Son nouvel album, Montreuil / Memphis, tout chaud juste sorti, Stéphane Sanseverino nous a accordé quelques instants.
Récit d'une rencontre où on a parlé de guitare, de musique, de Blues, de la vie quoi.
Tu as un long parcours musical, où le Blues a toujours été présent, mais comme caché derrière le jazz manouche, le swing. Pour ton dernier album, tu as complètement levé le voile. Pourquoi ce virage 100% blues ?
Oui, c'est ça, il n'y a plus rien qui cache! Et pourquoi, j'en sais rien. Enfin si... J'ai fait 2 albums de bluegrass archi-acoustique, et des festivals dans lesquels ont s'est retrouvé à ne pas avoir de son, parce qu'on jouait devant un micro, sans cellule, sans rien, une prise de son qui est très bien à la Maroquinerie ou au Bataclan, mais qui est l'enfer pourri quand tu es sur une grande scène. Pendant les balances, avec nos instruments acoustiques, je me disais que pour le prochain album, je ferai un truc qui bastonne, avec des amplis et tout, parce que là, j'en peux plus. On ne nous entendait plus. La France c'est pas fait pour ça, il n'y a pas de festival acoustique. Les gens ne veulent pas que tu joues fort mais ils ne savent pas prendre le son. Pas les ingés son, hein, c'est un truc général.
Et puis j'avais aussi envie d'un truc simple, avec des arrangements qui vont un peu tout droit, ou qui n'ont pas l'air d'être arrangés, des morceaux sur un accord. Et puis, parallèlement à ça, je bossais avec Marko Balland, l'harmoniciste qui est sur l'album. On avait envie de se voir plus, et il m'a simplement dit de faire un disque de Blues. Et c'est venu tout doucement. J'ai bossé sur un arrangement, puis deux, je voyais que tout tenait. Alors j'ai foncé dans un album avec des grates électriques un peu grasses, de l'harmonica amplifié, et puis des grilles simples.
C'est vrai que, chanté en Français, on ne peut pas vraiment appeler ça du Blues, mais je m'en suis inspiré dans le son, dans les rythmiques.
Tu dis que le Blues chanté en Français, c'est pour ça que tu as mis "Montreuil" dans le nom de ton album?
Oui, ça correspond bien, avec le côté Memphis. Ca faisait aussi un pied de nez à "Nashville ou Belleville", d'Eddy Mitchel. Et c'est aussi le titre d'une chanson, j'ai trouvé ça sans le faire exprès. Une course de vélo qui part de Montreuil jusqu'à Memphis. Je ne pensais pas au symbole "esprit français et musique américaine". J'aurai pu faire Honolulu / Singapour, ça aurait été la même chanson. C'est venu come ça, et c'est ce que ça reflète, effectivement. Je ne veux pas renier notre culture, celle de la java, de Django, des histoires qu'on se raconte ici, et la musique américaine que j'aime bien.
Tu es donc retourné à la guitare électrique?
En fait je joue de la gratte électrique depuis le début. Avant de faire mon premier album, je jouais déjà dans des groupes de rock, où on faisait des chansons simples. Comme dans mon tout premier groupe, qui s'appelait Renverse-Moi Chéri, et qu'on appelait RMC, rien à voir avec la radio, on appelait ça du fun rock, des histoires de rock à la con, en faisant du rock'n'roll. Après je me suis rendu compte que le swing c'était agréable, et puis que j'y arrivais. Alors j'ai fait un album, puis deux. Puis j'ai vu que tout le monde faisait ça. Alors j'ai dit "ouh, tout le monde fait ça, ça ne m'intéresse plus". En vrai j'adore toujours le style, je suis un fan de Django, mais je laisse ça aux autres. Il y a un côté poli maintenant, je suis très content que ça plaise à tout le monde, c'était plus une musique de bar avant. Mais trop de monde fait ça maintenant... C'est comme la guitare électrique, c'est autant fait pour faire du bruit que pour faire chier ses parents. Le Blues, le Rock, ça peut faire chier le monde, sauf les amateurs bien sûr, c'est un peu moins poli que le swing.
