La Grosse Radio se perd à nouveau dans ces Nuits brumeuses de l'Alligator. 13ème édition pour ce festival itinérant et comme les années précédentes une programmation à toute épreuve. Destinée à celles et ceux qui savent que le blues est la matrice des musiques qu'elles/ils aiment. Aficionades de blues blanchis sous le harnais ou trentenaires à l'oreille pointue, toutes et tous trouvent leur bohneur dans une programmation toujours surprenante et passionante. À l'image du duo belge, The Goon Mat & Lord Benardo qui ont laissé tourner longtemps leur blues pétaradant dans le garage. Ou les frenchy d'Automatic City qui mixent un delta blues et des rythmiques caribéennes. Quant à Deva Mahal, fille du bluesman Taj Mahal, elle est sans aucun doute LA chanteuse soul qui va tout casser dans l'avenir !
Comme souvent, le groupe qui commence une telle soirée ne fait pas salle comble. Mais gagne en qualité ce qu'il perd en quantité. Les mordu·e·s de blues se pressent au bas de la scène, manifestement fort content·e·s de se retrouver. On repère facilement les consoeurs et les confrères de Docteur Blues… The Goon Mat & Lord Benardo ont donc droit à ces fameux aficionados. Matthias Dalle aka The Goon Mat glisse sa haute stature derrière l'une des deux batteries qui monopolisent la scène. La barbouse conquérante, il s'empare de sa guitare en jaugeant le public. Son complice Lord Benardo - alias Fabian Bennardo - prend place à ses côtés, équipé léger avec son harmonica.
Photo © F. Rapido
Un p'tit tour de chauffe et dès le second morceau, notre duo trouve le bon tempo. Du delta blues certes, mais customisé façon garage ! Le public ne va pas jusqu'à leur obéir lorsque The Goon Mat braille "Take off your clothes", pas plus qu'il obtempère à ses "clap your hands". Sont toutes et tous trop occupées à taper du pied ! On comprend le Goon lorsqu'il revendique le mérite de mettre l'ambiance et entend bien que cela ne profite pas qu'aux deux groupes qui vont leur succéder… Il n'a pas à se faire de bile. Son timbre rocailleux fait mouche et Lord Benardo se déchaîne à l'harmo. Ses doigts dansent sur son instrument et il descend même tel un preacher parmi la foule. Lorsque ils nous exortent à bouger - "everybody jump !" - quelques pieds décollent malgré eux du plancher. Mission accompli The Goon Mat et Lord Benardo, vous avez foutrement bien chauffé la Maroq !
Les frenchy d'Automatic City arrivent donc sur scène sinon en terrain conquis, du moins bien préparé. Eric Duperray alias Mr Day s'installe au centre et s'assied sur un siège… Raphaël Vallade tente de planquer sa contrebasse derrière lui tandis Emmanuel Mercier s'empare de sa guitare et couve du regard son thérémine. The Goon Mat et Lord Benardo étant repartis avec la leur, le brésilien Zaza Desiderio s'installe lui à la batterie restante, parée d'étranges bouteilles et de bongos. Nous n'aurions pas du nous fier à la posture pépère de Mr Day, dès "Bangoes & tremoleos" le premier titre, il joue les healer de première catégorie. Placé à sa hauteur, il "matche" visuellement avec Zaza et ses drums…
Leur version de "Crawfish" d'Elvis, avec son intro aux bongos est drôlement plus poisseuse que celle du King. La "faute" au son bien heavy d'Emmanuel Mercier, lequel n'est guère avare de ses effets. Et son thérémine fait merveille et écho aux percussions de Zaza, surtout lorsque sur "Spoonful" ce dernier s'empare d'un berimbau. On arrive aux confins, aux racines de la black music, là où ça tangue, où ça chaloupe… Ils terminent leur set avec un "Evil eye on me" hypnotique, plus lancinant que les circonvolutions aquatiques d'un serpent d'eau des bayous de Lousiane. Pas de temps pour les deux titres prévus sur la setlist en rappel, "I can't be satisfied" et "Commet a crime". Soirée chargée oblige… Si vous allez les écouter cet été à Cognac blues passion, au BluesBerry d'Ambraut et au Saint-Izaire blues festival, vous y aurez sûrement droit !
Photo © F. Rapido
Et c'est au tour de la vedette américaine de la soirée de monter sur scène. La divine diva Deva Mahal. Ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas d'une figure de style due à la fainéantise d'un chronirocker blasé. Digne fille du grand bluesman Taj, elle fascine dès le premier titre par son charisme et la puissance de sa voix. En novembre dernier, certain·e·s avaient pu la découvrir au Duc des Lombards. Nos confrères de Soul bag avaient regretté "un manque de chaleur et de proximité". S'ils étaient à la Maroq ce soir là, ils ont pu vérifier que c'est bien parce son show était bel et bien en rodage… L'intro du titre qui suit - avec sa basse aux faux airs du "Clint Eastwood" de Gorillaz - nous égare un brin mais le clavier de Benjamin Thiebaut nous ramène bien vite vers les rives de la soul. Le seul frenchy du quatuor de musiciens de Deva Mahal a deux potes dans la salle, lesquels viennent lever leur verre de ricard à sa santé…
Deva Mahal retire son blouson de cuir de rouge, libère sa crinière et se lance dans un slow torride. Le jeu subtil de guitare de Ashton Sellars contribue pour beaucoup à ce grand moment de débauche de sensualité musicale… Deva sait aussi se déchaîner dans le plus pur style rythm'blues ; elle en casse même son tambourin ! Mais cela bouge pas assez à son gré ; "Wanna dance ?" Et d'entamer un funk sur lequel il est impossible de pas s'bouger le booty ! Deva rayonne de bonheur ce soir ; comme elle le dit avec conviction, c'est un honneur pour elle de jouer ce soir aux Nuits de l'Alligator. Après une présentation de ses musiciens - on allait oublier Alex Brajkovic aux drums et Patrick Stewart à la basse six corde - elle se lance dans un soul so sixties, qui fait le bonheur de plus d'un·es dans le public. En rappel, une dernière balade entamée a cappella, pour nous achever… Clap de fin pour cette première "Gator Night" donc. Plus que prometteur pour les deux autres qui vont suivre à la Maroq et pour lesquelles nous serons au rendez-vous !
Un grand merci à Isabelle Béranger des Nuits et à Franck Rapido pour la couverture vidéo !