The Hyènes a été fondé - entre autres - par deux anciens de Noir Désir, Denis Barthe et Jean-Paul Roy en 2005. Et l'histoire du groupe a été placée d'emblée sous le signe des images. Filmiques tout d'abord, puisque le combo a été formé originellement pour réaliser la bande originale de "Enfermés dehors" de Albert Dupontel. Animées ensuite, pour mettre en musique le BD Concert "Au vent mauvais", adaptation de l'album de Thierry Murat et Rascal.
L'histoire d'Abel Mérian, ex-détenu fraichement libéré, tombé amoureux d'une inconnue dont il trouve le téléphone et qui décide d'aller la rejoindre en Italie pour le lui rendre. Une aventure qui ne devait durer initialement que quelques représentations et qui, le 3 mars au centre Georges Pompidou, en était à sa quatre vingt quinzième… Durant l'après-midi, les Hyènes avaient même touvé le temps de mener un atelier avec des ados, leur faisant endosser leur posture de musiciens illustrateurs d'images.
Atypique comme démarche. A l'instar du dispositif scénique. Six musicos de rock, plongés dans le noir et entourant un écran, l'exercice n'est pas banal. Pour eux, comme pour le public, habitué à voir autant qu'à entendre les guitares… Un larsen typiquement rock ouvre le bal et c'est l'harmonica de Kiki Graciet qui mène la danse. Sur les séquences de voyages ferroviaires d'Abel Mérian, mais pas seulement. L'histoire a des allures de roadtrip, de western sans violence et forcément désenchanté. Les trouées d'harmonica moriconiennes évoquent inévitablement les grands espaces, intimes comme géographiques...
Tout comme le violon d'Hervé Toukour, fait lui merveille lors des climax, comme la rencontre entre l'ex-détenu en cavale sentimentale et un Kevin, ado en mode fugue… Le reste du temps, les riffs des trois gratteux - Vincent Bosler à la guitare, Jean-Paul Roy à la guitare baryton et Olivier Mathios à la basse - se taillent la part du lion, guidés par la batterie de Denis Barthe. Tous conservent en permanence les yeux rivés sur l'écran. Les regards entre eux se font furtifs. Leur langue commune est musicale et ils ont l'air de la pratiquer ensemble depuis un bail… On se surprend parfois à vouloir entendre le chant dans ces compos à dominante rock. Mais le regret demeure fugace. Le lead, c'est l'image qui le tient de bout en bout, alternant notes d'espoir en l'avenir et fondus au noir, pour finir par exploser en vol. Pas de rappel évidemment. Mais bien mieux ; un échange simple et chaleureux entre le public et le groupe, auquel vient se joindre Thierry Murat. On y apprendra que les compos de "Au vent mauvais, inspireront largement le prochain album des The Hyènes. Mais ce n'était pas suffisant pour nous, il nous fallait les soumettre à la question. The Hyènes ont donc délégué Denis Barthe (ex-Noir Désir, Mountain Men, The Very Small Orchestra) et Olivier Mathios (Mountain Men).
© Nicolas Barberon
LGR Denis, The Hyènes s'est créé d'une façon pas banale. A l'origine, il s'agissait juste de réaliser la BO du film d'Albert Dupontel "Enfermés Dehors". C'est ça ?
Denis Barthe Oui, c'est exactement ça et comme nous ne souhaitions pas aligner nos noms en rangs d'oignons en guise de signature, il nous a fallu trouver un nom. On s'est souvenu de la longure tirade d'Albert sur les hyènes. Un nom de groupe marrant, et qui l'a d'ailleurs bien fait marrer ! Sauf qu'ensuite, on nous a demandé en concert et ça, c'était pas prévu !
LGR L'histoire du groupe qui doit exister malgré lui…
Denis Barthe On s'est dit, pourquoi on ne fait pas quand on avait dix-huit piges ? Pas de maison de disque, pas de tourneur, pas d'album… On s'en fout, on met le matos dans la voiture et on s'en va jouer ! Pas de comptes de rendre à personne, la liberté ! On a fait des reprises avec The Hyènes qu'on nous n'aurions jamais fait avec nos groupes respectifs…
LGR Quel type de reprises ?
