Bon, d'accord. On n'avait pas été bien tendre lors de la dernière prestation de U2 pour la tournée anniversaire de The Joshua Tree. Et on n'avait pas été très sympa avec le dernier album non plus, c'est vrai. Mais à La Grosse Radio, on aime bien laisser des secondes chances. La preuve, on ira voir Kravitz en début d'année prochaine. Surtout, on a envie de voir ce que les Irlandais vont donner dans un show plus interactif où ils n'ont pas à jouer un album complet. Et on a aussi de constater les couleurs que peuvent prendre les nouveaux titres sur scène.
Une fois n'est pas coutume, la bande à Bono prévoit un spectacle grandiloquent, suite directe à la tournée de Songs Of Innocence. Les deux albums se faisant écho, il est logique que les tournées, tant dans l'esprit que dans la scénographie, en fassent autant. On observe les petits dossiers de presse que l'on nous fournit à l'entrée, mettant en avant les nouvelles technologies utilisées pour cette tournée, le fait que le nouvel écran a une résolution neuf fois supérieure à celui de 2015... Alors on se fait une raison, notamment lorsqu'on voit le fameux écran - effectivement gigantesque - qui fend en deux la fosse, laissant apparaître un promontoire en fond qui servira probablement de seconde scène : niveau interactivité, chaleur et prestation musicale pure, on risque d'être déçu. Mais force est de reconnaître que la disposition scénique est dantesque, et si on est là pour se prendre du spectacle, ce dernier va sans aucun doute être de la partie. Espérons alors que l'harmonie entre groupe et visuels soit plus idyllique, pour que le show soit fort sans éluder la prestation des musiciens. Pas de première partie - difficile cela dit d'octroyer une place pour un second groupe au vu des dispositions -, et mieux vaut ça qu'un Gallagher. Verdict dans deux heures et demie.
Amis du grand spectacle, vous aurez été servis. L'entrée sur scène est l'une des plus ingénieuses qu'il nous aura été donné de voir. Les quatre compères, au fur et à mesure que l'écran led s'élève, apparaissent par flash : ils sont à l'intérieur de celui-ci. Un jeu d'ombres et de lumières éblouissant, qui ravit les deux côtés de la fosse tandis que "The Blackout" et "Lights Of Home" passent efficacement le cap du live. Songs Of Experience est donc définitivement un album taillé pour les stades : ses faiblesses en studio et ses mélodies trop simples s'allient avec brio à la mise en scène, souvent surfaite mais diablement efficace. On a une pensée pour ceux placés en gradins d'arrière scène ou front de scène, qui loupent une grosse partie du spectacle. Cela dit, il fait bon être un peu en hauteur, la nuée de téléphones levés en fosse ne se rabat qu'à de trop rares instants, et nombreux sont ceux qui savourent le show par leur intermédiaire artificiel.
Après tout, à vouloir faire dans le trop grand, trop fort, U2 le cherche un peu : plus proche d'une imagerie pop radiophonique que d'un véritable groupe de rock'n'roll pur sang, même si Bono se complaît à clamer le contraire, on regarde de toute manière plus souvent les écrans que les musiciens eux-mêmes. On remarquera d'ailleurs que lorsque Bono fait son travail millimétré, se partageant avec les images tous les regards, ses compères s'ennuient un peu sur scène. Pourtant, dès le troisième titre avec "I Will Follow", on repart dans le concert au sens propre. Plus d'écran, même pas pour montrer les musiciens, juste quatre potes sur scène, qui jouent de la musique sans fioritures. Bizarrement, The Edge entame danses et sautillements avec sa guitare, les portables disparaissent le temps de deux titres, tout le monde s'électrise.
Le spectacle est donc basé sur ce fin équilibre, alternant moments purement visuels et passages plus joués et plus musicaux. En témoigne un dessin animé sous forme de roman graphique pour amener le passage de la formation sur la seconde scène. Plus petite, circulaire et bien plus proche du public, elle renforcera une nouvelle sensation d'intimité, avec des morceaux plus bruts qui s'étouffent pour devenir une session acoustique, un enchaînement de balades avant de repartir dans le grandiose sur la scène principale. Dommage que ce soit pendant tout ce passage plus centré sur le groupe que la voix de Bono décide de faire des siennes. Très en forme au début de la prestation, le chanteur a oublié de se ménager, et peinera à conserver puissance et aigus sur cette deuxième partie. "Pride (In The Name Of Love)" et "City Of Blinding Lights" s'en ressentent.
Il y a trois ans, le "Innocence + Experience Tour" utilisait les mêmes procédés visuels que cette tournée 2018. À défaut de photos, on vous en laisse un avant-goût.
Le reste de la bande n'en met pas une à côté. Larry Mullen et sa frappe martiale reste concentré, ne daigne pas émettre un sourire lorsqu'on le présente pour ne pas s'égarer, et est d'une précision implacable. On apprécie sa présence fantomatique lorsqu'il vient marteler sur une caisse claire portative "Sunday Bloody Sunday" au milieu de l'avancée, impassible à toute émotion. Plus mobile quoique discret, Adam Clayton a lui aussi une présence charismatique, qu'il distille par son jeu de basse précis et simple. Une assise rythmique impeccable pour un The Edge dont le jeu unique résonne dans l'arène. S'il ne se permet jamais la moindre envolée musicale ou improvisation, le but étant de laisser tout l'espace au roi Bono, ses interventions restent réfléchies et n'en font jamais trop.
Évidemment, qui dit concert de U2 dit messages à caractère fort et engagé. Des constats sur les guerres incessantes, sur les dictateurs qui prennent place dans les grandes puissances, un beau message sur le féminisme grâce au #womenoftheworldtakeover ". Enrobé dans tant de spectacle et de superficialité, on s'interroge encore quand à la sincérité de l'animateur de soirée, mais qu'importe, si ceux qui applaudissent s'imprègnent et acceptent le fond du message, alors le résultat est atteint. Au final, ce sera un spectacle généreux, même si surfait, qui nous sera offert. On aura souvent, et comme toujours, l'impression d'assister au "One Bono Show" mais en traversant les époques et en représentant de nombreux instants de sa carrière, U2 garde une empreinte forte, un caractère unique, qui le rend toujours aussi addictif et pertinent. On rêverait de le voir dans un cadre plus sobre, à ne défendre que sa musique, mais cela n'ayant jamais réellement été le but du groupe, on attendra la prochaine en se demandant quelle étape visuelle sera alors franchie à ce moment-là.