À l'occasion de la sortie de Dissolution de The Pineapple Thief, on s'est entretenu avec Bruce Soord, qui a réussi à débloquer une journée dans son planning dantesque. L'occasion de parler du nouvel album, de son rapport au monde, et des projets à venir.
On est ici aujourd'hui pour parler du nouvel album de The Pineapple Thief, Dissolution, est-ce que tu peux nous parler un peu du processus de composition de cet album ?
On a utilisé une méthode qu'on peut qualifier de très "21ème siècle", on a tous travaillé dans nos propres studios à la maison. Ça a commencé avec Gavin (Harrison, batteur, NDLR) et moi, principalement, je mettais en place des idées, je lui envoyais, il enregistrait sa batterie dessus depuis son studio et il me renvoyait ses idées et les morceaux prenaient forme comme ça. On en a discuté quotidiennement en ligne, tous les quatre, et une fois que tout le monde est content, que le morceau sonne bien, Jon ajoute sa basse et ils envoient tous leurs parties à mon studio. Ce n'est pas comme au début, où on écrivait tout en jammant.
Your Wilderness, le dernier album, a des couleurs similaires, très progressives. Tu avais également sorti un album solo en 2015, est-ce que tu as l'impression que cet album solo a influencé en quelque sorte les deux suivants de The Pineapple Thief ?
Je pense que mon album solo m'a surtout fait réaliser que je pouvais faire plus avec ma voix. Je me pousse bien plus vocalement que je ne l'ai fait avec The Pinneaple Thief. Il y a aussi l'usage de guitares acoustiques. On a un album lourd, électrique, mais avec un usage plus important de passages acoustiques. L'album solo m'a surtout fait faire un travail de chansonnier, vers des choses plus simples, là où The Pineapple Thief s'enfonce de plus en plus dans le rock progressif. J'ai deux chemins différents maintenant, avant je mélangeais pas mal les deux.
Justement, est-ce que tu sais, quand tu composes quelque chose, si ça va être pour un album du groupe ou pour un album solo ?
Je pense que ça fonctionne surtout par période. On a composé l'album de The Pineapple Thief entre décembre et mai, et à ce moment-là, je m'y suis totalement consacré. Maintenant que c'est fait, je suis en train de penser à quelque chose pour moi donc je vais y travailler pour le reste de l'année.
Le dernier album a eu une bonne réception, que ce soit par les fans ou les critiques, est-ce que ça t'a mis une certaine pression pour la composition de Dissolution ?
Il y a toujours une forme de pression. On a été vraiment surpris par la façon dont l'album a été reçu, on ne savait pas trop dans quoi on s'embarquait, on n'a su qu'à la fin que Gavin serait notre batteur. Donc ce n'est vraiment qu'à l'issue de tout ça qu'on a eu une bonne idée de qui on était, de cette nouvelle version. On a eu confiance sur le fait de lancer un nouvel album avec cette base.
C'est donc le deuxième album avec Gavin à la batterie. Pour toi, qu'est-ce qu'il a apporté au groupe, en terme de composition, de sonorités ? Tu avais déjà mentionné des jams session que vous aviez fait ensemble il y a longtemps...
Gavin est toujours très motivé, très énergique, il a toujours envie de s'investir dès le début. C'est un compositeur à part entière. Normalement quand j'ai une idée, je la mets en place et je l'envoie aux gars pour savoir ce qu'ils en pensent, alors que cette fois-ci, chaque idée passait par lui, il en rajoutait, faisait des parties de batterie, coupait les passages inintéressants pour lui et me renvoyait la piste avec des indications sur ce vers quoi on pouvait se diriger. C'était hyper intéressant, ça m'a fait composer totalement différemment. Ça m'aurait pris bien des mois supplémentaires d'arriver à ce genre de résultat.
Tout à l'heure tu parlais du fait que vous avez travaillé sur l'album en vous envoyant les pistes à distance. C'est marrant parce que Dissolution parle de la destruction des relations, du fait que tout le monde est hyper-connecté. Du coup, est-ce une méthode que tu regrettes ?
C'est toujours contradictoire (rires). On est au final dépendant de ces technologies. Comme les réseaux sociaux, on veut pas être dessus mais on sait qu'il faut quand même y partager l'album. Le problème est que c'est devenu bien plus qu'une façon de garder les gens connectés. Internet est devenu, malgré tous ses bons côtés qui sont encore là, un exutoire où les gens peuvent se permettre des choses et des propos vraiment horribles, surtout récemment. Les dernières années ont vu naître beaucoup de choses issues de l'anxiété des gens qui ne mènent à rien de bon, c'est exactement de ça dont on parle dans notre premier morceau, de la tournure que ça peut prendre. Ça me mine, et même en qu'artiste, te connecter aujourd'hui est un risque, tu tombes sur des gens qui te disent des choses vraiment horribles, ça devient sale. Mais il y a aussi maintenant beaucoup de gens qui se coupent de leur téléphone, de Facebook, de toutes ces choses négatives. La dernière fois, on est parti se balader une journée avec ma femme, et elle a décidé de laisser son téléphone à la maison. Elle m'a dit qu'elle s'est sentie comme libérée. Il y a une réaction, on est allé trop loin avec tout ça.
