Goat Girl – Goat Girl

Après la publication de deux 45 tours, Country Sleaze/Scum en 2016 et Cow Cries/Mighty Despair en 2017, Goat Girl est enfin passé au long format, avec ce premier album éponyme paru le 6 avril chez Rough Trade Records.

Le premier terme qui vient à l’esprit à la découverte du quatuor londonien, est celui de nonchalance ; c’est le cas quand on tombe, sans s’y attendre, sur le "Country Sleaze" de 2016 dont le clip épileptique contraste merveilleusement avec l’indolence du titre (une nouvelle version se trouve sur le présent album, légèrement accélérée, l’air de dire, quand même, on a déconné, c’était lent), plus encore lorsqu’il nous est donné de les voir en concert : on se souvient ainsi de leur prestation au This Is Not A Love Song de Nîmes, l’an dernier, débutée avec dix minutes de retard, conclue avec dix minutes d’avance, le temps de chanter quatre ou cinq chansons du bout des lèvres sans faire preuve d’un enthousiasme particulièrement démonstratif. C’est un peu sur le même sentiment que nous laisse cet album : une composition qui nous semble quelque peu bâclée, mais du côté cool du bâclé, recentrée sur l’essentiel, dépouillée de constructions démonstratives et stériles, de prouesses techniques et autres esbrouffes. Les mélodies se traînent, lancinantes, dans les morceaux, et leur survivent longtemps après, les titres commencent et finissent d’ailleurs sans prévenir, se concentrent sur un format de chanson courte (seuls deux dépassent les trois minutes) les rendant rapidement addictifs, indispensables.

Cette condition permet notamment de mettre en valeur la qualité majeure du groupe, la voix suave du Droopy humain qu’incarne Lottie Cream. D’un ton monocorde chaud et jouissif, elle parvient tout de même à trouver les ressources mélodiques pour émouvoir profondément l’auditeur. On évoque souvent Courtney Barnett pour situer Goat Girl dans la scène actuelle, principalement parce que les deux chanteuses partagent cette qualité de voix, grave et profonde, qui charme tant, mais le quatuor évolue en fait dans un registre bien plus sombre. Dès le refrain de "Burn The Stake", deuxième piste et premier véritable morceau, quelque chose d’hypnotique, de malsain se dégage de ce déferlement de décibels où surnage cette ligne de chant déchirée, étrange et fascinante, semblant émaner d’un crooner féminin revanchard, de l’ex-chanteuse d’un jazz band, virée par l’orchestre après avoir volé une clarinette pour en faire un bong – elle prépare à présent sa vengeance depuis les catacombes en invoquant les mauvais esprits.

Ce type d’atmosphères est largement développé par les nombreux interludes incrustés çà et là ; d’ordinaire, ce procédé est fumeux, inutile et ennuyeux, mais ici, on se doit d’admettre que cela fonctionne assez bien, révélant d’autres aspects des morceaux qui les suivent. Ainsi, d’un titre comme "Cracker Drool", pouvant paraître plutôt guilleret avec sa ligne de basse sautillante, "A Swamp Dog Tales" dévoile l’aspect dérangé qui le constitue, et dont on ne doutera plus après l’absurde et dérangeant passage du binaire au ternaire, inopinément, en fin de morceau.

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Le registre de Goat Girl, en plus d’être plus sombre que celui de la chanteuse australienne, semble également plus sale, plus malsain ; on s’autorise d’ailleurs une production un peu plus brouillonne, des fois à la limite du bancal, mais à laquelle on pardonne tout, puisqu’elle permet l’émergence d’une vraie personnalité, et qu’elle se rattrape sur quelques jolis coups – la réverb cassée du couplet de "Little Liar", l’accélération cartoonesque de "The Man With No Heart Or Brain" que n’auraient pas renié les Black Lips, ou le mix constamment impeccable des harmonies vocales, comme dans le très réussi "Viper Fish", où elles se font spécialement oppressantes, chantonnant tout autour de nos têtes quelques airs inquiétants. Le constat est le même pour l’interprétation instrumentale, pas irréprochable techniquement, ce dont on finit par se foutre, à la faveur de la prise de risques. On se tortille pour créer des ambiances qui ne coulent pas de source : si la batterie n’est pas toujours en place, elle propose, simplifie dangereusement, et fait fonctionner les choses – aucun batteur ne se satisferait de se limiter à ce combiné grosse caisse-tambourin, pendant le grand crescendo de "I Don’t Care Pt2", et pourtant, c’est exactement ce qu’il fallait faire.

Ainsi, Goat Girl impose sa personnalité sans trop poser de questions, mettant en avant d’excellentes chansons, sans autre prétention que celle de s’accaparer humblement notre cerveau pour y planter ses mélodies un moment, et susciter le désir pressant d’aller se traîner avec ses quatre membres dans une salle de concert, ou dans la fosse poussiéreuse et ensoleillée d’un festival d’été, pour y marmonner en chœur les quelques vrais tubes proposés ici ("The Man", "Throw Me A Bone","I Don’t Care Pt" et tout plein d’autres). Ce premier album est donc une réussite, en ce qu’il affirme des qualités de compositions évidentes, tout en laissant une certaine marge de progression qui laisse présager de plus belles choses encore.

Crédits photo : Jenn Five
Sortie : 6 avril 2018 chez Rough Trade Records

En concert : 16 mai, Paris, L'espace B

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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