Cette année, en ce 42ème printemps, l'édition était spéciale, pour la parité homme femme. On aura jamais vu autant d'artistes féminines sur scène, grand bien en a pris aux programmateurs. Espérons que les autres festivals suivent et que cela se fasse naturellement dans les années à venir. Ce Printemps de Bourges a une nouvelle fois battu des records avec ses 80 000 festivaliers payants et une fréquentation totale dans la semaine dans tous les recoins berruyers qui s'élève à 250 000 spectateurs. Pour 500 concerts payants ou non, sur le site du festival ou non. Bourges a été une nouvelle fois au centre de la France musicale.
Inouïs - mercredi 25 avril
Grâce aux Inouïs, les talents émergents ont représenté cette année plus de 60% des artistes présents. C'est avec notre curiosité habituelle que nous sommes allés en découvrir quelques-uns ou en revoir d'autres comme La Pietà. Nous attendions pas mal de Princess Tailand dont le son du dernier clip nous avait interpellé, et cela valait le coup de passer par la salle du 22 pour les observer en live.
Degree
Un chanteur et ses machines pour de l'electro folk faite de boucles et de synthé. Les basses sont très lourde et devant une alliance simple de guitare sèche/voix. L'artiste pousse sa voix pour tenir les montées de basse. Il s'adapte aux machines. Il est tout minot et plus agréable pour nous quand la gratte est juste soutenue par quelques nappes de synthé. Il a vraiment tendance à trop forcer sa voix, dont l'anglais n'est pas encore hyper maîtrisé. Le public relativement jeune semble apprécier et se laisse mener dans cette folk en transe originale.
Princess Thailand puis Gothking
Faire se suivre dans la salle du 22 les Toulousains de Princess Thailand et les Franciliens de Gothking a été une bien bonne idée tant leur force sombre a pu emballer le public. Deux concerts Noise qui se suivent sans se ressembler mais dont les crissements nous restent en tête et l'énergie collée au corps. Princess Thailand sortira son album à l'automne, on vous en parlera sur La Grosse Radio.
Un jeu d’ombres et de lumières, on devine tout juste les cinq membres du groupe, Princess Thailand s’élance dans un envoutement qui suspend le temps. Le chant incantatoire d’Aniela nous plonge en pleine transe, hypnotisés par les mouvements lascifs de sa tresse tel Tarantino devant les déhanchements langoureux de Salma Hayek. On s’immerge totalement dans ces riffs psychés qui rappellent la puissance du rock shamanique et tentaculaire de Swans. Un mur de guitares qui combine beauté et obscurité. Un moment d’enchantement, une plongée au cœur de ténèbres grondantes, une tension sensuelle, sexuelle, un lâcher prise total. Au cœur de cet océan sonore, on guette le rocher auquel se raccrocher. Une vraie claque.
Dans un même registre noise sombre que Princess Tailand, Gothking pousse le public dans ses retranchements dépressifs avec passion comme ont pu le faire avant eux The Cure par exemple. Un débit hâletant, des instru lourdes et denses, un chanteur habité qui fait de la scène sa vie tant on l'y sent à l'aise. Un show surprenant et puissant. On a désormais envie de les écouter sur CD pour en entendre plus de leur musique qui mérite bien plus que les trente minutes de ce set assez envoûtant.
Flèche Love
Un étonnant set Electro rock World d'une chanteuse qui s'illumine, accompagnée d'une batterie, plus de musiciens aux machine/basse/chœur, et d'un claviériste. Elle chante en espagnol, en anglais, en français aussi. Elle parle de nous guider pour un voyage bienveillant. Les basses sont lourdes et le chant original mis en valeur par la choré qu'elle met en place, toute lumière sur elle. Son chant slammé/rappé sur "Camille Claudel" où "nous sommes tous égaux" offre une originalité dans le mélange et la vision d'un monde. C'est cette chanson inclusive pour toutes les femmes de toutes origines et pour tous les hommes aussi que nous remarquerons le plus, tout comme l'aura de la chanteuse.
La Pietà
C'est une Pietà bien concentrée qu'on a retrouvée à Bourges. Aussi intense mais moins dans l'explosion folle. Et avec une énergie mieux canalisée mais toujours présente, on fait mieux, bien mieux. Les textes de celle qui "défonce le coeur" sont toujours sinon tragiques, sinon crus "Quand il n'y aura plus rien entre nous, il ne restera que mon cul" (nous citons de tête, mais l'idée est là), mais sont explicites pour une poésie sans fard. Si son registre electro/hip hop dans l'air du temps n'est pas encore tout a fait au point en ayant notamment le flow de quelqu'un qui le cherche, sa musique vient bien du plus profond d'elle-même. Celle qui se revendique comme la moins féministe de la Terre ou encore la moyenne a tombé le masque de chat pour une représentation qui a marqué le public du 22 et les médias présents (elle sera le lendemain coup de coeur de Didier Varrod sur France Inter).
