En s’affichant fier comme un bar tabac, Miguel le bouc se doute-il qu'il risque fort d'accéder au rang d’animal mythique, format couv' d'album, rejoignant ainsi la vache "d'Atom heart Mother", l'insecte noir de "Mezzanine" ou le crabe de "Fat of the land" *. Car ce sixième opus du duo gascon The Inspector Cluzo, qui célèbre leurs dix ans de carrière, est taillé pour entrer dans la légende du rock n'roll. Ceci n'est point une galéjade. Vous en connaissez beaucoup des skeud alliant authenticité et orchestration somptueuse, une voix - qu'il faut bien qualifier d'exceptionnelle - et des riffs de guitare habités ? Le tout porté par un projet de vie défendant avec panache un statut de rock farmers, qu'ils résument en un lapidaire "Agir local pour penser global"… Pas un titre qui ne tape pas en plein coeur de nos cibles favorites, que vous soyez funky fusion tendance Red Hot, blues lover ou rocker éclectique, vous allez adorer et en plus, c'est garanti 100% sans adjonction d'électro-pouet-pouet !
Pour cet album consacrant donc leurs dix ans de projets communs, nos deux gascons - Laurent Lacrouts, chanteur/guitariste et Mathieu "Malcom" Jourdain, ci-devant batteur à béret - ont dérogé à leur doxa do-it-all-yourself en faisant à nouveau appel aux services de Vance Powel. C'est donc à Nashville, chez cet intégriste de l'analogique, orfèvre officiant sur le label de Jack White Third Man Records qu'ils sont allés enregistrer The people of the soil. Bien leur en a pris au vu de l'unanimité que suscite ce sixième opus. Un plébiscite qui semble les étonner - un brin seulement, il semble qu'il y en faille beaucoup pour les perturber ces deux là - habitués qu'ils sont à recevoir des louanges hors hexagone. Des dires de certains de leurs exégètes, "les gens de la terre" serait plus bluesy que les précédents. Il est vrai que leur appétence pour le funk et la soul, très présent sur scène, s'exprime essentiellement sur le titre éponyme, grâce notamment au clavier groovy de Charles Treadway, (The Dynamites). N'oublions pas qu'avec Ter à terre - leur "international booking agency"- ils ont fait tourner des pointures du genre, de Charles Bradley à Sharon Jones en passant par leurs potos les Fishbone… Ainsi que leur passé commun au sein du groupe Wolfunkind.
Photo © Laurent Etxemendi
Moins dosé en funk donc, plus chargé en blues ? Plus Lagavulin que Nikka en somme (sautez sans vergogne la référence si vous n'êtes pas amateurs de whisky, on ne vous en voudra pas… on se délectera du surplus). C'est sans compter les subtils arrangements de Vance Powel. Ce dernier rend limpides les déferlements de guitare ou souligne d'une légère envolée de cordes, la pudique évocation de la fraternité qui règne entre ces deux brothers-in-arms ("Brothers in ideal"). Nappes discrètes de claviers et choeurs ciselés sur "The best" (feat Marianne Dissard) et "No deal at the crossroads". Du travail d'artisan, façon compagnon, on vous dit...
Ce qui demeure inchangé, c'est la voix de Laurent Lacrouts, qui épouse littéralement rythme et riffs, passant allègrement d'une tessiture à une autre. Souvent dans le même morceau ! En mode bluesy cool ("the Brothers in ideal") ou terreux ("Ideologies"), métallique ("Pressure in Mada lands"), pop-rock aérien ("the globalisation blues"), son chant est toujours juste et d'une absolue sincérité. Tout autant que son art du sifflet, magnifié dans la mélancolique balade "Litte girl & The whislin' train". Les plus anglophiles d'entre vous, se délecteront des paroles, véritable manifeste de ces deux engagés par nature. Sur leur territoire selon leur ligne directrice évoquée en préambule, autant que sur le reste de la planète (le sublime "Pressure on Mada Lands" avec la gratte de Tyler Bryant en prime).
On vous recommande vivement, chaudement, impérativement le docu Rockfarmers et si vous voulez juger sur pièce des deux bonhommes - nous, nous avons un avant-goût l'an dernier au MaMa - ils seront à Lollapalooza, de la fête de l'Huma et le 9 février 2019 à la Cigale pour clore leur tournée. Et dans pas mal d'autres lieux d'ici là.
Sorti le 4 mai 2018 chez Caroline Records
* On ne vous fait pas l'injure de penser que vous ne ignorez à quels groupes il est fait référence… Si ? Bon, "Atomic Heart Mother" = Pink Floyd, "Mezzanine" = Massive Attack et "Fat of the land" = Prodigy