Lorsqu'on avait quitté Roger Waters sur les planches du Stade de France, c'était la larme à l’œil, persuadé que le bassiste emblématique de Pink Floyd venait de cracher, selon ses propres dires, ses derniers râles. Espoir plutôt inattendu et inespéré lorsque débuta une nouvelle immense tournée, non plus basée sur un seul album mais mettant à l'honneur plusieurs épisodes de la carrière du groupe, dont un autre que l'on n'attendait plus, le divin Animals.
Les deux dates à l'U Arena se remplissant à vitesse folle, on sent que le bonhomme est attendu, et connaissant son sens des grandeurs, de la mise en scène et sa capacité à s'entourer de musiciens talentueux pour faire revivre un répertoire qui peut parfois le faire trébucher, nul doute quant au moment dithyrambique que l'on va passer. Et encore, on était loin du compte.
Deux sets, peu de dialogue avec l'audience, une longue vidéo introductive pour nous plonger dans le calme des débuts et faire un crescendo vers la violence, tant au niveau musical que des messages à véhiculer. Et, comme à l'accoutumée, une mise en scène et des suggestions visuelles du plus bel effet. On virevolte dans l'espace, et l'immense écran situé derrière le groupe enchaîne les moments forts, immersifs, parfaitement adaptés à la musique. Dès "Welcome to the machine", Roger Waters nous fera entrer dans l'inévitable dimension politique et contestataire de ses textes, jusqu'à la fin du premier set sur un "Another Brick In The Wall Part 2" chanté à tue-tête par une audience jusque là timide.
Après vingt minutes qui vont clairement sonner comme le calme avant la bataille, la Battersea Power Station apparaît de sous terre et continue à grandir jusqu'à ce que, atteignant les bords supérieurs de l'écran, les cheminées continuent à s'élancer physiquement dans les airs. "Dogs" résonne, emporte les fans les plus assidus de Pink Floyd dans son déluge cyclique et son caractère envoûtant, pour s'enchaîner sur un "Pigs (Three Different Ones)" qui nous ramènera douloureusement à la réalité. Mise en scène moins aérienne, elle sera composée de divers plans de Donald Trump dans des positions inconfortables (montage de sa trogne sur un corps de bébé, gros plan sur sa teube pour montrer qu'il en a une minuscule, source probable des derniers maux), pour finir sur un enchaînement d'un florilèges de ses tweets les plus savoureux et une phrase, en français : "TRUMP EST UN PORC". Peu importe la facilité pour emporter un engagement aussi commun, le plaisir de pouvoir éructer notre plaisir à la vue de ses quatre mots vaut tout l'or du monde.
L'enchaînement sur "Money" a évidemment cet écho idyllique, toujours avec des photos de ces ultra-riches et de cette classe politique mondiale corrompue jusqu'à la moelle. Si Waters est connu pour ses prises de position radicales, les voir intégrées à son spectacle, comme en étant l'essence même, est toujours un bonheur. Il fallait venir prévenu, aller voir un show de Roger Waters, c'est avant tout aller voir un show politique ; pour y écouter la musique de Pink Floyd dans son pur aspect artistique (et tout aussi qualitatif), il fallait aller voir David Gilmour. Et comme après la tempête, le calme revient, le répertoire se termine en douceur sur la fin de Dark Side Of The Moon, la pyramide stellaire apparaissant sur les premiers rangs via des lasers dès que les premières notes d' "Eclipse", alignée avec la lune qui quant à elle volette au-dessus de l'audience depuis "Brain Damage".
Car en accompagnement de toute la contestation que Waters veut apporter à ses shows, l'artistique n'est en aucun cas laissé de côté. On n'est pas dans un spectacle consacré à The Wall qui nous martèle des chants guerriers en tête, mais dans une offre différente, celle du regard en arrière sur une carrière toujours aussi riche et pertinente, et au message encore actuel. Malgré tout ancré dans le présent (le dernier album, Is This The Life We Really Want, sera représenté par quatre titres), tout sera interprété à la note par des musiciens qui n'ont rien à envier à ceux dont s'accompagne Gilmour et, on l'espère, aux compagnons de Nick Mason sur sa date à venir. Waters vieillit, c'est indéniable, mais reste en voix, et n'a pas l'idiotie d'essayer de chanter des parties qui ne sont plus à sa portée.
Après un long discours que m'sieur Waters a du mal à proférer dans le calme (on est loin de l'agacement qui l'avait poussé au crachat en 77) sur la situation en Palestine, le fait qu'il ait écrit une lettre pour témoigner d'un message de paix qu'il aimerait appliquer aux valeurs françaises - il en citera notre devise, ainsi que la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen -, c'est sous une aura naïve et ô combien idéaliste que le groupe entonne un "Comfortably Numb" chargé d'émotion.
La messe est dite, et ne sachant pas si elle aura encore lieu, on aura su la savourer. Les souvenirs de David Gilmour au Château de Chantilly résonnent, la venue de Nick Mason redore les sourires, Pink Floyd, quel que soit son incarnation, se porte plutôt bien.
Breathe
One Of These Days
Time / Breathe (Reprise)
The Great Gig In The Sky
Welcome To The Machine
Deja Vu
The Last Refugee
Picture That
Wish You Were Here
The Happiest Days Of Our Lives / Another Brick In The Wall Part 2
Dogs
Pigs (Three Different Ones)
Money
Us And Them
Smell The Roses
Brain Damage / Eclipse
Comfortably Numb
Photos : Nidhal Marzouk. Toute reproduction interdite sans l'autorisation écrite du photographe.