Denis Barthe Du Mothorheäd, du AC/DC, on s'est fait plaisir quoi…
LGR Comme des gamins qui montent un groupe de rock…
Denis Barthe Exactement et on a continué comme ça jusqu'au split de Noir Désir… Une période où j'ai failli poser les valises et me dire que j'allais faire autre chose. Mais on était à la veille de faire un second album et de partir en tournée. On s'est dit, on s'est jamais embrouillé, c'est que du bonheur, alors on continue.
LGR Dans ce genre de conditions, aucune raison de s'arrêter…
Denis Barthe On a quand même chercher - et trouver assez facilement - un tourneur et une maison de disques, At(h)ome. Mais ça n'a rien changé de l'esprit du groupe.
LGR Vous aviez pris goût à associer votre musique à des images… Pas très surprenant donc, qu'en 2014, Thierry Murat vienne te proposer de mettre en musique sa BD "Au vent mauvais", scénarisée par Rascal. Ça signifie que tu es un amateur de BD ?
Denis Barthe Oui, évidemment et je ne suis pas le seul parmi les Hyènes. On habite le même petit village de mille habitants Thierry Murat et moi. Mais on se connaissait plus comme pères qui allaient chercher leurs gamins à l'école. Un soir à l'apéro, il me dit qu'il aimerait bien mettre "Au vent mauvais" en musique. J'ai répondu que ça pouvait nous intéresser, mais on était à l'époque en pleine tournée. Il revient me trouver avec un premier montage, je m'étais imaginé qu'il se limiterait à faire défiler les cases… Mais c'était un vrai film, avec toutes les techniques piquées au cinéma. Très dynamique, très rythmique et très musical. J'ai dit banco !
LGR Pareil pour tes comparses ?
Denis Barthe Ils ont été partants aussi ! Sauf que Thierry nous apprend qu'on était invité au festival BD d'Angoulême. On s'est retrouvé au pied du mur et on a donc bossé dessus pendant deux mois. A peine une date pour se chauffer, et on s'est retrouvé à Angoulême à jouer devant tous ces dessinateurs qu'on admirait. Et au vu de l'accueil, on se décide à continuer, en se disant qu'on ferait dix, quinze dates. Et on arrive à quatre-vingt quinze représentations...
© Nicolas Barberon
LGR On associe assez naturellement rock et road movie, les highway et autres route 66… Vous aviez des références en tête ?
Olivier Mathios Inconsciencement, sûrement… On a composé tous ensemble face aux images, de façon très instinctive. Ce qui en est sorti - et le manque de temps - nous ont poussé à faire des choix tranchés. Et ça nous a également complètement dépassé. Ce qui est sûr, c'est qu'on pense fatalement à certaines BO de road movie, quand on entend l'harmonica…
Denis Barthe Des films comme Paris Texas, Las Vegas parano, du Tarantino… La BD m'a fait penser à un road movie, mais aussi à un western contemporain. Des mecs comme Abel Mérian, qui ont un plan faramineux mais surtout la guigne, qui se cherchent parce qu'ils doivent recommencer à zéro, on en connait tous.
LGR La centième représentation est pour bientôt. Vous avez des souvenirs particuliers de cette tournée ? Les gens restent-ils plus longuement après pour échanger avec vous que lors d'un concert ?
Olivier Mathios On est identifié comme un groupe de rock. Et ce spectacle nous a permis de jouer hors du réseau rock traditionnel. Dans des médiathèques, dans des lycées. Dans des théâtres. La plupart des gens qui fréquentent ces lieux, ne seraient sans doute jamais venus à un de nos concerts. La force de ce projet, c'est qu'on ne parle plus de musique rock, on ne parle que d'émotion et ça c'est mon meilleur souvenir.
