Bien connu des metalleux aux esprits larges, Kimi Karki a fait son chemin chez nous via le mythique Reverend Bizarre, puis Orne auteur de deux albums dont « Tree of life » sera enfin réédité en vinyle cette année (une quête qui s'achève, merci Svart Records). Musicien hyper actif, Kimi Karki a entamé sa voie en solo avec un premier opus acoustique en 2013 pour revenir l'année dernière avec un excellent album de Lord Vicar. Une actualité donc chargée qui se conclut par la sortie de son second album : Eye for an eye.
Historien finlandais reconnu, auteur de talent, actif dans de nombreuses formations, la fin du légendaire Reverend Bizarre lui aura laissé un champ libre. Il en a profité pour permettre à un versant contenu jusqu'alors de s'exprimer pleinement. En un sens, Kimi Karki ne s'est pas mis au folk mais a dé-métalisé sa musique car les thèmes qu'on entend sont la parfaite continuité de ses précédentes offrandes, la pochette fonctionnant comme un indice allant dans ce sens.
Aucun des poncifs du songwriter à guitare sèche ne vous sera donc infligé. Sa musique s'est rendue acoustique en conservant ce qui fait son identité: complexe, profonde, oscillant entre lumière et ténèbres quand le texte l'impose, prenant le relais des paroles dans des digressions comme des échos aux mots. Chaque mélodie se construit comme l'on construirait une phrase. En cela Eye for an eye est un grand album de songwriter et s'inscrit dans la lignée de Leonard Cohen, qu'il chérit, par le partage d'un même principe : le texte est le terreau de la musique, la musique y pousse et donne pour fruit la poésie. C'est un cycle infini de création, le même qui fait de la parole un art et de la musique une parole.
La profondeur de champ confine parfois à la liturgie folk. Ainsi soit « The Load We Carry » et « The River Of Shadows » où les nappes sonores évoquent les brumes caressant l'eau. Dans le minimum chaque détail compte, aussi cet album est centré sur une guitare classique quand le premier se focalisait sur une douze cordes. Le son, sous la main de Joona Lukala, donne une atmosphère plus intime qui libère alors le un panorama. La guitare semble très proche comme si Kimi était face à nous alors que chaque arrangement, chaque chœur (par les angéliques Pirita Känkänen et Anna-Elena Pääkkölä), détend les dimensions et nous transpose vers un espace large, cathédrale d'arbres, plaines jonchées de pierres posées on ne sait quand ni par qui. Les voix résonnent comme un fantasme d'historien, évocations de ce qui a pu être quand d'autres se demandent ce qui sera. Notre songwriter se fait conteur, de ces thèmes immortels qui guident l'histoire des mortels.
« Eye For An Eye » se lit, et même si l'on pourrait se contenter de l'écouter il reste fortement conseillé de s'abandonner aux textes aussi soignés que les mélodies qui les illustrent. « Entrangled In Pleasure » appelle autant la référence littéraire que musicale, le thème du miroir et de la nostalgie renvoyant à « Un parfum de Jitterbug » de Tom Robbins. Et encore une fois Karki ne peut s'empêcher d'être historien, s'inspirant de ses connaissances. Toutefois c'est l'artiste qui mène la danse, et on finit par se demander si son travail d'historien ne prendrait pas source dans l'art ? Passé-histoire, présent-art, sa façon d'être au monde et de traduire le monde d'avant. Les collaborations vont en ce sens, Patrick Walker sur le sublime « Beyond distance », ou encore John Richardson sur « Spearhead » lui-même professeur de musicologie. Tout est lié.
Les amateurs de folk, de songwriting, trouveront ici un disque qui amènera une autre dimension à leur collection et on peut aisément imaginer l'amateur de Vic Chesnutt, Jose Gonzalez, trouver ici un nouvel attrait. Les amateurs de la carrière de Kimi Karki reconnaîtront aisément sa touche particulière et ne seront pas dépaysés, bien que transportés dans un univers plus vaporeux invitant à l'évasion à travers les âges et la conscience, consubstantiel à l’œuvre conséquente de l'imposant finlandais.
Sorti le 18 août 2017 en vinyle gatefold et cd chez le label Svart Records.