On est à la bourre pour parler de cet album, sorti au mois de mai, mais le groupe ne devrait pas nous en vouloir, au vu de la communication atypique édifiée autour de Debut : il semble que l'idée soit précisément de le laisser faire son chemin tranquillement, en autonomie, comme le ballon gonflé à l'hélium que l'on lâche en tremblant, tournant vers le ciel des yeux qui s'emplissent de larmes d'espoir lorsqu'il disparaît entre les nuages. On pourrait s'attendre à ce qu'une promotion ainsi minimaliste laisse la musique seule au premier plan, mais il n'en est rien : la première chose dont on parle, partout, y compris ici d'ailleurs – on vaut pas mieux que les autres, c'est de ce communiqué sur fond vert, sobre à l'extrême, n'annonçant à peu près rien de plus qu'un groupe du nom de Pamplemousse existe.
Pamplemousse, c'est donc avant tout une certaine idée du flegmatique : une communication minimale, un nom passe-partout d'une grande banalité, un debut album nommé Debut, un premier morceau nommé "First"... Tout semble orchestré pour ne jouer le jeu qu'à moitié. L'enregistrement, dans le même ordre d'idée, ne propose en soi rien de véritablement révolutionnaire, et pourrait être issu d'une session d'un groupe garage des années 90 qui aurait appris à se servir de son matos : de loin, ça ressemble à tous les « groupes qui jouent dans le local juste à côté du nôtre, où y'a la fumée qui sort de sous la porte, là ». Mais alors, d'où vient ce petit engouement de dessous de tables, et même, notre propre enthousiasme ? nous interroge candidement le lecteur, implorant notre sagesse de ses grands yeux naïfs. Sans doute que Pamplemousse le fait avec un naturel plus évident, sans se fourvoyer dans le consensuel, de manière plus brute, et plus brutale.
Et de fait, même les hurlements du chanteur paraissent plus vrais que de nombreux groupes d'à côté, plus sincèrement sauvages. Ils font leur chemin dans nos têtes, s'installent comme des mélodies pop, en plus corrosif. Les guitares saturées dominent, les riffs sont lourds, les structures, entêtantes. Si le registre global de l'album est assez linéaire, les respirations sont assurées par les subtilités rythmiques et les variations de tempos ; c'est assez efficace, l'intérêt se relance suffisamment régulièrement pour conserver l'attention de l'auditeur. Dans un tel genre, les plus rapides sont aussi souvent les plus jouissifs, mais ici, un titre plus lent comme "Suffocating", justement grâce à sa cadence, peut laisser suffisamment d'espace à la guitare pour résonner longuement dans quelque larsen mourant, et créer un jeu de contrastes d'intensités saisissant : on s'étonne d'ailleurs, à la fin des 8 minutes 26 que dure le morceau, de ne pas s'être ennuyé un seul instant. On se prend donc d'affection pour "Suffocating", allant même jusqu'à affirmer qu'il pourrait s'agir du meilleur titre de l'album, tout en gardant à l'esprit que sa réussite est due pour beaucoup au contexte dans lequel il apparaît, des morceaux globalement bien moins longs (une moyenne de 4 minutes 27, on a calculé).
Le son de l'album est aussi probablement l'une de ses grandes qualités ; minimaliste, sans artifice, permettant une immersion efficace au milieu du local de répet de Pamplemousse, à la Réunion, où ils ont enregistré eux-mêmes les neuf titres. Le chant est plutôt lointain, et la batterie, à l'inverse, sans que son volume ne soit démesuré, semble placée très près de nos oreilles, nous encercle, comme on n'échappe jamais au boucan du batteur lorsqu'on est à l'intérieur. L'aspect est relativement propre, suffisamment en tout cas pour être lisible, et suffisamment peu pour conserver la spontanéité des compositions, leur rugosité.
Bien qu'elles soient très présentes, il ne serait pas rendre justice au groupe de ne parler que d'influences 90's ; si le mix de la guitare de "I Hate This Song" appartient bien à la décennie nirvanienne, le titre lui-même n'est, au fond, rien de moins qu'une tranche de post-punk, tant dans les lamentations désabusées de la voix que dans la basse infatigable, grattée en croches, ou perdue dans une boucle chamanique infinie (certains ontparlé de post-hardcore, mais il faut aimer les néologismes à lunettes). La section rythmique développe d'ailleurs un groove assez original, où les deux parties semblent fonctionner indépendamment, chacun dans son coin, sans perdre ne serait-ce qu'un soupçon de la cohérence qui les unit ; les espaces se remplissent alors efficacement sans que le recours à quelque sub excessif ne soit nécessaire, comme on le voit souvent chez les power-trio. De même un titre comme "The End" propose quelques riffs purement heavy, et le tout est trempé dans une sauce stoner, autant dans sa forme pré-historique aperçue jadis chez Black Sabbath, que dans ses adaptations plus modernes, celles que l'on fréquente dans tous les bars-caves à voûtes de pierres qui se respectent, dans toutes les villes qui n'auront pas poussé ces derniers à fermer parce que la vieille du dessus n'aime pas beaucoup les basses.
Pamplemousse propose donc un premier album réussi, enthousiasmant. Sans briser les codes du genre dans lequel il s'inscrit, il dévoile, au fil des écoutes, une sorte de lyrisme violent et froid assez intrigant pour nous donner envie de suivre le parcours de ses créateurs, convaincus que si la personnalité du trio éclot véritablement, et prend pour de bon le pas sur la référence, les prochains opus devraient faire mal.
Sorti le 8 mai 2017
En écoute intégrale ici