Pigalle – Ballade en Mélancolie


Depuis la fin des Garçons Bouchers, François Hadji-Lazaro a mis entre parenthèse son rock énervé, et s'est penché vers une poésie plus à fleur de peau, plus tactile.
7ème album pour Pigalle, après un Pouet et une tournée pour les minots, et toujours cette tendresse douce-amère. Balade en mélancolie, ballade en poésie du bitûme.

François Hadji-Lazaro a tâté du Punk arrosé à la Kro lorsque la 8-6 n'existait pas, a joué avec les plus grands de son époque, a touché à la production... Mais depuis de nombreuses années, depuis la fin de ces années folles, l'homme s'est construit une autre identité. Drôle et touchant pour les kikis comme il dit, et désabusé pour les grands. Héritier de Fréhel, passager de la rue, amoureux des petits bonheurs de la vie, mais profondément mélancolique.

Peintre musical, multi-instrumentiste, ce touche-à-tout s'invente encore un univers, au travers de ce nouvel album de Pigalle. Ballade en Mélancolie. Voyage au bout du périph. Retour vers un no-future qui ne dit pas son nom. Pigalle s'offre une virée dans les bas-fonds d'une société à la rupture, qui ne sait plus où elle va. Qui regarde passer les passants qui passent, mais qui reste sclérosée dans ses fondations. "Je suis un guichet automatique d'autoroute". Oui, c'est ça. Immobile, sans pouvoir faire autre chose qu'envier ceux qui s'échappent, qui fuient vers d'autres horizons, sans doute plus beaux.

14 titres pour cette promenade. 14 tranches de vie, destins parallèles, qui tous trahissent cette incompréhension, ce malaise à vivre au milieu d'une société qui ne sait plus. Qui ne sait plus se positionner, complètement schyzophrène. Ces "bobos des Batignolles", qui vivent bio, qui s'accoquinent avec des pantalons troués tout en prenant le plus grand soin de leur sous. Ou le "nid", ce home sweet home de fortune, voiture au bout du parking, descente aux abîmes pour avoir résisté à un patron trop entreprenant... Pigalle le résume bien, Kafka n'a rien inventé, il était juste un peu en avance.

Il y a quand même de l'humour, hein. La mélancolie, ce sont aussi des petites tranches de plaisir au milieu du vague-à-l'âme, quelques "instants plaisants". Comme cette petite histoire d'amour rural, cette fugue de lycéen, où pépé s'échappe de son quotidien pour aller honorer Nicole, sa maîtresse du soir. Pas vraiment une histoire d'amour, d'ailleurs, ou alors d'amour bestial, au sens premier du terme. La tendresse avec laquelle Pigalle raconte cette histoire qui pourtant peut très facilement virer au glauque montre bien cet amour des gens que porte François Hadji-Lazaro.

Pigalle. Une tranche d'amour, une jolie tartine de poésie sur une tartine d'empathie. Des photos du quotidien, des tableaux de la rue. Des souvenirs de gamins. Une tendresse à fleur de peau, douloureuse, qui prend sa source dans un Paname de chanson réaliste, de java, pleine de gouaille. Trop d'amour, à s'en faire mal. Mélancolie. Tristesse de voir ce monde perdu, courir à son non-avenir. Même si des fois, autour du manège, des vraies histoires trouvent un dénouement heureux.

François Hadji-Lazaro a depuis toujours collectionné les instruments. Dans cette ballade en mode mineur, Pigalle nous fait également voyager à travers le monde, à travers une foultitude d'instruments de tous les pays, donnant à chaque morceau une couleur particulère, des timbres différents, tout en conservant une unité d'ensemble. Qu'ils soient de la famille des accordéons, ou des vielles, ou des guitares, ou des banjos, ou de ce qu'on ne sait pas, François Hadji-Lazaro réussit le pari insensé d'avoir quasiment un instrument différent sur chaque morceau. Le tout avec une production délicate, en évitant le piège de la démonstration, du catalogue. C'est aussi ça, l'esprit de Pigalle. Derrière toutes ces histoires, tous ces morceaux, complètement décousus et pourtant si complémentaires, un univers ultra-intime, une vision personnelle de la musique, à nulle autre pareille.

François Hadgi-Lazaro, Garçons Bouchers, Chanson, Nouvel Album, 2018

Cette Ballade en Mélancolie se termine comme dans un bon vieux Astérix, autour d'un festin, où l'on danse et où l'on chante. Danse ultime, dernier tango, mais "inutile de remplir la valoche". Cette danse est un bouquet final. Un dernier baroud d'honneur, une dernière petite folie, avant que tout ne s'arrête. 14 tranches de vie, 14 pièces de poésie, 14 morceaux où la tristesse se bat avec l'absence d'espoir. Mais ne dit-on pas que c'est la dépression qui donne cette force aux poètes, et que le spleen est le moteur des mots ?

Pigalle, Ballade en mélancolie
Sorti le 2 février 2018, chez Chantage Production

Pigalle est en tournée, toutes les dates sur la page Facebook du groupe.
 

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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