"Après un départ qui faisait croire à un retour vers ses mauvaises années, et qui fait plus figure de passage obligé pour contenter ses fans, le chanteur démontre que le regain d'inspiration n'était pas qu'un feu de paille et qu'il semble réellement être passé à autre chose."
Il y a bientôt 3 ans, début 2015, sortait l'inattendu The Pale Emperor, qui remettait Marilyn Manson sur le devant de la scène après une terrible traversée du désert artistique. Plus calme, très mélodique, toujours sombre, il permettait à la figure de proue de l'entrprise (oui parce qu'il n'est pas tout seul) de se réinventer de façon intelligente et mature. Finis les thèmes adolescents, à bientôt 50 ans, double M démontrait enfin qu'il était bien capable de maturité, et que ce que l'on avait entrevu sur Mechanical Animals (1998) et Holy Wood (2000) n'était pas une illusion. Après cette réussite aussi inespérée que bienvenue, on attendait une confirmation, car l'air de rien, bien qu'il ne soit plus une référence depuis longtemps et qu'on connaisse tous ses trucs par coeur, on garde une certaine sympathie pour notre épouvantail.
Heaven Upside Down opère dans un premier temps un retour aux années sombres de la discographie de Manson. "Revelation #13" annonce la couleur d'entrée : un Manson qui beugle, des riffs industriels déjà entendus mille fois, un refrain pas passionant... Franchement, après 25 ans de carrière, on peut pas avoir mieux ? Ce genre de trucs a pu faire son effet autrefois, mais des albums de Manson, Antichrist est sans doute celui qui a le plus mal vieilli. En ressortir les artifices 20 ans après, ce n'était pas forcément une bonne idée.
"Tattoed in reverse" et son beat hip-hop sont déjà plus intéressants, avant que le single "We know where you fucking live" ne reternisse un peu l'ambiance. Du Manson typique comme on aimerait ne plus en entendre, mais dont les paroles, qui ont un véritable sens (vous êtes surveillés, nous savons tout de vous), sauvent la mise (et le clip est rigolo). Ce qui fit la force des albums référence du chanteur, c'était d'une part des titres bourrins admirablement troussés, et d'autre part une grande variété au sein de l'album. Fort heureusement, de ce côté, on est servis, même s'il faut d'abord se fader l'insupportable "Say10" avant cela (quel jeu de mot fantastique).
Une fois que le baron des vampires teenagers a fini de faire tourner son fond de commerce, il se tourne vers des titres différents, rappelant en cela ce caractère caméléon qui fit sa renommée (ça et une attitude provoc' savamment orchestrée). "Kill for me", titre électro lancinant, fait l'effort de proposer de la mélodie, tandis que "Saturnalia" nous entraîne dans une boucle hypnotique de près de huit minutes qui fonctionne à merveille. Comme quoi l'homme est toujours capable de proposer de l'inattendu, voire de faire preuve d'inspiration quand il s'écarte de ses habitudes.
C'est là tout le paradoxe de ce personnage, capable de se transformer à l'infini, mais qui reste accroché à des gimmicks usés et dépassés, par facilité, ou par un sentiment d'obligation commerciale... A propos de gimmicks, "Jesus Cri$i$" se pose un peu là, même si le titre n'est pas foncièrement désagréable et que son leitmotiv est plutôt entraînant (I write songs to fight and to fuck to, If you wanna fight, then I'll fight you, If you wanna fuck, I will fuck you, Make up your mind or I'll make it up for you).
La dernière partie de l'album est peut-être la plus étonnante, et la preuve que l'on ne saura jamais vraiment sur quel pied danser avec ce gars-là. Manson propose une brochette de titres plutôt lents, sombres et mélodiques, à côté desquels on peut tout à fait passer pour peu qu'on n'y fasse pas assez attention. Le mélancolique "Blood Honey" rappelle clairement Mechanical Animals, mais pas seulement : suis-je le seul à lui trouver par moments des petites touches Paradise Lost ? Sans compter qu'au niveau des paroles, l'album n'est pas inintéressant et dépeint un monde brisé, dans lequel aucune promesse n'est tenue, où le capitalisme froid règne en maître, et que nous avons appelé de nos voeux. Comme si Manson s'était soudainement réveillé et s'était rendu compte que le monde contemporain lui offrait un terrain d'expression idéal. En résulte un net regain d'inspiration et d'ambition. Le morceau titre est doux-amer, très réussi, et peut s'appuyer sur un texte finalement assez poignant, avant de conclure avec l'ambiance cabaret de "Threats of romance".
Après un départ qui faisait croire à un retour vers ses mauvaises années, et qui fait plus figure de passage obligé pour contenter ses fans, le chanteur démontre que le regain d'inspiration n'était pas qu'un feu de paille et qu'il semble réellement être passé à autre chose. Un album plus étonnant et réussi que des premières écoutes pourraient le laisser croire, notamment du fait de ce départ poussif qui n'incite pas à découvrir le reste. C'est pourtant bien passé ces 4 premiers titres que l'on retrouve le Manson créatif qui nous avait séduits, et qui sait toujours le faire... quand il s'en donne la peine.
Sortie le 6 octobre chez Loma Vista / Caroline