Nous étions au Parc des Expositions de Rennes samedi 9 décembre. Bilan d’ensemble de cette soirée, essentiellement passée – avouons-le tout de suite – collés dans le hall 8 : beaucoup de danse et de chaleur. Même si les guitares nous auront un peu manqué.
Mais d’abord, une parenthèse et un flash-back : nous en prîmes une bonne dose la veille, de guitares, sous la forme d’une jolie surprise de Noël anticipée. Au Bateau Ivre, fidèle et discrète institution rennaise à quelques encablures de la place Saint-Anne, nous n’étions venu chercher qu’une pinte de bière bretonne. Nous sommes tombés sur un concert, gratuit, en dehors des circuits des Bars en Trans, festival du centre ville destiné à ceux qui n’ont pas le cœur à affronter la navette et les grands halls du Parc Expo. Victimes de leur succès et de leurs tarifs abordables, les Bars en Trans sont devenus moins praticables au fil des ans, en raison de la densité des foules et de la nécessité conjointe de faire le siège des rades tôt dans la soirée. Surprise d’autant plus plaisante donc, de se retrouver en dehors des clous et pourtant en pleine fête rock.
Gordini n’est pas qu’un constructeur automobile. Le quatuor rennais (à ne pas confondre avec un autre groupe énervé du même nom, toulousain celui-ci) s’est emparé de la petite scène au fond du bar, avec ce qu’il faut de kilos de matos et d’énergie pour saturer l’espace et mettre tout le monde d’accord. Actif depuis 2008 et présenté comme un groupe de « noise post rock », Gordini s’impose immédiatement sur scène comme un héritier des Américains hardcore de Fugazi. Lignes de basses ronflantes et groovy, jeu avec les motifs des petites cordes, alternance de grincements bruitistes et de montées lyriques saturées. La voix est certes plus fragile et plus rare – et serait sûrement davantage la bienvenue pour décupler la puissance de certains morceaux. Gordini laisse plus de place à ce que l’on qualifie désormais de math rock, et moins au plus traditionnel punk.
De ce live, on retiendra surtout la maîtrise et la précision des quatre trentenaires grisonnants – leur expérience est audible. Ambiance un peu étrange au Bateau Ivre toutefois : relativement peu de monde dans la salle, des habitués surtout, sensibles certes à la performance de Gordini, mais pas dans l’humeur la plus dionysiaque. La faute au froid ? Au désir de se préserver ce vendredi en attendant la suite ? Bien agréable de pouvoir poser ses fesses sur une marche et son nez juste sous le manche de la guitare ; mais du point de vue du groupe, le spectacle des corps serrés et remuants a dû manquer…
Gordini en live à Rennes trois ans plus tôt, au mythique club Le Mondo Bizarro
Au Parc, donc, le lendemain. Nous assistons au live des Dynamic Blockbuster. L’ensemble français de cuivres (saxos, trombones, trompettes, soubassophone) se relayant en frontline puis se retirant pour gérer les boites à rythme, porte bien son nom. Soutenu par les rythmiques chaleureuses, leur musique est très funk, mais intègre des moments plus soul, des couleurs hip-hop, des soli jazz.
La formule est dansante, efficace, brasse large : formation typique des Transmusicales. Ca chauffe doucement dans le hall 8.
Programmés ensuite, les Britanniques de Snapped Ankles emportent les palmes de La Grosse Radio. Ce n’était pourtant pas gagné. Quatre énergumènes au look de trappeurs, couverts de fourrures et de bois de cerf, changent le hall en forêt psychédélique. En prenant leur temps… Ca sature, ça sature, ça couine synthétique, avant que la batterie – minimaliste, aux éléments bien réduits – n’arrive, lente et tribale. Début de concert krautrock, languissant, et si ce n’était les accents typiquement britanniques des scansions vocales, lointaines, on en viendrait à se demander si on n’a pas été trompé sur la marchandise. Nous sommes loin de la brutalité tubesque du single « I Want My Minutes Back ».
Le deuxième morceau cavale davantage, soutenu par des basses monotones et des claviers poisseux. Nerveux et psyché, certes, mais la musique reste abrupte, sèche, et on se prend à craindre que la formule ne soit limitée. Côté chant, il ne suffit pas de déblatérer nonchalamment dans le style de feu Alan Vega pour donner de l’âme à un live. Bien heureusement, Snapped Ankles a su nous éveiller. Le troisième morceau, « Come Play The Trees », boucle des mélodies de vibraphones, installe une atmosphère de berceuse amazonienne cahotante qui n’est pas sans rappeler certains titres de The Knife. Et après quelques cavalcades nerveuses, plus electro-punk, voilà soudain qu’explose un riff blues. Voilà ce qu’il fallait d’appui et de chaleur rock’n’roll pour rendre ce bois psyché plus habitable. Plutôt que de piétiner froidement, nous pourrons aussi headbanger jusqu’à la fin du set. Sous la fourrure sont enfin apparus des rockeurs shootés à la transe.
Après le tube précité, le set s’achèvera sur une longue envolée krautrock généreusement arrosée de riffs de guitares et de synthétiseurs seventies, et scandée par des ruptures hard-rock (!). La température aura mis du temps à monter, mais le hall 8 est cuit à point. Savoir gérer la progression d’un set n’est pas la moindre des qualités. Le premier album de Snapped Ankles, Come Play The Trees, est paru en 2017 chez The Leaf Label.
Jolie formule ensuite que celle de Tshegue. Estampillé afro-punk, le groupe fondé par la chanteuse d’origine congolaise Faty Sy Savanet et le percussionniste Nicolas Dacunha a la sécheresse du punk noyé sous les percussions. Résolument dance donc. Il ne fallait pas s’attendre à voir s’épanouir les boucles cuivrées de l’afro beat. Dommage, peut-être, car elles auraient pu apporter un peu de chaleur et de diversité. Il faut dire que les morceaux de Tshegue ont tendance à être interminables ; et que l’énième faux final, suivi de l’énième reprise du même rythme, peut lasser. De même l’ânonnement rythmique du nom « Tshegue » par la chanteuse Savanet. Heureusement que le groupe savait puiser dans des bases blues-rock, pour donner un peu de souplesse à l’ensemble. Saluons quand même l’énergie punk de Tshegue, qui, s’il ne révolutionne pas la musique afro, reste une machine à danser. Le morceau « Survivor » en est un sommet.
Pour terminer – car nous épargnerons à nos lecteurs le mix de Deejay Irie & MC Sherlock, duo hip-hop retenu pour clôturer le Parc cette année, et qui à force de virtuosité speed donnèrent dans un grand n’importe quoi amusant mais d’un goût fort douteux… – nous parlerons de Moon Hooch. Proches concitoyens de Too Many Zooz, trio américain convié aux Trans en 2014, Moon Hooch participe d’un courant (également représenté par les Allemands Meute) intitulé « techno brass ». On vous laisse méditer : la fanfare cuivrée se plie à des rythmes techno, les créant elle-même parfois sans assistance. Machine à danser, derechef ; et c’est ce que nous avons fait. Intéressant de voir comme Moon Hooch s’aventure parfois avec brio jusqu’au dubstep. Est-ce toujours de bon goût ? C’est une autre question…
N.B. : on les a ratés ce soir, mais on vous en parle quand même : Viagra Boys. Ils sont de Suède, et leurs enregistrements sont aussi poisseux que leur nom est bête. Pain béni pour live apocalyptique ? A surveiller.