De retour aux Mains d'Oeuvres de Saint-Ouen - toujours sans bail, toujours sur le pont - pour la dernière soirée du festival MO'FO 2018. Certes moins rock'n'roll que la précédente, et pour autant pas exempte de découvertes élégantes et fines.
La découverte phare du samedi, une nouvelle fois en début de soirée (eh !) s’appelle Musique Chienne. Sous son nom de moissonneuse-batteuse électroclash, Sarah-Louise, vissée derrière sa table, joue en fait une electronica fine et élégante. Oui, derrière « electronica », on a tendance à caser n’importe quoi – tout type de musique électronique chiadée qui parle plus à la tête qu’aux jambes. La musique chienne en question se construit tout en délicatesse planante, en particulier à base de percussions exotiques et cristallines, notamment de xylophones. « Je suis percussionniste », nous avoue Sarah-Louise ; ça se voit. L’empilement, la variété des rythmes déjouent tout ennui. Les textures elles-mêmes sont variées, peuvent évoquer le kitsch plaisant des années 80 ou les mécaniques orchestrales de certains titres apaisés d’Aphex Twin. Ajoutons à ça les commentaires naïfs (« j’aime bien ce son-là…»), en mode « je dis ce que je fais », par une sorte de midinette yéyé désinvolte, ainsi que les paroles françaises d’une poésie minimaliste, aux titres désarmants (« Grosse Pierre », « Papillon de Nuit », « Croquignolette » - « c’est l’histoire de la petite souris pour achète un cadeau au supermarché…»). Le tout est charmant en diable.
Musique chienne
Malgré l’invasion de l’électronique dans la musique pop, ils sont rares, ces instants où l’on peut parler de compositeur. Sarah-Louise en est une sacrée, de compositrice.
Autre solitaire français, Lonely Band porte bien son nom. Nouvelle rupture en guise de transition : sur scène, les instrus minimalistes sont préenregistrées (souvent même baissées à la main pour un effet de fade-out (!)), à l’exception de la guitare, adoptée ponctuellement pour égrener des accords simples. Tout est bâti autour de la voix. Crooner électro-pop, Lonely Band bénéficie d’un spectre vocal large, et sait en jouer, passant entre les titres du français à l’anglais. Musique assez artisanale somme toute – et ayant peut-être vocation à le rester – ce qui fait excuser l’accompagnement sans élaboration aucune, au profit d’un envoûtement progressif et léger. Sourire aux lèvres et des valoches sous les yeux, le grand gaillard bisounours en marcel évolue de part et d’autre d’une douche de lumière, en susurre ses balades. C’est tout, et ça suffit.
Lonely Band
Nous passerons malheureusement rapidement sur Lispector. Julie Margat, auteure-compositrice expérimentée qui a emprunté son nom de scène à l’écrivaine brésilienne Clarice Lispector, semble débiter sur scène ses ballades lo-fi avec un enthousiasme, comment dire, limité. Déjà que ses enregistrements, chiadés, n’encouragent pas à l’énergie, il convient qu’il se passe quelque chose sur scène. On ne l’a pas attendue très longtemps pour tout avouer.
Autre déception avec Dollkraut Band, trio hollandais entre pshychédélisme krautrock et électro rétro et cinématographique. Certes, la basse est joliment amplifiée, moelleuse et dure à la fois. Une mélodie perchée au synthé, quelques percus exotiques, on se prendrait presque à danser (et à pardonner le formidable mulet platine du batteur au passage). Pas longtemps malheureusement : la musique ne bouge pas, vire au martèlement binaire avec cinq mêmes notes en boucle. La dépense de sueur des musiciens n’y change pas grand chose, on reste dans l’ordre du piétinement. Devant un film fantastique des 70’s, on prend. Sur scène, on s’endort.
Étonnant moment qui nous a conduit progressivement de nouveau le nez sous la « grande » scène du MO’FO face à Andrew Lung. Ancien bassiste de la petite sensation de Manchester du début des années 2010 Wu Lyf, Tom Macclung, qui a apparemment déformé son nom pour l’occasion, s’est mis à la « pop sophistiquée ». En terme de sophistication, nous avouerons que notre première pensée fut : « au secours ». La musique de Francis Lung, tout en joie majeure, apparaît d’une simplicité absolue. Mais elle est en même temps, comme nous l’avons vite reconnu, d’une solidité totale. Très anglaise en somme.
Andrew Lung
Sorte de geek dégingandé, vêtu de paillettes collantes tout comme l’ensemble des musiciens, Tom Macclung semble à la tête d’une bande d’insupportables hippies disco alentis. Et en fait, en fait… Cette pop presque mièvre s’avère vite funky et imparable. Elle dévoile des montées saisissantes et de fines ruptures rythmiques. Mais l’arme secrète de Francis Lung, c’est cette voix, en retenue apparente, qui éclate soudain avec puissance dans les aigus – et dans ton estomac. Le titre “Back One day” en est un bel exemple hédoniste. Surprenant navire glitter, décidément…
Pour finir, nous sommes restés collés devant Rizan Said. Briscard syrien du synthétiseur, il a notamment accompagné Omar Souleyman. Moment de pure dance moyen-orientale, où le bonhomme, pas poseur pour un sou, fait son job planté sur ses jarrets et concentré, la main capricante sur son instrument. Rizan Said réalise en fait de très nombreuses mélodies à la main, en direct, et même des transitions à la percu ! Certes sans surprise, mais redoutable.
Rizan Said
Touchant aussi de voir le musicien d’abord patibulaire timide et souriant face aux Parisiens branchés lui réclamant à corps et à cris un rappel, ce que la régie persista à refuser plusieurs longues minutes. Le rappel enfin obtenu – rare au MO’FO – des jeunes Syriens en goguette se pressent pour le remercier et lui serrer la main. Un joli moment.
