La rencontre de deux mondes qui n’ont rien en commun, ce pourrait être le début d’un film, c’est en fait le synopsis de la soirée du 19 décembre au Trianon. Car la scène de la Belle Epoque, tout en dorures et en colonnes, accueillait les agités de Gogol Bordello, qui ont mené un spectacle enflammé.
Le cadre luxueux et feutré du Trianon évoque plutôt le théâtre et l’opéra, mais la beauté de sa programmation est justement d’accueillir des artistes complètement décalés dans ce décor. Le concert du 19 décembre en est le parfait exemple, puisque Gogol Bordello, accompagné du groupe de funk / jazz / rock / fanfare Lucky Chops, a décidé de réveiller définitivement les âmes de Toulouse-Lautrec et Mistinguett.
Le groupe a choisi une chanson particulièrement énergique et accrocheuse, "Break into Your Higher Self", issu de leur dernier album Seekers and Finders, pour ouvrir les hostilités. Avant même que le chanteur Eugène Hütz débarque sur scène, le public chante à tue-tête les chœurs et se met à danser frénétiquement. Le mouvement de foule est tel que nos pieds se mettent irrémédiablement à bouger dans tous les sens. Et ce n’est pas un abus de langage : les mouvements du public font vibrer le sol de la salle et le transforme en trampoline géant !
Si la première chanson est une intro parfaite, on pourrait en fait en dire autant de la majeure partie des titres de la formation. L’expression est un peu galvaudée, mais ses morceaux sont taillés pour le live, et les musiciens sont parfaitement chez eux sur scène. La musique gipsy punk, qui emprunte à la fois au reggae, aux musiques slaves et aux mélodies latines, est suvitaminée, festive, dansante et déborde d’énergie plus que communicative. Difficile de résister à "Not a Crime", "Wonderlust King", "Mi companjera" ou "Immigraniada". Les thèmes ont beau être très politiques - et toujours d'actualité pour la plupart des vieux morceaux, en concert, ils prennent une tournure encore plus festive.
Cela se constate d’ailleurs dans la salle : si la fosse se déchaine dès le début, aux balcons, les spectateurs sont au début du concert très occupés à filmer la scène depuis leur siège. Mais, à mesure que les chansons s’enchainent, on voit de moins en moins de téléphones (même si ces saletés ne disparaissent jamais complètement) et de plus en plus de spectateurs debout pour se trémousser.
Le groupe possède autant d’énergie que sa musique. Si Alfredo Ortiz ne brille guère, planqué derrière ses futs, Pasha Newmer arpente la scène avec son accordéon, tout comme le guitariste Boris Pelekh qui alterne folle agitation et moments d’accalmie. Sergey Ryabtsev au violon et Tommy T à la basse sont plus réservés mais ne sont tout de même pas en reste, et arborent comme à leur habitude de magnifiques couvre-chefs. Le violon ressort d’ailleurs particulièrement bien et hypnotise auditivement.
Mais le trio qui prend le plus de place, ce sont Eugene Hütz, la chanteuse et percussionniste Pamela Racine et son comparse Pedro Erazo. Elle, apparue sur "Saboteur Blues" - avec des paroles en français, fait des allers-retours entre la scène et les coulisses, ramène une grosse caisse sur la fin, se déhanche, magnétise la foule. Lui passe plus de temps derrière ses percussions, mais les quitte régulièrement pour prendre possession du micro tout en haranguant la fosse.
Mais c’est Eugene Gütz qui attire le plus l’attention. Il est partout, avec son accoutrement un peu improbable – on dirait qu’il a mis un pantalon pour aller à la pêche -, sa façon de se mouvoir si particulière, un peu saccadée, et son accent reconnaissable entre tous. Non content d’arpenter la scène dans tous les sens, il ira même jusqu’à faire du crowd surfing perché sur le tambour de Pamela Racine.
Et comme si les huit membres du groupe ne suffisaient pas, ils font revenir sur plusieurs morceaux trois des membres de leur première partie Lucky Chops, ce qui permet d’apprécier, là encore, l’énergie de ces musiciens. La chaleur de leurs cuivres donne à plusieurs morceaux de Gogol Bordello, "Walking on the Burnin Coal" et "We Rise Again" notamment, une épaisseur supplémentaire, les rendant à la fois plus entrainants et plus consistants. Ajoutez à cela un slammeur qui passe de temps pour se jeter dans la foule, et vous aurez une idée de l’encombrement de la scène.
C’est ultra galvanisant, et le groupe réussit assez bien à faire le tour de son vaste répertoire, du moins depuis Gipsy Punk : Underdog World Strike, car rien d’avant 2005 ne sera joué. Néanmoins, dans la seconde partie du set, les ponts musicaux tendent à être rallongés artificiellement, ce qui finit par être un peu lassants. Les parties plus calmes ne nous emballent pas non plus outre mesure, même s’il n’y a rien à y redire techniquement – du moins quand on se trouve en milieu de fosse, plusieurs spectateurs devant les barrières se plaignant après coup d’un son affreux.
Lors du rappel, le groupe au complet conclue sur l’imparable "Pala Tute", à la mélodie entêtante et au rythme dansant. Après cette ultime occasion de danser, Eugene conclue le show seul à la guitare sur "Sun Is on My Side". Pas déplaisant, mais dispensable, long, et pas forcément à sa place en tout dernier morceau. Peu importe, cela ne fera pas oublier que le groupe multiculturel sait toujours, avec son message engagé, réchauffer les corps et les esprits, même au cœur de l’hiver.
Setlist
Break into Your Higher Self
Not a Crime
Wonderlust King
Ultimate
Saboteur Blues
My Companjera
Alcohol
Walking on the Burning Coal (with Lucky Chops)
Trans-Continental Hustle (with Lucky Chops)
Immigraniada (We Comin' Rougher)
We Rise Again (with Lucky Chops)
Rebellious Love (with Lucky Chops)
Mishto! (with Lucky Chops)
Hieroglyph (with Lucky Chops)
Undestructable
Start Wearing Purple
Sally
Rappel:
Familia Bonfireball
Pala Tute
Sun Is on My Side (Eugene Solo)
Crédit photo: Arnaud Dioniso
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