Alors qu'une bonne partie des groupes dits « indés » soignent leur réseau plus que tout et parlent trop au détriment de leur musique, Total Victory fait l'inverse en avançant sans se soucier des échos. Résultat ? Deux albums disponibles sur bandcamp dénichés ensuite par des labels pour une édition physique. C'est rare, et laisse un espoir pour l'authenticité en ce bas monde alors que sort leur quatrième disque.
C'est d'emblée cette authenticité qui touche chez Total Victory. Si bien qu'on pourrait lire la pochette sans nom (issue de Penda's Fen) comme une façon de dire « pas besoin de dire qui l'on est, vous l'entendrez ». Poussons plus loin que la grille de lecture habituelle: une pochette sans nom c'est souvent perçu comme une audace de business, comme une marque qui n'a plus besoin de s'annoncer. Une façon de se la claquer sévère ou de se suicider commercialement (le martyr est une forme de suicide).
Total Victory n'a pourtant aucun rapport avec cette ambition digne de l'âge d'or des majors. Tout est dans l'absence titre pourrions-nous dire car si la martyrologie a évolué c'est dans sa transition vers l'anonymat. Nous avons tous en tête ces martyres célèbres des calendriers. Les stars des hégémonies d'antan autant que des modèles, le martyre représentant un point d'orgue voire un orgasme fondant la souffrance dans l'héroisme.
Mais nous n'en voulons plus, nous ne voulons plus affronter les taureaux des empires pour rentrer dans l'histoire. Nos victimes sont des anonymes qui voulaient tout sauf entrer dans la frise. Sans l'avoir prémédité Total Victory rend un hommage qui se passe de mots. Il ne s'agît pas de tout ramener aux derniers attentats puisqu'on rentrerait dans l'ancienne logique du martyre. Or nous sommes actuellement tous des victimes anonymes d'on ne sait quoi, l'Histoire ne nous intéresse plus quand tant de philosophes en pleurent la fin.
Si on pense à Grotesque de The Fall en écoutant English Martyrs ce n'est pas que musicalement, c'est surtout une histoire sémantique. Notre chute est grotesque et seuls les anonymes ont la lucidité de sortir de la course. L'absence de mots est donc tout sauf une vaine ambition et le silence n'en devient que plus loquace. La musique est aussi un martyre, broyé par son propre business, auto-phage. Face à cette folie il faut apprendre à s'effacer, accepter de ne laisser aucune trace quand l'anonymat est perçu par beaucoup comme un martyre moderne.
English martyrs pointe une synchronicité avec son époque si bien qu'on en oublierait presque de parler musique tant il cristallise le présent. Et la première écoute ne pourra que confirmer ces impressions. L'album laisse une empreinte étrange et mélancolique. Ce que National Service avait en énergie, English martyrs l'a en émotions. En écrivant cette chronique j'avais l'impression de décrire un album de songwriter folk et non un disque de post punk. Comme si c'était important, comme si les étiquettes avaient une pertinence quelconque face au flot que l'on reçoit. Ce disque est avant tout un disque superbe, et on pourrait arrêter le descriptif ici. Pas besoin de name droping ni de jonglage d'encyclopédie du rock.
Comme le dit King Penda à la fin de Penda's Fen « notre terre doit vivre […]. Ta terre et la mienne s'enfonce dans les ténèbres maintenant ». Avant d'amener l'espoir, cet ultime espoir scintillant dans la main de celui qui veut y croire, celui qui saisit dans « In the home counties », touchant et fragile tout comme "Gold curtain" qui nous laisse démunis. Utiliser ces adjectifs pour ce groupe est une fausse nouveauté car ils ont toujours eu une mélancolie de fond. Cette fois elle s'insère dans la forme pour une entière réussite à laquelle je ne veux surtout pas adjoindre l'idée de maturité. Total Victory a toujours été mature, c'est juste que cette maturité évolue en fonction des expériences et des envies.
Et chez LGR on avait envie de vous partager cet album et l'expérience qu'il nous a fait vivre tant il résume notre époque, entre poussées de colère et mélancolie, contemplation saccadée car le mouvement du monde dans lequel nous sommes embarqués ne s'arrête jamais vraiment. English Martyrs est la bande originale de l'inquiétude moderne, où la beauté né de la tristesse et l'énergie de l'abandon.
Sorti le 5 juin 2017 en vinyle chez Specific Recordings co-réalisé avec Kerviniou Records