Ian Caufield
Après quelques découvertes sans grand intérêt se présente au 22, Ian Caulfield dans son plus simple appareil, seul, guitare, loop, pad et voix. Le projet n’a uniquement que six mois d’existence, c’est donc avec une oreille toute neuve que nous assistons à ce concert. Très belle voix, une bonne dynamique, pop électro dans un univers onirique et cinématographique, le charme opère immédiatement, on a l’impression de retrouver Gaz Coombes avec vingt ans de moins. Après I am Stramgram en 2016, Inouï l’année passée, c’est pour notre part, la plus belle découverte de l’édition 2018. Allez voir son 1er clip « Winter leaf » :
Tample
Représentant de la nouvelle Aquitaine, Tample est taillé pour les stades, refrains fédérateurs, chœurs, harmonies vocales, l’électro rock planant des bordelais rappelle évidemment Coldplay. Cependant, on ne lâche pas prise pendant la 1/2h du concert et on ressort léger de la prestation avec l’envie d’aller écouter le Tample version studio. À suivre. À découvrir sur le titre « Chimera » :
Spécimen canadiens - jeudi 26 avril
Dans la grande prairie jouxtant le site du Printemps, un espace pro prévu pour des showcases d'artistes venant du Canada. Un lieu tranquille, loin de l'exaltation des festivaliers, où les groupes peuvent briller devant certains média se lèvent tôt et autres pro curieux.
Mappe of
Un jeune gars à la folk cool, fraîche et tendre ouvre notre journée du jeudi, sous le signe du beau temps, ce qui est rare à Bourges. Un délassement particulier que nous offre Mappe Of, une musique aussi souple que précise, une voix légère pour un artiste souriant. En légéreté, notre journée est bien lancée.
Avec pas d'casque
Le quintet au nom étrange propose un set de folk lente. Quelques moments accrocheurs aux refrains pop. On note une bonne alliance des guitares acoustique et électrique aggrémentée d'un tuba sorti de nulle part joué par le clavieriste. Le chant est agréable et poétique. La délégation canadienne peut être ravie dans le Berry, car fort à parier que ses artistes ont marqué des points.
Scène Séraucourt - jeudi 26 avril
Jacuzzi Boys
Gros grunge punk en trio, guitare/voix, basse, batterie. Rien de nouveau sous le soleil punk américain mais une belle fougue de ces gamins à la pêche vénère aux fûts. Chanteur gueulant, la mélodie c'est pas pour tout de suite, puis c'est pas le but non plus, c'est direct et costaud. Le public "matinal", peu nombreux enchaîne sans broncher. Énorme scène pour 200 personnes, un peu dommage de ne pas avoir placé ce groupe plus dans la soirée, à la place de l'électro pop éthérée de Supamoon à 22h par exemple, mais nous ne faisons pas la prog', on la bouffe à pleine gueule à la sauce hargneuse des Jacuzzi Boys.
KEPA
Début d’après-midi, scène Séraucourt, le basque se dresse seul accompagné de sa caisse Stomp, de sa guitare et de son précieux ami : l’harmonica le plus grave au monde. L’ancien skateur a délaissé l’adrénaline des rampes pour celle des lives. Et si Kepa a certainement dû se manger plus de gravier, sa voix reste moins cabossée que celle du prêcheur dont son blues s’inspire : Blind Willie Johnson. Sa figure préférée : les slides sur ses guitares métalliques qui donnent à sa voix de crooner l’intensité et le rythme de ce blues ancestral. De cet enjoué "Hello babe" à "Doctor do something" et son harmonica endiablé en passant par "Carlita" et ce country blues rappelant Lonnie Donegan, Kepa nous propose un beau voyage spacio-temporel de la Louisiane au désert de Sonora. Le public est sous le charme de cette belle performance, nous espérons cependant le revoir accompagné d’une formation rythmique plus étoffée.
Rock in loft - vendredi 27 avril
La Bronze
Venant du Canada, La Bronze propose un Rock varié et viscéral. Synthé, guitare/chanteuse au chant français et en arabe, un bassiste roulant à la coule. La jolie voix doucement éraillée et ample nous charme. Beaucoup de chœurs amplifiés, en sus de l'effet cathédrale du lieu (nous sommes dans un prieuré). La Bronze brille par ses propos d'amour universel entre les chansons. Généreuse et intense, la chanteuse lâche sa guitare pour une chanson habitée slammée en arabe, son jeu scénique nous fait comprendre de quoi il pourrait s'agir, et la mélancolie est dans les parages. Il s'agissait de "Nous étions formidables" , une reprise de Stromaé, en mieux.
