Encore un énième groupe de pop punk, pourrait-on soupirer en découvrant la présentation de My perfect Alien, qui sort Face The World, son premier album complet après un EP. Pourtant, si les Français reprennent à la lettre de nombreux ingrédients du genre, ils se révèlent moins convenus et superficiels que ce qu’une première écoute laisse supposer.
Des "Ohohohohohoh" chantés à tue-tête en guise d’introduction, des riffs de guitares un peu énervés mais pas trop quand même, une voix féminine accrocheuse et énergique, une section rythmique basique mais efficace : dès le début de "Take Off", morceau d’ouverture de ce Face The World, l’auditeur est entraîné dans un univers pop punk ultra efficace mais assez balisé.
Le texte lui-même semble annoncer la couleur d’un album fait pour chanter en chœur et se défouler sans se prendre la tête : "We are not sorry to disturb, we’re be your host for tonight […] Now leave your troubles behind […] Why don’t you come with us ?" ("Nous ne sommes pas désolés de déranger, nous serons vos hôtes ce soir / laissez tomber vos problèmes / et si vous veniez avec nous ?").
Ça se tient, mais on a déjà vu plus métaphysique. La chanteuse Marilyn Placel, à la voix jolie mais pas extraordinaire, interprète cependant l’ensemble avec conviction.
Le titre suivant, "Paranoid", ancre un peu plus l’effort dans la scène pop punk. À vrai dire, le riff d’introduction rappelle furieusement celui d’"Ignorance" de Paramore. Il est assez rentre-dedans dans le genre pop, et donne l’impression de vouloir privilégier l’efficacité sur l’originalité. On serait tenté de le qualifier de pêchu, si tant est que cette expression soit encore autorisée en 2018.
Les couplets sont en tous cas diantrement efficaces (oui, diantrement, lui, est toujours légal) et donnent véritablement envie de chanter à tue-tête. Si certains éléments sont assez convenus, notamment les arrangements de guitare sur le break, et que le morceau semble vraiment dédié aux fans du genre, l’ensemble est entêtant, très bien exécuté, et on relève quelques effets de guitare intéressants.
Sur ces deux morceaux, il est déjà possible de distinguer, sous le vernis de désinvolture, une certaine gravité, notamment dans l’interprétation de Placel, moins lisse qu’il n’y parait, ou dans les arrangements qui augurent déjà une ambiance plus sombre.
Et cela se confirme dès le troisième morceau, "House of Ghosts". Alors qu’on est déjà tentés de lever les yeux au ciel à l’idée d’entendre une énième balade pop rock dépourvue d’inspiration, la chanson se révèle une excellente surprise. Le groupe montre dans un registre différent son sens de la mélodie entêtante qu’il a déjà bien commencé à dévoiler sur les deux premiers morceaux, avec une musique qui vous poursuit bien après la fin du disque.
L’interprétation vocale comme instrumentale sont extrêmement mélancoliques, et réussissent réellement à transmettre une émotion sincère aux auditeurs. Il est seulement dommage que Marilyn Placel ait parfois un certain maniérisme dans sa façon de chanter, ce qui atténue un peu notre émoi.
Au fil des écoutes, l’ensemble des titres, qui paraissaient de prime abord efficaces mais un peu lisses, vont ainsi gagner en épaisseur. L’efficacité du groupe en matière de mélodie est indéniable, et c’est une qualité qu’il aura intérêt à cultiver à l’avenir. Mais il possède également une vraie capacité à susciter l’émotion, en distillant une mélancolie qui n’est jamais écrasante ou surjouée, mais qui ronge peu à peu l’auditeur et le laisse finalement dans un état d’esprit ambivalent, entre une nostalgie diffuse et une énergie revigorante procurée par des morceaux qui restent accrocheurs et gentiment énervés.
La voix de la chanteuse est à l’image des morceaux : énergique, rentre-dedans, et néanmoins capable d’une certaine subtilité, elle instaure de la gravité dans les titres les plus joyeux et de la force dans les chansons les plus tristes. Non pas que sa technique soit parfaite, loin de là : elle manque encore un peu de puissance, et quand elle essaye de trop pousser sa voix, notamment dans les aigus, le résultat est un peu maniéré et pas extrêmement convaincant ("Fading Away", certains passages de "Bloom again" ou "The Last Time").
Mais quand elle joue sur les nuances ("The House of Ghosts", "Unwanted Tales", autre balade à l’émotion inattendue…) ou qu’elle prend une interprétation plus directe, en restant dans des tons plus graves ("Bloom Again", "We won’t Break", "Keep the Pressure" …) sa voix se fait alors beaucoup plus prenante. Elle est capable de passer de la fragilité à quelque chose de beaucoup plus énervé, de suggérer des fêlures sans sombrer dans la niaiserie.
À la guitare, Jérôme Petry a visiblement beaucoup étudié toute la palette du pop punk. Ses riffs ultra efficaces et assez puissants ne débordent pas forcément d’originalité, ils ne sont parfois pas loin du cliché, et il manque encore quelque chose pour avoir vraiment une empreinte très personnelle. Mais comme pour sa chanteuse, on détecte tout de même un élément diffus qui ne demande qu’à se développer, une posture tantôt mélancolique tantôt agressive qui donne à son jeu un certain cachet. Sans compter qu’il est capable de déployer des motifs assez entêtants qui nous hypnotisent sans que l’on s’en rende compte.
La batterie de Christophe Ceccarelli et la basse de Stéphane Neef, quant à elles, sont assez peu mises en avant. Leurs parties sont cependant bien exécutées, elles s’intègrent bien avec le reste et aident à créer l’ambiance du disque.
La bonne surprise vient des textes. Si les paroles en anglais ne sont pas extrêmement recherchées, elles abordent des thèmes loin de l’insignifiance que promettait la première chanson. Les personnages décrits se débattent avec la solitude, avec la mélancolie, avec leurs démons. La chanson finale, "My Ego", en est d’ailleurs un très bon exemple : la narratrice, égocentrique et prétentieuse au possible, rêve de gloire et voit le monde à ses pieds quand elle est au final plus esseulée que jamais. "My ego, you’re my hero", clâme-t-elle. Un bon résumé du monde moderne ?
En dépit de défauts imputables à la jeunesse de la formation (qui n’a même pas quatre ans d’âge), Face The World séduit donc sur la durée, par ses fêlures exprimées mezza voce. Reste à voir si sur la longueur, le groupe sera capable de garder son sens des mélodies accrocheuses et sa mélancolie tout en améliorant sa technique. Si les musiciens s’avèrent à même d’insuffler un peu de folie à leurs compositions pour se détacher des influences de leurs aînés, on veut bien aller affronter le monde avec eux.
Tracklist
TAKE OFF 3:24
PARANOID 3:24
THE HOUSE OF GHOSTS 3:29
BEHIND OUR WALLS 3:18
FADING AWAY 3:37
WE WON'T BREAK 4:33
BLOOM AGAIN 3:55
KEEP THE PRESSURE 4:02
UNWANTED TALE 4:38
THE LAST TIME 3:58
PLASTICINE ME 3:16
MY EGO 4:25
Sorti le 30 avril chez Virtual Records
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