Tu as cette image de pas poli de la musique, tu as joué avec le Bal des Enragés, avec Schultz...
Oui, oui, oui! Mes grandes collaborations, ça allait de Sacha Distel à Schultz. J'aime bien jouer avec tout le monde. Et puis Schultz, c'était un bon pote, on se croisait dans les rues, on aimait la même musique...
Parlons guitare. Tu as mis en ligne une vidéo qu'on voit rarement dans le métier, où on te voit bosser un morceau...
Et où je n'y arrive pas! Oui, c'était au tout début. On a filmé la même chanson au tout début, quand j'ai commencé à travailler. Puis tu verras, il y a d'autres clips qui arrivent, où je la sais un peu mieux, jusqu'au dernier, où on arrive à la jouer bien., enfin du mieux qu'on peut (rires). On a trouvé que c'était une bonne idée sympa, que de voir une chanson quand au début tu ne sais pas la faire. Celle-là, elle a un truc un peu chiant, c'est que je commence un riff juste avant la fin de la phrase... J'aurais pu réussir en bossant, mais là j'ai fait exprès de travailler lentement, pour qu'on puisse filmer ça. Heureusement que je n'ai pas fait tout l'album comme ça! (rires).
Tu te sens chanteur ou guitariste?
Ben je ne sais pas... Je crois que je fais partie des chanteurs qui aiment bien la gratte, et des guitaristes qui ne chantent pas mal... Parce que dans le fond, quand je vois tout le côté show-biz qui me casse les bonbons, je préfère être guitariste. Et puis quand je vois tous ces mecs qui jouent hyper bien de la guitare je suis content de savoir chanter! Je ne suis pas le seul à faire ça en fait.
Pour cet album, tu as conservé un jeu simple, un blues imparfait à la John Lee Hooker, sans tomber dans la dextérité extrême.
C'est le truc que j'aime bien. Il y a un invité dans l'album, qui s'appelle Nico Duportal, un gros guitariste de blues, et je lui ai demandé de venir parce qu'il joue comme ça, des trucs simples, à la T-Bone Walker, pas du tapping ni du truc virtuose casse-couille. Et on en a parlé quand on a fait l'album, on ne fait pas des grands solos longs avec le guitariste qui joue pas fort, puis après tout le monde joue fort, etc... Faut du sentiment, on n'est pas obligé d'aller vite. On peut jouer très très bien, très très vite, mais c'est pas très beau. Satriani par exemple, il joue très très vite, mais très très vite je coupe. Même s'il a un truc dans les doigts, il va trouver des sons sans avoir besoin de milliers de pédales. Lui et Steve Vai, ça va encore. Malmsteen, c'en est drôle? Il est comme un bébé, "regardez comme je joue hyper vite", du coup tu as envie de le prendre dans tes bras! (rires). Mais d'une manière générale il y a moins de sentiments chez eux que chez John Lee Hooker ou BB King, où tu entends de la vie dans les notes. Nico et moi, c'est ce qu'on aime bien.
Memphis, le côté blues, on a compris. Mais pourquoi Montreuil?
Parce que c'est là que j'habite! Tu sais, mon exemple, ce sont les mecs de Zebda, de Massilia, qui passent leur temps à parler de Marseille ou de Toulouse, et je trouve ça génial. Comme les Fabulous Trobadors qui parlent de l'Occitanie, ou Nougaro, André Minvielle, tous ces gens qui parlent avec la terre qu'il y a autour d'eux, et j'ai oublié de le faire pendant longtemps. Moi j'ai envie de parler de la Croix de Chavaux parce que c'est mon quotidien, faut qu'on parle de notre vie. Sur un morceau, il y a un mec qui fait un tonneau, c'est logique que ça se passe à Croix de Chavaux. C'est vrai que j'aurais pu le faire mourir à Nevers, ou à la Roche Migennes parce que ça sonne, mais non, j'ai envie de parler de là où j'habite.
Tu es quelqu'un avec des valeurs. Quand tu reprends "Le Mitard", chanson de Trust d'après un texte de Mesrine, c'est pour dire quoi?
