temporelles. Bienvenue à bord du Bring Back Soul pour un voyage spatio temporel indéterminé.
La première chose que l'on remarquera à l'écoute de l'album sera sa provenance : Paris. On pensait à tort que seuls les suédois, déprimés climatiques chroniques, étaient aptes à nous faire croire qu'ils avaient enregistré leur nouvel album n'importe où sauf chez eux. Les productions du label Q-Sounds Recordings bluffent sur ce côté, mais aucun mimétisme n'est à craindre. On est dans l'appropriation, pas l'assimilation.
Bien sûr, toutes les nuances de bleu sont là : une voix à la sensualité qui porte autant de vécu qu'elle suggère d'érotisme. La synthèse de la soul, cette musique capable de revendiquer, de porter des voix ou d'être portée par elles. A ce titre les cuivres fiévreux sonneront comme la musique des sens. La guitare se fait garante du blues intrinsèque et la batterie rappelle que la vie défile comme une ambulance.
La soul est un miroir, avec Rebecca Dry elle continue son chemin et crie ses amours, ses envies. Si nous avons souvent associé cette musique à la bande son des revendications sociales des 60's, c'est parce que notre regard nous a fait oublier le principal. La soul est un reflet du quotidien. L'album rappelle donc les fondamentaux : une musique pour danser, protester, pour faire l'amour et pour le plaisir d'être là. Parce qu'il n'y a rien de plus simple, essentiel que de tenir un bon titre, un bon refrain, un bon rythme. Il faut savoir s'oublier pour le vivre, se laisser prendre par l'évidence, transpirer sans réfléchir plus que le plaisir procuré par l'impeccable "Didn't I". C'est tellement direct que cette chanson fera de suite partie de votre patrimoine.
Ludovic Bors, compositeur principal, a une écriture musicale riche et intuitive dont les perspectives sont mises en relief grâce à la collaboration avec Christelle Amoussou (comme pour The Adelians), véritable charpente qui partage l'écriture des textes et des mélodies avec Rebecca Dry. "Heartbreak" est propulsée par ces 11 musiciens comme une pulsation explosive. Tout ce groupe dont les membres s'illustrent déjà dans d'autres formations du label (voire dans sa fondation même) sonne comme une seule entité apte à suivre les registres d'une chanteuse aux variations tantôt râpeuses, tantôt soyeuses. On ne saura alors que conseiller à Beth Hart de s'acheter son exemplaire pour vibrer sur douze tubes sans un temps de faiblesse, propulsés par les locomotives que sont "Over" et "Waiting for you".
La réussite principale du disque, en dehors des qualités en quantité précédemment citées, c'est de réussir à devenir lui-même tout en s'appuyant sur un background chargé d'images fortes. Sûr que The Kolettes doivent danser de là-haut. Mais les 60's resteront en noir et blanc car Bring Back Soul ne cherche pas l'illusion du revival. On est plutôt dans la perpétuation d'une tradition qui doit être maintenue, à l'instar de certaines productions du label Daptone. "Tainted Love" en est le parfait exemple. Ce n'est pas un retour en arrière, c'est hier qui s'invite aujourd'hui comme s'il n'y avait pas eu de pause.
Au fond le mystère n'est pas temporel mais spatial. Rebecca Dry, anglaise vivant à Paris, et le groupe Radek Azul Band domicilié à Montreuil, semblent avoir zappé leur leçon sur l'Atlantique. Ou ont trouvé le moyen de se téléporter non seulement dans les lieux mais aussi dans l'esprit des clubs qui ont connu et attisé le brasier de la soul. Les immeubles qui m'entourent ont poussé de vingt étages durant le disque et j'ai vu Brooklyn prendre forme sous mes yeux, Syl Johnson discutait avec Gloria Jones pendant que Baby Huey s'envoyait un double kebab. Une forme fantasmée, comme l'est toute histoire.
Donc jusqu'alors on pouvait concéder une exclusivité américaine sur le sujet. Mais il va falloir revoir sa géographie musicale. La France compte désormais de sacrés arguments pour rejoindre une famille bien plus grande que quelques considérations géo-politiques. Parce que le message profond de Bring Back Soul, c'est l'universalité des expériences. Tout peut s'exprimer de quelque façon que ce soit, du moment que le ressenti est authentique, puisqu'au fond nous traversons tous l'existence de la même manière, en cherchant à nous connecter à notre moi véritable.
Eux l'ont trouvé, et nul doute qu'un tel disque transmettra sa ferveur à tous ceux qui sauront l'entendre.
Sorti le 9 juin 2017 en vinyle, issu d'une seconde et fructueuse collaboration entre passionnés par les labels Q-Sounds Recordings et Specific Recordings.
Artwork réalisé par Jennie Zakrzewksi