Scène Séraucourt - vendredi 27 avril
Make-Overs
Punk hardcore venant d'Afrique du Sud, et c'est le déboitage en règle, le seul concert que nous ne voulions absolument pas manquer. Guitare/voix du mec, et une hurleuse sur une batterie tenace, avec un méga punch. Il faudrait les faire se rencontrer avec les Pogo Car Crash Control, sûr qu'ils auraient plein de trucs chelous à se raconter. C'est LE gros concert rock de la journée, et encore une fois, mais que fait la prog' ?! 16h15 face à un public éberlué et surtout peu nombreux. Les applaudissements sont tout de même chaleureux par le public berruyer. Mais, bordel, à 23 heures, face à un public de pogoteurs, ç'aurait été un bien meilleur moment. Deux petits jeunes dont on pourrait facilement dire qu'ils ont été bercés à Rage Against The Machine. Ça enchaîne vite, sans répit et en vitesse, cette batteuse s'y connait ! Elle est un déferlement à elle toute seule. C'est notre musicienne de ce 42ème Printemps de Bourges.
Orelsan
Petite entorse aux Inouïs rock, direction l’immense W où la fête à Orelsan bat son plein. Le spectacle est évidemment sur scène avec le rappeur et son flow désinvolte mais aussi dans la salle ou la majorité des titres sont repris en chœur par l’armada de fans. Mention spéciale à « La Terre est ronde », et au touchant « San ». Projections, mots percutants affichés en gros, la prod moderne du dernier album fonctionne à merveille en live, rien à redire le show est rodé et ultra efficace.
Tshegue
Retour dans un 22 en ébullition avec Tshegue, révélation des dernières Transmusicales de Rennes, qui fait danser comme rarement l’ensemble de la profession. Issu de la nouvelle scène de Kinshasa, comme Jupiter & Okwess ou Kokoko, ils mélangent les genres, du punk à l’afrobeat, en passant par la techno, ou la musique latine. Irrésistible, spontanée, l’énergie déployée est transmise à un public qui se lâche complétement, oubliant sans mal la barrière du « bien paraître » pour une folie contagieuse. Un incroyable dancefloor pour quarante minutes intenses. Tshegue, c’est le genre de concert qui te happe complètement et t’immerge dans une transe démoniaque dont il est impossible de t’en défaire avant la fin du show, le corps devient libre et danse sans autre guide que les furieux congolais. Cela nous fait un peu penser aux sensations que nous avions vécu pour Dengue Dengue Dengue ou BCUC. Nous connaissions leur premier EP, nous en devenous archi conquis sur scène, l’un des meilleurs concerts du Printemps de Bourges, rien de moins !
Showcaves - mercredi 25
Slim Paul
Huit ans à écumer les routes avec le combo toulousain Scarecrow, on le retrouve au programme des showcaves organisés par Ulysse et Musicalarue pour présenter son premier album solo Dead Already. Tellement habitué à les voir ensemble sur scène qu’on s’attend à tout moment à entendre le flow hiphop de son compère et si Antibiotik vole lui aussi à ses projets, Jamo (ex bassiste) a pris place derrière les futs. Blues, soul, folk, le trio puise ses influences au cœur des musiques afro-américaines. Son charisme, sa voix éraillée et cette guitare saignante font le reste prouvant que Slim Paul a bien trouvé sa voie à ce croisement des routes et ne sera pas un clone de plus de Robert Johnson. Un set plein de magie et de passion qui nous aura transportés loin de la capitale du Berry pour les bords du fleuve Mississippi convoquant les fantômes de JJ Cale ou de Calvin Russel. Authentique !
Texas Texas
Nouveau représentant de cette décidément très belle scène de l’Occitanie avec ce trio shooté à l’adrénaline. Le public de la scène Séraucourt était-il prêt pour cette vague de riffs surpuissants. Pas de temps morts, pas de pause ni de ralentissement… le rock shoegaze de Texas Texas noyé sous les couches de fuzz emporte tout sur son passage. Do you copy? Oui, on confirme avoir tout bien reçu… dans la gueule ! Puissant.
Agathe de Rama
On a découvert Agathe lorsqu’elle officiait au sein du collectif Azad Lab, depuis 2016, ses accents de la ville rose se sont teintés du blues de la Nouvelle Orléans. Aujourd’hui en quartet, elle accapare l’attention du public de sa voix chaude et sensuelle. Accompagnée d’une guitare bluesy qui nous proposera de belles envolées à la lap steel et d’une section rythmique (batterie / contrebasse) au groove planant Agathe Da Rama ensorcelle le public de son blues aux sonorités multiples influencés par le jazz et le trip hop. A revoir en club qui se prêtera sans doute bien mieux à l’enchantement. On retiendra une chanteuse au charisme et à la voix surprenante.
Flèche Love, La Pietà, La Bronze, Make-Overs, Princess Thailand... Autant de groupes où la femme a un rôle majeur. Le Printemps de Bourges a misé sur les femmes et même si nous aurions aimé que cela se fasse naturellement et pas par quota, nous saluons cette initiative arrivant pourtant bien tard après les #metoo et #balancetonporc. Ici, rien à balancer. La Grosse Radio est de tous les concerts, de tous les festivals quel que soit le sexe des anges...
Textes : Mathieu Artaud, Yann Landry et Julien Oliba
Crédits photos : Yann Landry, Antoine Monegier du Sorbier