L'année dernière sortait le premier live officiel, Where We Stood. Est-ce que tu as une façon différente d'approcher la scène quand tu sais que ce concert en particulier va être enregistré ?
Oui. Tu n'as qu'une chance, il y a toutes ces caméras, et si tu rates quoi que ce soit, c'est foutu, tu perds déjà une grosse somme d'argent, mais une fois qu'on est sur scène, du moins pour moi, on oublie tout, on se laisse porter, et à part cette caméra qui passait constamment devant mon visage, on ne remarque plus rien. Par chance, on a eu un super public, qui a offert beaucoup, dès les premiers accords tu te sens relaxé.
L'année prochaine, c'est le vingtième anniversaire du groupe. Des choses de prévues ?
Je sais pas du tout ! On a eu énormément de périodes, on n'était même pas vraiment un groupe jusqu'en 2004-2005, pour les quatre premiers albums il n'y avait que moi. J'y ai pas vraiment pensé en fait. On va être occupé l'année prochaine, on a un album à promouvoir, on a déjà des dates aux États-Unis prévues.
En septembre, vous avez des dates européennes de prévues, est ce que tu as déjà pensé à la setlist, comment fais tu avec 12 albums au compteur?
C'est vraiment difficile (rires). Beaucoup de gens vont avoir envie d'entendre des vieux morceaux, nous on aimerait beaucoup défendre le nouvel album, mais on ne veut pas faire des concerts de trois heures. Pour toi, c'est quoi la durée idéale d'un concert?
Oh, pour du rock progressif, deux heures, deux heures et demie ça me va bien ! (Rires)
Tu sais, ce que me disait ma femme quand je parlais des concerts de King Crimson, qui dépassent les trois heures, c'est qu'elle ne veut même pas rester assise pour deux heures ! C'est compliqué, on doit choisir lesquelles on doit évincer pour jouer des nouveaux tous. On se rejoint dans quelques semaines chez Gavin pour répéter, on décidera à ce moment-là.
Ton travail est souvent comparé à celui de Steven Wilson avec Porcupine Tree, est ce que ça te dérange ou est ce qu'au contraire, tu comprends ?
Je comprends, et tu vois, on a 20 ans, quand on a commencé, Steven venait de sortir Insurgentes, son premier album stylo, et déjà on nous comparait. Je pense qu'on était pas nombreux non plus à faire ce genre là. Beaucoup de groupes de rock progressif, dans les années 90, étaient inspirés par des choses comme Genesis ou Marillion, plus démonstratif, épique ; alors que nous on est proche de l'esprit de Pink Floyd, Led Zeppelin, The Beatles, plus mélodique et atmosphérique. Steven a eu un certain succès assez immédiat, nous ça a été plus long. Mais je comprends, en plus on a Gavin, qui a un son très particulier, les identités se mêlent.
Tu es quelqu'un de très occupé, entre tes compositions et tout ce que tu fais en terme de productions pour d'autres groupes, est ce que ça ne te fatigue pas?
Si ! (Rires) Maintenant que le groupe a monté en notoriété, je pense que je vais pouvoir choisir et être musicien à plein temps. Beaucoup de musiciens doivent bosser à côté dans le milieu, c'est assez déprimant et compliqué de vivre de ce métier. Je me retrouve souvent avec trop de boulot pour d'autres groupes, je préfèrerai être en tournée et bosser sur mes propres compos.
Est ce que tu as l'intention de sortir un autre album avec Thomas Renkse de Katatonia?
On en parle depuis des années ! Je lui en ai parlé pas plus tard que la semaine dernière, mais on est toujours occupé. Là il finalise un album de Bloodbath, puis il va entrer en composition pour un album de Katatonia, donc on a du mal à trouver le temps. Mais on en parle, on nous demande souvent si ça va arriver, l'envie est là !
Donc la tournée, ton album solo sur lequel tu vas commencer à travailler, j'imagine que tu n'as pas d'autres projets en prévision ?
On attend que Gavin soit dispo, il doit encore faire d'autres dates avec King Crimson, mais il ne risque pas d'y en avoir beaucoup en 2019 avec le Brexit. Puis oui, sûrement mon album solo et à la fin de l'année prochaine on commencera sûrement l'écriture du prochain album. Beaucoup de choses donc.
Questions par Watchmaker
Photos : James Cumpsty pour Kscope