Il y a deux raisons. Je sors d'un album qui s'appele Papillon, où j'ai beaucoup parlé du bagne, et c'est un sujet qui m'intéresse. Et puis je voulais fêter le retour de Trust. Je trouvais qu'ils manquaient. Et puis cette chanson elle est belle, dès que ça rentre, dès que on entend "Oui Madame", on est dedans. C'est une reprise qui a du sens pour moi. J'ai entendu cette chanson plein de fois. Je ne voulais pas faire "Antisocial", c'est trop évident. J'aime bien ce poème. Il est splendide. Le mec il a une vision incroyable, alors qu'il n'est plus personne, enfermé dans son truc, enfermé dans sa cour, avec des grillages à 3 cm de sa tête, comme sur la célèbre photo où il est pris d'en haut. Et moi j'ai une tendresse particulière pour les mecs qui sont en train de purger leur peine. Je ne dis pas qu'ils ne la méritent pas, il y en a qui la méritent, comme il y en a qui ne la méritent pas, des ereurs judiciaires. J'ai un truc avec les détenus, et ce qui se passe en prison m'intéresse. Dès que je peux je m'implique, en faisant des concerts, des ateliers d'écriture...
Tu as ressorti tes guitares électriques. Si tu dois en sélectionner une, ce serait quoi?
C'est une Jazz Master de James Trussard. Elle n'est pas creuse, elle est en bois avec des alvéoles, et recouverte de métal. Elle n'est ni métal, ni bois. En fait elle est bi. (rires). Et sinon j'ai aussi une Jazzmaster Fender et une gratte d'un luthier qui s'appelle Roadruner. En acoustique, j'ai une vielle Martin de 36 et une gratte de folk américaine, une Collins, flambant neuve, très bien pour le picking. Des guitares pointues en général, parce qu'il faut que ça réponde bien. Au cas où je mets les doigts à côté, il faut que le truc il réponde quand même.
Tu as un style d'écriture très personnel, à la Audiard, à l'ancienne.
C'est comme ça que j'ai envie d'écrire, que je parle. J'ai pas envie d'écrire mes paroles comme Fauve ou La Femme, sous prétexte que ça vend des disques. J'cris les chansons comme j'ai envie. Je ne parle pas comme les ados. Mon style c'est plutôt le louchebem ou le verlan. On parle différemment, mais on peut se comprendre. Je ne vais pas faire exprès de parler comme on doit, pourquoi? Pour vendre des disques? Je n'y pense jamais quand j'écris! Je parle à une frange de gens plus jeune ou plus vieux que moi. Les ados n'aiment pas trop ma musique, mais je n'y peux rien. Je ne vais pas changer mon style, ce ne serait pas naturel. C'est comme ça vient.
En parallèle de ton album et de tes occupations personnelles, tu donnes toujours autant de ta personne pour d'autres projets?
Oui, dès que je peux transmettre quelque chose, j'essaye. Les Idiots par exemple, qui pourtant ont de la bouteille, ils avaient besoin d'un oeil extérieur. Il y a un truc visuel obligatoire, même sans mise en scène. Et l'oeil extérieur est important. On ne peut pas faire des concerts à la misère, tu vois, avec ta gratte, ton sale pull, et tu te fous du visuel. Mes idoles, pour ça, c'est Rammstein. 100% visuel, et 100% à fond. C'est bien quand il y a quelques trucs visuels, et quand c'est à peu près construit. Avec les Idiots, j'ai mis une semaine pour que Mika accepte de prendre une sangle, il voulait jouer de la grate assis, moi je trouvais que ce soit mieux qu'il soit debout de temps en temps. C'est des trucs que les gens ne perçoivent pas forcément, mais quand il y a un peu de mouvement, même un peu imperceptible, ça ajoute un truc. Et puis d'était bien de bosser ensemble. De dire à Guillaume de jouer avec sa sensibilité, de ne pas en faire des caisses quand le texte est suffisamment explicite... C'était bien de faire des trucs ensemble.
Sanseverino, Montreuil / Memphis, sorti le 22 septembre 2017 chez Sony.
Sanseverino sera en tournée dans toute la France, les dates sont ci-dessous chez Digitick :
Au Bataclan le 27 novembre 2017.