Denis Barthe Et paradoxalement, on se sentait finalement moins à l'aise lorsqu'on jouait dans de vraies salles de concert. On faisait des représentations en plein air avec plus de deux mille personnes et juste après on jouait en prison devant trente...
LGR En tant que musicien, les sensations étaient différentes d'un concert "classique" ?
Denis Barthe Pendant un concert, c'est toi qui donne le rythme, tu peux t'arrêter pour parler au public… Là, ce sont les images qui déterminent les repères ! On est donc rivés à l'écran, mais sans prompteur. Ce qui fait que chaque représentation est légèrement différente.
LGR Vous vous laissez une marge d'improvisation donc…
Denis Barthe Oui, ce qui fait qu'au bout de la quatre-vingt quizième, on n'est toujours pas lassés.
Olivier Mathios L'improvisation, c'est quand on est en retard sur une image ! Blague à part, on maitrise l'impro depuis le temps. Mais on a quand un fil conducteur lié aux images. Tu sors quand le camion sort de l'image et tu rentres quant apparait la voiture. Ça donne forcément un langage musical différent…Et c'est plutôt plaisant.
Denis Barthe Pour revenir à la différence avec un concert, c'est que l'on sort lessivés, tellement on est concentrés. On a un créneau pour boire un peu, faut pas le louper !
© Nicolas Barberon
LGR En octobre dernier, vous étiez à Fleury-Mérogis. Logique au vu du thème de la BD ; Abel Merian le personnage sort de prison. Du coup, le public a du être particulièrement réceptif…
Denis Barthe Au départ, on sentait les mecs dubitatifs, un peu avachis sur leurs chaises. Puis on les voyait se redresser, être captés par l'histoire. Une attitude qu'ils n'avaient semble-t-il, pas de façon systématique lors de répresentations. Ceux qui sont venus nous voir après, nous ont parlé de la prison, des conneries qu'ils avaient fait. De leurs espoirs aussi pour l'après… En rigolant, on leur disait ; faites gaffe, mettez toutes les chances de votre côté. Vous l'avez vu dans la BD, ça se passe pas toujours comme on l'a prévu.
Olivier Mathios Ils se sont aussi retrouvés dans le ton, dans les propos du personnage.
LGR En concert "classique", vous êtes de face. Dans le cas de figure, vous êtes placés sur les côtés de la scène. Cela doit changer le rapport au public, de s'effacer ainsi ?
Denis Barthe On se fait carrément oublier, on est dans l'image. Certains nous demandent pourquoi nous ne sommes pas éclairés. Et on répond que ce n'est pas nous qui devont être mis en lumière, mais l'histoire…
Olivier Mathios Le spectateur doit se concentrer sur la lecture du texte et des images. On a décidé de se mettre à leur service, de ne pas "polluer"...
LGR Y aurait-il une autre BD sur laquelle vous souhaiteriez jouer ?
Denis Barthe "BUG" de Bilal !!! Je suis fan et j'attendais son nouvel album avec impatience. Et son sujet - un monde où Internet tomberait en rade - me passionne vraiment.
LGR Denis, Very Small Orchestra est un autre projet auquel tu t'associes avec Kiki Graciet, Vincent Bosler et Hervé Toukour. Lorsqu'on écoute votre dernier album Gagarine, ça ressemble également à un BO, plutôt western…
Denis Barthe Oui, un peu normal, car comme tu le précises, c'est les mêmes ! Et la particularité, c'est que jusqu'à cet album, nous avions construit les morceaux, ensemble ou parfois séparement. Mais nous avions jamais vraiment répété. Même chose en concert...
LGR Pas de répétition avant de monter sur scène ???
Denis Barthe Oui, on arrive et on joue. On se connait tellement bien… Il y a bien sûr une prise de risques, mais qui peut s'avérer bénéfique. On a des "accidents de concert" qu'on essaie de reproduire la fois suivante. Mais il ne suffit pas de les avoir trouvé, encore faut-il les mémoriser !
Un grand merci à Nicolas Barberon pour ses superbes illustrations tirées de son report avec Robin Jolly
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