Volage – Sittin’ SIdeways

Le dernier véritable album remontait à 2014 : quatre ans se sont écoulés depuis que Heart Healing est devenu le premier LP de Volage. Entre temps, deux EP ont paru, Coffee Dreamer et Feeling. Avec à peine deux formats courts en l’espace de trois ans, nous sommes loin de la tendance prolifique compulsive devenue standard dans les cercles garage actuels, auxquels on liait à raison des titres comme "Not Enuff" ou "Many Hopes" (issus de l’EP Maddie, 2012). Mais précisément, le contenu de ces deux EP semblait vouloir annoncer une mutation douce, une prise de distance esthétique progressive et naturelle avec une scène pourtant en pleine expansion.

C’est à priori ce que nous confirme ce nouvel opus. Bon, l’héritage est loin d’en être tout à fait renié ; mais il semble que le groupe ait dorénavant à cœur de canaliser l’énergie brute qui est constitutive de l’identité de ce milieu underground, en la mêlant à un certain raffinement bien plus rare, soit une entreprise casse-gueule s’il en est. Sittin' Sideways y parvient brillamment, en évitant le tout-à-fond stérile, les effets éculés, en même temps que le ronron et la mièvrerie tristement inhérente à la recherche d’un certain idéal de beauté.

Comme l’acoustique Coffee Dreamer le présageait, c’est l’aspiration mélodique des compositions qui prime maintenant sur l’aspect botte-culs que l’on soutenait auparavant. Le travail des textures sonores, en même temps que l’interprétation des musiciens semblent aller en ce sens : si les guitares et la basse sont revenues à leur son tranchant tout électrique, l’esthétique tamisée de la batterie de l’EP a été plus ou moins conservée, servant ainsi de garde-fou à ses comparses, et frustrant positivement l’auditoire en contenant une fureur ambiante qu’on sait jamais bien loin. C’est un choix original, inattendu, et qui fonctionne parfaitement, en ce qu’il permet de conserver un jeu dynamique, sans empiéter sur les voix qui peuvent alors imposer tout en douceur leur richesse mélodique, en symbiose totale ; ces refrains à harmonies vocales multiples deviennent d’ailleurs petit à petit l’une des marques de fabrique de Volage, puisque ça n’est pas donné à tout le monde d’avoir plusieurs types qui ne chantent pas faux dans le même groupe ("Whispers" est un modèle du genre).

Le clavier, quant à lui intermittent et assez discret, abat tout de même un travail de l’ombre important, ajouter de la mélancolie un peu partout où il passe. Car en vérité, Sittin’ Sideways est une œuvre étonnamment noire : ainsi de "Spleen", la même version que sur l’EP 2 titres en collaboration avec Nathan Roche du Villejuif Underground, qui produit l’effet escompté en nous embourbant dans une détresse oppressante par la simple répétition de ce titre, chuchoté d’une voix maléfique au creux de nos oreilles. Idem pour "Fever", à l’écoute de laquelle on ne saurait dire si l’on s’envole ou si l’on se noie, en suspens entre ces deux caisses claires décalées de part et d’autre de la stéréo, ballotté par des chœurs féminins aussi libérés que l’était Clare Torry en 73, pour le "Great Gig In The Sky" de Pink Floyd. Même "Sittin’ Sideways", en dépit de la grâce, de la sérénité et de l’angélisme qu’elle dégage, semble bâtie sur un socle des plus bilieux, dont le saxophone guilleret ne masque rien.

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D’autres instruments s’invitent en studio avec Volage : les arrangements de cordes de "Never Heal", assez réussis, sont d’ailleurs l’une des grandes attractions de Sittin’ Sideways. Preuve en est, le lien d'écoute privé qui nous est fourni pour écouter l'album, laisse apparaître le nombre de lectures ; comme toujours, au plus on avance dans les pistes, au plus le nombre d’écoutes diminue (ce qui n'est pas le signe d'une baisse progressive de qualité : simplement que lorsqu'on s'arrête au milieu d'une écoute parce que l'eau des pâtes bout, on peut préférer recommencer l'écoute depuis le début pour se remettre dans l'ambiance – une des explications). C'est bien ce qui se produit ici, jusqu'à "Never Heal", dernier morceau de l'album, mais beaucoup plus écouté que les trois précédents : l’orchestre à cordes doit être hype, et nos homologues chroniqueurs viennent volontiers s'en resservir un godet – on ne dit rien, on a pensé à le faire aussi.

Résultat, "Sally's Code", avant-dernier titre, est le moins écouté de la playlist ; ça, c’est vraiment regrettable, puisqu'il s'agit selon nous de l'un des plus intéressants, et des plus émouvants, tant sa construction est habile, tant chaque son d'instrument semble être le résultat de la recherche acharnée de la texture la plus noire, la plus menaçante possible ; le refrain optimiste, tentant de renverser la vapeur d'une incursion joyeuse, n'y change rien : la rechute est pire encore, et le final baroque nous achève de sa cruelle insouciance. C’est celui-là que nous relançons une fois l’album terminé, en contemplant la pochette souriante signée Martin Parr (le photographe anglais à qui l’on doit également celle de Hot Sauce des Madcaps), qui nous semble à présent d’une cruelle et jubilatoire ironie.

On s’attendait à avoir affaire à un bon album, mais plutôt du type grande bouffée d’air frais ; Volage nous prend en traître et se révèle d’une profondeur émotionnelle inattendue. On ressort un peu abîmé de l’écoute de Sittin’ Sideways, parfaitement satisfait de l'être. Le groupe a choisi de se mettre en danger en déplaçant son champ d’opérations, avec succès : le créneau qu’il tient à présent est original, riche et intrigant. On espère que cette intransigeance artistique fera long feu ; nous serons au premier rang.

Le 30 mars 2018 chez Howlin Banana Records / Modulor
Crédits photo : Louise Carrasco

En concert :

13 Avril à Clermont Ferrand, Le Baraka
14 Avril à Colmar, TBA
17 Avril à Limoges, Le Phare
18 Avril à Nantes, Stereolux
19 Avril à Rennes, Penny Lane
20 Avril à Lorient, Le Galion
25 Avril à Nimes, Paloma
26 Avril à Aubusson, TBA
27 Avril à Lyon, Le Farmer
28 Avril à Bordeaux, Flippin’ Fest 
18 Mai à Paris, Petit Bain ** release party** 
22 Juin à Tours, Le Temps Machine

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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