The Chromatics… Un nom qui augure d’une musique étrange, peu « naturelle » pour les oreilles formatées par les prod’ des super directeurs artistiques qui nous pondent la soupe servie sur les FM depuis les années 1990. A l’instar des dièses et des bémols auxquels son nom fait référence, le groupe privilégie une approche non conventionnelle, quitte à rester underground. Leur troisième album Night Drive a pourtant réussi à gagner une certaine reconnaissance grâce à la présence d’un de leurs titres sur la bande originale de Drive, sorti l’année dernière et qui a connu un joli succès en salles. Le groupe a pris son temps (plusieurs de ses membres étaient également occupés sur un autre projet) et a sorti le 26 mars dernier son nouvel album, Kill For Love. Il s’agit donc d’une chronique en retard, mais mieux vaut tard que jamais ! Le refus de la facilité est ici symbolisé par le fait qu’il s’agit d’un double album, entreprise hautement risquée, ce d’autant plus après le succès critique et public de Night Drive. Mais comme on l’a dit, le combo de Portland n’a pas peur de grand-chose.
Quelque part entre rock et électro, influencé par le meilleur des années 1980 sans jamais verser dans la nostalgie, Night Drive avait impressionné par sa capacité à ressusciter une pop électro vaporeuse tout en lui donnant un sérieux coup de jeune. Le groupe poursuit ici son évolution sans forcer. Les quelques notes de guitare qui introduisent « Into the Black », bientôt relayées par un piano discret et des voix désincarnées, nous entraînent sans attendre dans l’univers fantomatique des quatre musiciens. On se retrouve bientôt perdus entre titres planants doucereux (« Candy ») et autres plus rythmés qui nous rappellent le post-punk des années 1980 (« Kill for love », Back from the grave »), avec une classe directement inspirée des années 1990. L’ambiance reste toujours délicieusement feutrée, délicates, comme un rêve dans lequel on perd nos repères sans que cela soit d’une quelconque importance.
On pense autant à Brian Eno qu’à Slowdive et beaucoup d’autres le long de cet étrange voyage aux mille sonorités, alors que des titres instrumentaux viennent parfois s’intercaler entre les titres chantés. Les Chromatics ne respectent aucune règle, aucune loi, et se contentent de bosser leur musique et d’aller au fond de leurs envies. Car s’il y a bien une chose qui ressort de ce Kill for Love, c’est qu’il est terriblement abouti. Et terriblement réussi. Après être passé par des titres longs et déstructurés, un petit bijou comme « Birds of Paradise » ne peut décemment laisser personne insensible. Sur cet album, les musiciens ont atteint une autre dimension, celle des grands. Car si l’on peut toujours rester insensible à ce qu’ils proposent, il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître la maestria avec laquelle ils affirment leur identité musicale, à contre-courant des modes, insensibles à ce qu’il se passe autour d’eux.
Le quatuor était déjà arrivé à maturité sur Night Drive, mais réalise ici un petit tour de force. Légèrement rétro sans pour autant verser dans la facilité grasse où échouent bon nombre d’opportunistes qui tentent de surfer sur la vague « le rétro c’est chic », point d’équilibre à la croisée de chemins contraires, ode à la sensualité et à la nuit, Kill for Love s’affirme au fil des écoutes comme un des indispensables de cette année.