Cela fait déjà une année que la très bourgeoise Pleyel s’encanaille en offrant son cadre prestigieux à des chanteurs de variétés, de vulgaires amuseurs, voire à des "groupes de rock and roll". A l’image des Madness, elle les choisit de préférence légendaires, pourvus de fans vieillissants plus enclins à poser leurs fesses sur ses fauteuils de velours rouge, plutôt que les casser… Ceux-ci apprécient le cadre cossu, le jeu de lumière pharaonique et un son audible pour leurs sonotones. Ce soir là néanmoins, de vieux rude boys et quelques rares nutty girls avaient choisi de se tenir devant debout et chaud par la même occasion en squattant le peu d’espace. Quiconque a un jour tenté de skanker assis, peut comprendre leur choix…
Sous les casquettes ou les fez façon "Nightboat to Cairo" gracieusement offerts par la prod, la raréfaction capillaire est moins due à la coupe réglementaire qu’à une calvitie de bon aloi. On aperçoit ça et là quelques Pork pie et autres trilby qui couvrent des chefs. Mais la casquette de golfeur se taille la part du lion, autant que la chemisette Fred Perry ou le blouson Harrington. Cessons là cette chronique mondaine aux prétentions sociologiques et glosons sur le concert. Sur l’honnête première partie pour commencer, offerte par les londoniens de Chainska Brassika. Un mix habile de ska et de dub, un chanteur à l’élégance toute britannique et au timbre soigné, un trio de cuivres rutilants, la cover de rigueur (Toot and The Maytals)… Tous les éléments sont là, mais il manque cette rugosité propre aux groupes ska pur jus. Il n’y avait pourtant à aller bien loin pour les trouver ; 8° Six Crew, Skarface et autres Two tone club, pour n’évoquer que l’Hexagone, officient toujours. On nous objectera que Madness n’est plus ska depuis des lustres et que de fait, il y a une évidente cohérence. N’empêche, on aurait nettement préféré le dirty reggae des californiens des Aggrolites…
"Mesdames et Messieurs, nous vous invitons à une entracte de vingt minutes. Le bar est à votre disposition". Les vieilles habitudes ont le cuir épais à Pleyel. On patiente en observant le manège des jeunes ouvreuses qui amènent les nutty boys à leurs fauteuils. L’un d’eux, un brin décontenancé par une telle sollicitude, se fendra d’un "j’ai essayé de trouver ma rangée, mais je n’avais pas mes lunettes…". Faisons preuve d’un peu d’indulgence que diable ! Reproche-t-on à Lee Thompson, l’ineffable saxo ténor de Madness, sa tenue vestimentaire lorsqu’il paraît sur scène avec ses vieux potes. Le gilet jaune de sécurité enfilé à même un complet de tweed bleu, c’est "so british"… En l’absence de Chas Smash - side-kick au chant de Suggs et démissionnaire depuis 2014 – c’est le père Lee qui va être la vedette tout au long du show. Grâce au son reconnaissable de son ténor, reconnaissable entre tous et par les facéties d’auguste auxquelles il se livre avec Suggs. "Vive la France, Vive les folies" déclame ce dernier. Et d’ajouter ; "Can’t remember first time I came in Paris…" Est-il utile de vous préciser que les Madness se sont débarrassés d’entrée de leur tube historique "One Step Beyond" pour mieux faire entendre des compos plus récentes telles que "Herbert", "Mister Apples" ou des vieilleries moins connues telles que "Wings of a dove". La surprise ne vient pas tant de "Blackbird" hommage à Amy Winehouse, qu’une reprise chaloupée de " Oh My love" de Lennon…
Si Suggs et Thomson passent leur temps à amuser la galerie, Chris Foreman et Mark Bedford, respectivement guitariste et bassiste tout autant au devant de la scène, gardent un flegme tout britannique. Comme souvent à la batterie, Dan Woodgate se fait discret autant qu’efficace et quant à Mike Barson aux claviers, pièce pivot du combo, il faut avouer qu’il sera parfois difficile de l’entendre à sa juste mesure… Et côté public au fait ? De bons feed-back à la prestation de Lee Thompson sur "Mumbo jumbo" et du délire sur les derniers morceaux, surtout sur "Our house", tube planétaire s’il en est. Le rappel lancé avec "Madness" et conclu par "Nightboat to Cairo" sera sans surprise à l’unisson. "Always look on the bright side of life", l’air de Life of Brian des Monty Python est diffusé alors que le public quitte sagement la salle. Un clin d’œil à la pochette du very best of "Full house" qui pourrait être également la devise de Madness…