Rencontre avec The Two à  Guitare en Scène

C'etait le dernier jour de Guitare en Scène, et la programmation en avait encore plein la manche. Ce jour là, Sting et Shaggy fermaient l'édition 2018, mais plus tôt dans la journée, on avait été soufflé par le concert de The Two, groupe réunissant Yannick Nannette et Thierry Jaccard, l'un mauricien et l'autre suisse. Du blues et de la franche rigolade, un chouilla de philo, dès l'interwiew de ces deux là, on se doutait que c'etait un concert à ne pas louper, et on n'a pas été déçu (pour le souvenir du concert, c'est ici).

En tant que groupe basé en Suisse, vous devez déjà connaître le festival Guitare en Scène ? Quel effet cela vous fait-il d'y jouer ce soir ?

Yannick : Je ne connais pas du tout ce festival ! (rires)

Thierry : Tu parles à un Mauricien là !

Yannick : Tu connais Guitare en Scène toi ? Allez, tu l'as connu ce matin ! (rires)

Thierry : Bien sûr que je connais, je n'étais jamais venu par contre. J'en ai entendu pas mal parler et j'ai surtout entendu parler des têtes d'affiches qui y sont venues. Donc quand tout d'un coup on te dit « Tu vas jouer là », c'est assez fou, c'est le grand rendez-vous, ce sont ces scènes qui te font envie, où tu as un peu l'impression d'être sur la voie de toutes ces têtes d'affiches qui étaient là avant toi.

Votre route est semée de nombreux festivals, petits et grands. Quelle est la place des petits festivals face à de très grosses machines comme le festival de Montreux, ou le Gurten Festival où vous avez joué dernièrement ?

Yannick : Finalement, chaque festival défend son identité, ses valeurs. Je ne pense pas qu'il faille les mettre en compétition. Là quand tu me dis que chacun essaie de se situer, OK c'est important, mais il faut surtout faire ce que tu aimes faire, faire ton festival et aller de l'avant. Si ça fonctionne ça fonctionne, si ça fonctionne pas, tu arrêtes, tu commences autre chose... Il faut juste savoir ce que tu défends derrière. Pourquoi tu veux faire un festival ? Est-ce que tu veux faire ça pour la thune, par amour de la musique, pour les artistes ? Nous on va là où on nous appelle, et tant qu'on nous paye, c'est bon ! (rires)

The Two, Blues Band, Blues, Dobro, Festival, Guitare en Scène 2018

Et avez-vous remarqué des différences d'organisation entre ces différents types de festival ?

Thierry : Bien sûr qu'il y a des différences... Yannick bluffe un peu parce que comme il dit, on va là où la musique nous mène. C'est vrai que pour nous, évidemment, jouer dans des grands festivals, c'est incroyable. On a joué plusieurs fois à Montreux, on se dit on y est, c'est une grosse visibilité. Mais après dans mon cœur, il y a une place pour les petits festivals. Quand j’étais gamin, j'avais pas de sous pour venir dans ces grands festivals donc j'allais que dans des petits, voire des festivals gratuits et du coup aujourd’hui, je me dis pourquoi je pourrais plus jouer dans ce genre de festival ? Pour moi c’est important de pouvoir jouer pour des jeunes comme moi qui n'ont pas forcément beaucoup d'argent pour aller voir des concerts.

Yannick : Et ça fait partie de notre position, en tant que musiciens. On chérit énormément ces petits endroits. C'est pas petit dans le sens où les gens sont beaucoup plus accueillants, beaucoup plus souriants, ils se donnent de la peine, ils se cassent en douze...

Thierry : Pas plus accueillants que dans d'autres...

Yannick : Ah si ! Ici on a été accueillis comme de la merde ! (rires) attends, c’est un gros festival ici, t'as vu, ils ont mal garés notre voiture, c'est inacceptable ! Non OK c'est bon, on a été très bien accueilli. Dans ces grosses machines, il y a quelque chose avec la rentabilité, et on ne te voit plus. Ça passe, fap, fap, fap, et t'as plus le temps de discuter avec les gens. Parfois dans les petits festivals, ils sont là, tous heureux de te recevoir et je sais pas, il y a quelque chose de modeste, qui correspond à mes valeurs.

Votre deuxième album Crossed Souls est sorti en février 2018, le premier, Sweet Dirty Blues date de 2014 et entre les deux vous avez beaucoup tourné.  Composez-vous pour la scène, et si oui, comment choisissez-vous les morceaux qui passeront le stade de l’enregistrement ?

Thierry : Les deux albums ont été composés complètement différemment. Pour le premier, on a beaucoup joué ensemble avant d'aller enregistrer, donc ce sont des morceaux qui ont beaucoup tourné sur scène qu'on a mis sur cd. Pour ce deuxième album, on a vraiment réfléchit en mode studio. On s'est dit on va enregistrer un album et maintenant, tout le travail c’est de l'adapter pour le live. Donc on ne compose pas vraiment pour la scène. Enfin surtout sur ce deuxième album. Pour nous c'est vraiment deux univers différents.

Yannick : Le premier album nous a permis de trouver une direction technique au niveau de l'enregistrement. On ne savait pas comment faire avant. On savait qu'il fallait capturer quelque chose, il y avait un son qu'on aimait bien mais on ne savait pas comment le faire.

Thierry : On a enregistré trois fois ce premier album et ça nous a aidé pour le deuxième album. On savait... OK ça fonctionne comme ça, tac tac tac, c’était un peu plus simple...

