The Strokes, Interpol pour les premiers albums, Suicide, Bauhaus pour les plus récents : on trouve une étonnante débauche de références plus ou moins discutables dans la multitude de commentaires voués à mettre des mots sur le son des Buttertones. À l’écoute du premier extrait de Midnight In A Moonless Dream, "Baby C4", et de son rock’n’roll sauvage et abrasif, nous n’avons pensé qu’aux Cramps.
À son écoute, on avait même franchement hésité à en prendre la chronique : si ce titre nous paraissait véritablement excitant, en ce qu’il dégageait une puissance, une aura certaine, le risque de se frapper tout un album d’imitations, aussi classieux que pouvaient l’être le modèle et la modélisation elle-même, nous enthousiasmait moyennement. C'est la mauvaise vidéo au son inaudible d’un live capté avec un portable qui nous a convaincus : de ces quelques images saccadées débordait une personnalité d’une incontestable solidité.
En découvrant Midnight In A Moonless Dream, tout un tas de nouvelles références viennent à l’esprit : on convoque les Doors, Nick Cave. Cet étrange et implacable désir de relier les Buttertones à quelque chose que l’on connaît déjà pourrait trouver son origine dans l’esthétique rétro du genre musical dans lequel ils évoluent, mobilisatrice, forcément, d’importants émois personnels passés ; mais en réalité, plus qu’à un son ou un type de compositions, c’est à des personnages que l’on pense ; à Jim Morrison plus qu’à son groupe, ou au champion des Bad Seeds plus qu’à ses ouailles. La découverte des Buttertones nous renvoie à cette sensation qui naît en nous lorsque l’on se sent en présence d’un leader charismatique.
C’est en tout cas ce que ces prises studio inspirent, en attente d’une confirmation en direct (quatre dates en France dans les prochains jours, voir ci-dessous) ; le chant habité de Richard Araiza est à priori fascinant. Sa palette est large, incarnant du séducteur raffiné un peu kitsch ("Eros", un genre de crooner tellement dépassé qu’il n’est plus dépassé, et ça sonnera encore mieux en période de Noël) jusqu’au loup blessé à l’agonie ("Winks and Smiles"), une polymorphie que l’on pourrait comparer à celle de Henry Spychalski de HMLTD – là encore, un rapprochement sans aucune valeur analytique, mais on ne peut pas s’en empêcher, le fait que l’on se soit rendu compte que les deux groupes ont le même bookeur en France nous a persuadés qu’il était intéressant de le relever, mais en même temps, Kurt Vile aussi est chez Radical Production, et on ne voit pas le rapport. Les instrumentaux derrière, eux, diffèrent évidemment : le tout-électrique d’une guitare éraillée et surfy à l’ancienne, d’une basse ronde à la sensualité non moins vintage, d’un jeu de batterie qui paraît, après ces deux éléments, assez anachronique avec cette utilisation récurrente des double croches sur le charley, tirant judicieusement le tout vers un aspect plus moderne. Restent les deux fonctions de London Guzman, un clavier lugubre comme dans les eighties histoire de brouiller définitivement les époques, et surtout, un saxophone indomptable, indatable forcément fascinant – c’est l’avantage de savoir faire des trucs fous avec un instrument assez généralement considéré comme ringard.
Les musiciens muets ne sont donc pas en reste derrière Richard Araiza ; on l’avait déjà compris avec "At The Dojo" qui se passe curieusement de l’élément clé qu’est sa voix au moment où la séduction doit opérer à tout prix, soit le morceau d’ouverture, sans faillir à cet objectif, on le confirme définitivement à l’occasion de "Winks and Smiles", avec ce solo de free-jazz cartoonesque sur une rythmique baroque, qui s’accommoderait d’une scène de film exubérante, un genre de poursuite, extrêmement sérieuse mais avec un moyen de transport ridicule, James Bond en trottinette – si quelqu’un connaît Hazanavicius, qu’il lui file le tuyau.
La dimension cinématographique de la musique des Buttertones est d’ailleurs un élément récurrent des chroniques de leurs albums – nous joignons notre voix à celle des autres gratte-papiers pour louer la force d’évocation des sons du quintet. Et si le structuralisme n’avait pas bouleversé le monde de l’étude critique, on n’aurait certainement pas eu peur de dire que tout ça, c’est parce qu’ils viennent de Hollywood – mais Roland Barthes nous regarde.
Le 4 mai chez Innovative Leisure
En tournée :
18 mai : La Maroquinerie – Gonzai Night – Parisien
19 mai : Art Rock Festival – Saint-Brieuc
01 juin : Ahoy Festival – Bordeaux
02 juin : This Is Not A Love Song Festival - Nîmes