La deuxième journée offrira une vision plus rare hors festivals spécialisés, celle des mouvances progressives. Avant d'accueillir Yes sur scène quelques heures plus tard, c'est Alex Cordo, un autre finaliste du tremplin, qui viendra abreuver les oreilles de sa technicité minutieuse.
Alex Cordo
À la limite d'un metal mélodique, Alex Cordo joue des titres uniquement instrumentaux, souvent très techniques. Ceux qui traduisent musicalité par rythmes binaires et concrets seront perdus et comprendront que souvent, l'appréciation musicale est aussi synonyme de concentration. Changements de tempos, mesures dissonantes, les musiciens laissent peu de place à l'attitude pour se concentrer sur l'exécution de leurs parties difficiles à retranscrire, et le font avec brio. On assiste au final à une leçon de musique, entière et riche, qui, au vu de la réception, est agréablement de tous les goûts.
Crédits photo : Alexandre Coesnon
Glenn Hughes
Lorsque Glenn Hughes et sa basse tonitruante débarquent sur la scène Chapiteau, l'occasion sera de constater de la présence d'un public beaucoup plus dispersé. Là où la veille Scorpions faisait tente comble, c'est moitié moins d'adeptes qui viendront soutenir la légende anglaise, et grand mal leur en fasse.
Car hors d'une prestation calibrée et millimétrée comme celle du jour précédent, c'est ici un show plus spontané, beaucoup plus axé rock n roll, qui sera de la partie. Glenn Hughes captive aisément les premiers rangs, renforçant son surnom de "The Voice Of Rock" toujours intact, et côté musiciens, ça joue sévère (on notera particulièrement la présence du roadie venant renforcer régulièrement le kit de batterie tant le préposé y va bon train sur ses cymbales).
Et pourtant, quelques sceptiques. Malgré un show interprété avec aisance et conviction, beaucoup ne rentreront pas dans la danse, jusqu'à quelques témoignages nous confiant une appréhension d'une musique "étrange" et pas assez "vintage". De la part d'un musicien qui joue un blues/soul assez accessible et venant tout droit des années 70, on comprendra difficilement ce refus, preuve surtout qu'il peut être parfois complexe de s'intégrer à une ambiance lorsque l'on ne connaît pas une grande partie du répertoire proposé.
Dommage donc pour la réception en demi-teinte d'une prestation généreuse, extrêmement efficace, que Glenn Hughes distille avec la même envie que lors de ses vingt ans. De tout sera joué, puisant aisément dans les multiples formations du bassiste, et durant les quelques mètres de marche qui nous séparent de la scène Village, "Burn" résonne encore dans nos esprits.
Dumpstaphunk
L'heure est au changement direct d'ambiance, puisque Dumpstaphunk officie dans un registre à la rencontre de la funk et de l'acid jazz. On se retrouve perdu dans un mélange de Tower Of Power, Parliament et Incognito, où tout est une question de groove mais aussi de soli inspirés, souvent improvisés. Une session cuivre, deux bassistes (c'est dire si ça a claqué du slap dans les chaumières) et un guitariste dont les contre-temps n'ont plus aucun secret. Ca joue, ça se fait plaisir et ça fout la patate pour appréhender le reste d'une journée déjà riche en musicalité.
Yes featuring Anderson, Rabin and Wakeman
Ils auront bien insisté pour que l'on précise que c'est bien un line-up spécifique de Yes que nous allons voir, et pas le groupe actuellement en formation ayant gardé le privilège du nom. Les aficionados de Steve Howe pourront donc repartir calmer leurs peines, c'est Trevor Rabin, qui avait apporté ses influences dans les années 80 du groupe, qui sera à la six cordes, et avec lui un jeu différent, pour une prestation plus qu'intéressante. Car en choisissant de jouer de toutes les périodes du groupe, ce line-up atypique se heurte premièrement à une période que Rabin n'a pas connu, nécessitant des capacités techniques qui ne sont pas les siennes, mais également une période que Rick Wakeman avait également occulté. L'occasion pour les deux musiciens de jouer hors de leur répertoire respectif, mais aussi de concilier toutes les identités de Yes. Pari qui sera bien plus que hautement mené.
