Il avait pourtant bien dit que non, non et non, bien que bon nombre de ses petits camarades de l’époque de la scène rock indé américaine des années 90 avaient passé le pas (comme Dinosaur Jr, qui sort son nouvel album le 17 septembre), lui restait droit dans ses bottes. Pas besoin de fric, son nouveau groupe, les Twilight Singers, marche bien et le tient occupé, et peut-être qu’il donnera suite au projet monté avec Mark Lanegan, les Gutter Twins. Et puis voilà, Greg Dulli est parti en tournée solo, au cours de laquelle il interprète des titres issus des différentes époques de son répertoire. Et un soir, il propose au bassiste des Afghan Whigs, qui traînait par là, de venir jouer un ou deux titres avec lui. Le dit bassiste va finalement suivre la tournée et jouera de plus en plus de titres. Jusqu’à ce que bon… Trève de bêtises, les Afghan Whigs sont de retour, et parmi la multitude de reformations à trois sous, celle-ci fait tout particulièrement plaisir, après une séparation arrivée pour des raisons débiles. Jugez plutôt : les membres du groupe habitaient tous dans des Etats différents, et ont fini par trouver ça trop galère de se retrouver pour répéter. C’est sûr que c’était il y a 10 ans, soit juste avant l’avènement du net et du numérique. Mais peu importe, les Whigs sont de retour et nous proposent le live de leur reformation qui a eu lieu le 23 mai dernier à New York, dans la même salle qui les vit donner leur dernier show il y a 10 ans.
Le groupe fait partie de ceux qui n’ont pas connu un succès aussi large que certains de leurs contemporains (comme les Smashing Pumpkins) sans qu'on puisse vraiment savoir pourquoi, mais qui n’en ont pas marqué au fer rouge la scène indie et dont la discographie mérite largement d’être redécouverte. Sans surprise, c’est à un gros best-of que nous sommes conviés, et on regrette que le groupe n’ait pas carrément proposé un double album, car dès l’introduction et les premiers titres, les frissons ont tôt fait de remonter dans l’échine de l’auditeur. Le rock chaud, charmeur et débordant de groove des Whigs n’a rien perdu de son mordant, et pour couronner le tout, le groupe, qui ne s’est pourtant pas produit depuis longtemps, est ultra-carré, à commencer par son leader. Greg n’a jamais aussi bien chanté, tout en conservant un côté éraillé et parfois un peu faux issu des influences punk que le combo garde en réserve. Il faut dire que l'implication est totale et l'on pardonne volontiers l'enthousiasme du chanteur qui se laisser aller corps et âme. La prestation prend son rythme de croisière mais reste abrasive après un départ en fanfare (et cette version très speed de "Uptown again"), et pour que les musiciens soient autant à fond, c'est qu'ils doivent prendre un pied d'enfer. Les Whigs présentent de nombreuses similitudes avec les Twilight Singers, à tel point que Rock Hard avait parlé de « Greg Dulli style » pour qualifier la musique des seconds nommés (même un canard de métal peut s’intéresser à certains trucs moins bourrins). Pourtant, impossible de ne pas différencier les deux projets. Alors que le second présente un certain apaisement, les Whigs conservent un côté sulfureux qu’on retrouve dans les textes. Les histoires de sexe, de relations difficiles, du monde de la nuit s'enchaînent et n'ont pas pris une ride.
Les connaisseurs apprécieront mais c’est une avalanche de tubes qui s’enchaînent effrontément. Le public est absolument ravi de retrouver les musiciens, alors que Dulli semble s’éclater comme jamais : « To paraphraze a very crazy man, we’re from the future, where the present is the past ! » « Thanks you for coming, seems like we never left ». Les morceaux ultra énergiques (« I’m her slave », « Gentlemen », « Conjure me », « My enemy ») côtoient des moments de grâce absolue avec une aisance insolente (« What jail is like », « Crazy », « Faded »), pendant que le reste de la setlist distille un groove imparable issu de la soul et du R’n B dont les Whigs se sont toujours inspirés et qui leur ont conféré une identité aussi forte. Lors de leur séparation, on ne pouvait qu’être attristé, même si le retour rapide de Dulli avec son nouveau groupe aidait considérablement à faire passer la pilule. En revanche, c’était quand même fichtrement dommage de ne pas avoir de live. Maintenant on en a un, un très bon, et annonciateur de leur retour, la vie est belle ! Il reste à voir s’ils se décideront à venir en Europe et à remettre le couvert en studio. A la base ils ne se réunissaient que pour des concerts, mais vu qu’ils n’ont pas pu s’empêcher d’aller enregistrer une reprise de Franck Ocean (téléchargeable sur leur site d’ailleurs)… Wait and see. En attendant, on ne se lassera pas d’écouter et réécouter ce live !
8,5/10