Yannick : Du coup on l'a enregistré quinze fois ! (rires)

Quels sont les thèmes qui vous touchent, à propos desquels vous aimez écrire ?

Le temps qui passe. Dans le dernier  album il y a un morceau qui s'appelle « Time » qui parle de ce temps qui passe, on ne sait pas quand les choses vont s'arrêter, on sait pas du tout, et ça parle de ça.

Thierry : On a un morceau «  Raw Man » qui parle de cette sobriété...

Yannick : Il parle de rester intègre « Raw » et aussi du son « Roar », de pouvoir rugir. Ça parle de l'homme dans son entier... quoi d'autre ?

Thierry : Nos textes  parlent beaucoup du quotidien. On philosophe beaucoup avec Yannick sur plein de thèmes. C’est vrai que c'est ça qui inspire nos textes avant tout. Après je pourrais pas te dire s'il y a un thème en particulier, notre album aborde beaucoup de choses... il y a aussi le morceau « The Mountain »...

Yannick : Oui tu vois pour « The Mountain », on nous a demandé de faire un «sound track» pour un mec de quatre-vingt-dix ans qui fait de la grimpe. À quatre-vingt-dix ans il a grimpé le mur d'Argentière ! Le mec il s'appelle Marcel et de bosser pour ce gars là, c'était juste incroyable.

Thierry : Ce morceau, il parle d'une intention de continuer, de ne jamais s'arrêter...

Yannick : Encore le temps qui passe, mais aussi une envie d'avancer malgré tout, de garder la foi, garder la force, même à quatre-vingt-dix ans

The Two, Blues Band, blues, dobro, Festival, Guitare en scène 2018

Même si Bill Withers chante Just The Two Of Us, envisagez-vous de tourner ou de composer avec d'autres artistes ? Et si oui, avec qui rêveriez vous de collaborer ?

On s'appelle "Les Deux", The Two, mais derrière nous, il y a une panoplie de gens qui nous aident. Déjà on est trois sur la route, Mike c’est notre ingé son, il est derrière, il se cache.. alors même si on est que deux en scène, moi j'ai ma femme qui est graphiste, il y a notre ami photographe Stéphane qui nous accompagne, on a d'autres amis qui font de la vidéo... c'est toute un équipe qui travaille pour The Two. À propos de collaborer avec d'autres artistes, pour le nouvel album on a travaillé avec des gens qu'on aime bien : Thierry a invité son prof de guitare et quelques autres amis avec qui il a travaillé avant, et voilà, on cherche encore. L'idée c'est de chercher et de trouver du plaisir.

Thierry : Et puis quand tu demande avec qui on aimerait bien travailler, c’est vrai que dernièrement on nous a demandé dans un festival, au Cully Jazz en Suisse, de monter une affiche spéciale autour de nous, de venir avec plusieurs musiciens. Au début on nous poussait un peu pour qu'on vienne avec des gens connus, des gens qui pourraient attirer un peu le public. Nous on a dit non, si vous voulez qu'on vienne avec des gens, nous on va prendre nos amis. Du coup, on s'est aussi rendu compte à ce moment que travailler avec des gens, c’est clair que des fois tu te dirais bien "je jouerais bien avec cette star" mais que en même temps, quand t'es sur scène avec, est-ce qu'il va se passer quelque chose ? Tandis que quand tu es avec les gens que tu aimes, sur scène, il se passe vraiment quelque chose, du coup tu te rends compte que t'as pas besoin d'aller chercher loin. Autour de nous, on a de supers musiciens. Les faire monter sur scène, c'est un plaisir de partager ça. Et le plaisir il est vraiment là, quand tu peux faire monter ta famille, quand tu peux faire monter tes amis et partager un moment avec eux, ça se ressent aussi dans le public.

Yannick : Après des musiciens incroyables, il y en a des tonnes, c'est pas parce qu'ils passent pas à The Voice, ou tu vois... Notre réparateur de guitare par exemple, il fait du lap-steel, c'est un malade ! Le gars tu rentres dans son magasin et il est là et tu te dis mais c'est quoi ce psychopathe, mais c'est juste un réparateur de guitare, à la retraite maintenant. Du coup, on l'a pris avec nous et c’était génial

Vous nous disiez que vous aimiez philosopher... Pensez vous que l'artiste doive être un ennemi du droit et des bonnes mœurs ?

Thierry : Je ne dirais pas ennemi. Mais être artiste, pour moi.. Hum comment dire ça... c'est un acte de résistance. C'est Gilles Deleuze qui disait ça, que l'art c'est un acte de résistance. Parce que finalement, on ne te pousse pas dès que t'es gamin à être artiste. En tout cas pas en Suisse, ni à Maurice, je crois qu'on ne nous pousse pas à faire ça. On a envie que tu rentres dans des cases, que tu fasses marcher la société, et quand tu es artiste tu peux prendre de la distance, voilà pourquoi je vois ça comme de la résistance. J'ai pas l'impression d'aller contre les choses mais plutôt en tangente...

Yannick : Marronner... les chemins de traverse. L'art c'est les écarts, et là dedans, bonnes mœurs ou pas... c'est assez complexe, qu'est-ce que les bonnes mœurs ? Par exemple avec Thierry, on a deux attitudes complètement différentes, on a des façons différentes de voir les choses. On essaie dans notre métier d'artiste de trouver une espèce de confluence et d'équilibre entre nous deux pour avancer. Moi je serais plutôt à aller péter des gueules, lui est plus diplomate... alors on essaie de…

Thierry : ...Pèter des gueules avec diplomatie ! On pète la gueule, mais on dit pardon !

Photo : Yann Landry
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