Lorsque l'on cite le groupe Europe, les réactions se scindent en deux pensées distinctes, correspondant à deux types d'auditeurs. Ceux qui se sont arrêtés après leur première période, nostalgiques ou moqueurs de ce qui précède Prisoners In Paradise, et qui resteront amoureux ou détracteurs, selon goûts, de ces titres très typés des années 80. Et ceux qui ont écouté l'après Start From The Dark et, qu'ils aiment ou pas, ne peuvent que reconnaître un changement drastique. Ici, on est passé du rire compulsif à l'annonce d'une reformation à l'attente impatiente de chaque nouvel album. Comme quoi, chaque artiste peut surprendre.
En cinq albums aux intentions drastiquement différentes, tant les uns des autres que pour dénoter d'une période très marquée dans les esprits des fans et des détracteurs, Europe s'est forgé une identité à toute épreuve. Celle d'un groupe évoluant sans cesse, capable de totalement se détacher de ce qui faisait sa réputation mais gardant suffisamment de gimmicks pour ne perdre personne. On le verra sur leurs prestations scéniques, mettant énormément en valeur leurs nouveaux efforts (et ne les rangeant pas au placard une fois la tournée promotionnelle terminée, comme une majorité de formations ne survivant que par leurs classiques) mais n'oubliant pas de jouer des morceaux certes datés mais gardant une énergie et un charme indéniable.
Avec Bag Of Bones et War Of Kings, Europe avait encore franchi un nouveau palier, troquant des claviers typés metal mélodique pour un orgue Hammond ne reniant pas les origines 70's, particulièrement celles de Deep Purple que le groupe remercie régulièrement (jusqu'à les accompagner sur les dates anglaises de leur tournée pour cinq concerts plus qu'à la hauteur). Progressions plus poussées, morceaux à la fois plus épiques dans leurs ambiances mais moins kitsch dans leurs constructions, le groupe a définitivement grandi et prouvé qu'il y avait une vie après le glam. Évident alors que Walk The Earth poursuive cette logique avec brio.
Les cinq gaillards ont bien compris qu'il ne s'agissait plus de pondre des hymnes bourrés de clavier à outrance, et que la course au refrain parfait et ses chœurs "à répéter" n'offraient sur la longueur qu'un énième écueil. Les morceaux sont dans dans une fable d'un rock plus brut, sans retirer un certain aboutissement. Loin des trois notes destinées à rentrer en tête ou des nappes calibrées pour souligner des ballades d'un bien mauvais goût, les claviers offrent ici des arrangements bien plus travaillés, indispensables aux compositions, démontrant que Mic Michaeli a bien plus à offrir qu'il n'aurait pu y paraître. À son instar, les interventions de John Norum seront bien moins démonstratives que ce que l'ancien style imposait. Des solos moins techniques, moins déferlants, mais plus inspirés, ressentis et mélodiques.
Mais Europe parvient malgré tout à conserver des mouvances accrocheuses, qui accompagnent l'auditeur d'un bout à l'autre sans le lâcher. Les refrains qui marqueront les esprits sont donc toujours de la partie, tant le groupe sait construire ses morceaux, mais sembleront bien moins putassiers et en cela bien plus proches d'une démarche artistique. À l'image d'un Last Look At Eden, qui nous avait déjà laissés pantois, on n'est plus dans la folie qui nous fout l'envie de remuer dans tous les sens en chantant à tue-tête, mais bien dans l'écoute, celle qui nous ébahit devant des mélodies parfaitement construites. Ils le disent eux-même, fendant leur nouvelle époque comme des champions, ceux qui ont réussi à s'affranchir tout en conservant leur aspect fédérateur par leur force de composition. Au-delà du côté soudé, les membres ayant tous fait partie de l'ancienne identité du groupe, la véritable force de Walk This Earth sera en la personne de Joey Tempest. Le chanteur a totalement revu et réadapté sa tessiture pour travailler sa puissance, et le rendu est plus que réussi.
Alternant les morceaux épiques et contemplatifs ("Walk The Earth") et des titres plus énergiques ("Election Day", "The Siege"), l'album est varié, et s'il ne réinvente rien, deviens instantanément une référence d'un genre généralement de moins en moins inspirés. Nul doute que le groupe a encore de beaux jours devant lui s'il continue à sortir des brûlots de cette qualité.
Sorti le 20 octobre 2017 chez Hell and Black