Car que ce soit le trio de tête, emmené par un Jon Anderson qui à 72 ans est tout bonnement hallucinant de justesse et de puissance, chose qu'il aurait été difficilement imaginable au vu des problèmes de santé qui l'ont suivi il y a quelques années, ou Lee Pomeroy et Lou Molino, chaque musicien est exemplaire et ne fait pas qu'offrir une reproduction technique des grands morceaux de Yes. En effet, ceux ayant vu la formation actuelle sur scène, ou juste avant le décès de Chris Squire, témoigneront du côté impeccable de l'interprétation, mais pourront dénoncer un côté morne, sans âme et sans réelle implication. Les morceaux sont joués à l'exactitude, souvent dans un ordre sans surprises (ces fameuses tournées anniversaire où on te joue deux albums en intégralité, avec rien d'autre autour), et le groupe ne propose rien de plus, là où Yes Featuring Anderson, Rabin And Wakeman, eux, y vont avec bien plus d'envie.
Et les différences seront nombreuses. Trevor Rabin s'est totalement réapproprié les parties de Steve Howe, les réadaptant à sa sauce sans forcément y retirer l'aspect technique, et son jeu d'une précision exemplaire en laissera plus d'un coi. Mais surtout, c'est l'état d'esprit avec lequel la formation aborde ses thèmes qui prouvera la raison pour laquelle c'est bien là qu'il fallait se rendre. Les musiciens se regardent, jouent ensemble, se déplacent, jouent du rock progressif complexe comme si c'était une partie de plaisir, et font vraiment vieux groupes de copains que les années n'ont pas ébranlé. Jon Anderson en tête, qui semble sortir ses aigus d'antan sans la moindre peine. Que ce soit sur les morceaux 80's, "Owner Of A Lonely Heart" en tête, ou les perles 70's tel que "Heart Of The Sunrise", psychédélique et pertinent, le groupe passe toutes ses parties aisément et le fait avec un sourire et une impression que réussir à jouer un titre complexe n'a pas d'importance, le but étant juste de jouer.
Impressionnant, c'est le terme. Avec un noyau dur toujours capable du meilleur, on ressort immergé d'une prestation qui aura joué sur tous les tableaux, et on attend la suite de l'histoire, qui nous prépare un gros projet pour le début de l'année prochaine, avec une impatience de gamin capricieux.
Manu Lanvin
Pour ne pas se démarquer de l'ambiance principale du festival, cette dernière prestation de la journée sera également sous le sceau du blues. Après Popa Chubby, c'est au tour de Manu Lanvin, parrain de cette édition du festival, de venir épuiser les derniers résistants qui n'ont pas encore eu leur dose complète de guitare. Et il saura s'y prendre pour nous faire repartir comblés, avec une envie de se jeter dans des draps doux et de ne se réveiller que lorsque nos jambes nous en donneront l'autorisation.
The Devil Blues sait jouer avec son auditoire, et compte sur Manu pour justement faire son travail de showman, chose qu'il fera sans aucune peine. Des passages dans la foule pour accomplir des solos directement sous le nez des festivaliers, une sollicitation constante accompagnée de petits surnoms pour un public qui en redemande. Le set sera surtout agrémenté de nombreux invités venus taper le boeuf et de nombreux hommages, de Calvin Russel à Chuck Berry. L'audience connaît ses classiques, et quand ces derniers sont nommés, l'ambiance n'en devient que plus électrique.
On sait que le blues n'est pas prêt de s'arrêter là, mais il est sûr que les autres formations auront du fil à retordre pour égaler le concert de clôture de Manu Lanvin. La journée du vendredi nous ouvre les bras, et avec elle son lot d'appréhension, et de nouvelles surprises !
Crédits photo : Yann Landry / La Tête de l'Artiste