The Dizzy Brains – Tany Razana

En l'espace de deux ans, ils se sont attirés toute la tendresse de la rédaction de La Grosse Radio à l'occasion de performances live furieuses, d'interviews touchantes et surtout, d'un premier album remarquable, Out Of The Cage, paru en 2016 ; les Malgaches de The Dizzy Brains reviennent avec leur deuxième long-format, Tany Razana, enregistré au printemps dans un studio français, Le Manoir de Léon, dans les Landes.

Au regard de l'ethos que le groupe se construit, de par la rage imbibant ses prestations scéniques, de par leur engagement politique intransigeant fermement revendiqué, et de par la violence que suggère dès le départ le titre de l'album, Tany Razana, « terre brûlée », et sa pochette (cliché du photographe Rijasolo pris lors d'une manifestation du mois d'avril dernier, où deux personnes ont été tuées par la police), l'entrée en matière détonne, et nous paraît même particulièrement intelligente : l'introduction basse-batterie de "Yes Sir" joue sur nos attentes, fait monter la pression, creuse la fausse piste d'un départ canon, et au moment où l'on se prépare à être soufflé, se révèle un titre finalement assez doux, laissant le temps au temps.

L'effet est intrigant, et donc, accrocheur ; la voix posée contient étrangement l'émotion, intériorise. Et lorsque le deuxième morceau commence, on comprend qu'il s'agira d'une constante : la violence de Tany Razana est interne, peu démonstrative ; "Give Me My Money" est plus rapide que "Yes Sir", peut-être plus dansant aussi, mais d'une énergie tout aussi tamisée, canalisée par ces lignes de guitare délicates, pleines de sang froid, comme on aurait pu en trouver dans les années Dr Feelgood ou Only Ones, lorsqu'au cœur de l'hiver 70's on se réfugiait dans la chaleur des pubs rock tout en suspectant qu'au dehors, une tempête de neige post-punk se préparait.

Effectivement, on a l'impression d'avoir affaire à un album d'un autre temps. Dans l'organisation des morceaux, d'abord, structurés avec un traditionalisme rétro, en des moments se voulant bien distincts : d'abord, c'est le couplet, et puis, le refrain. Entre les deux, règne la simplicité d'un gimmick de guitare sobre mais bien senti, emmené jusqu'à plus soif ; le touché est tendre, fluide, comme celui de la section rythmique, toujours juste, sans excès de zèle, sobre - la basse en particulier semble bien en arrière dans le mix. La sobriété, c'est également ce qui caractérise une production qui peut elle aussi paraître anachronique ; dans une époque où une importance gigantesque est accordée à tous ces ajouts qui construisent en s'empilant une ambiance totale, copieuse, ne laissant aucun espace de libre dans le spectre sonore, le choix d'un tel dépouillement est audacieux. Il en ennuiera fatalement certains, en séduira d'autres. C'est à double-tranchant : il offre une prise directe sur les morceaux, permet à l'auditeur de se les approprier rapidement, mais laisse en même temps peu de place au mystère, à ces éléments qu'on ne perçoit pas dès la première écoute et qui font qu'on y revient sans cesse.

dizzy brains, tany razana, 2018, madagascar

Le constat est donc ambigu ; on se dit à certains moments que le résultat est propre, clair, prend à contre-pied les productions beaucoup trop massives auxquelles on se frotte parfois et qui se révèlent indigestes, et à d'autres moments, que plus de risques auraient du être pris, comme sur "Mother Fucker", animé d'une belle énergie mais qui devrait piquer plus (on ne serait pas étonné que le titre devienne le temps fort des prochains live d'ailleurs, souillé par la mauvaise sono d'une salle cradingue, par les cris primaux d'une foule en sueur). S'il est en revanche un élément qui n'hésite pas à prendre sa part de saleté, c'est bien la voix d'Eddy : c'est la grande force du groupe, un chant protéiforme, capable d'une belle intensité tragique (le refrain de "Midnight"), comme des coups de folie les plus sombres (celui de "Shut Up", en hurlements répétitifs et malsains), des grands écarts de ce genre.

C'est donc un album globalement bon que nous proposent les Dizzy Brains, mais dont la production divisera, selon qu'on l'estime puriste ou frileuse, comme le classicisme de la composition, selon qu'on considère que le groupe file droit au but ou est avare en distorsion de structures, ou en arrangements. Mais l'énergie est bonne, et ces titres devraient donc avoir une belle vie bien agitée dans les salles de concerts du monde. Une personnalité intéressante se construit, qui demande sans doute quelques prises de risque supplémentaires, une intention de bousculer un peu plus violemment les conventions musicales, comme ils savent déjà le faire dans le discours qui guide leur démarche, pour s'épanouir véritablement.

Sortie le 19 octobre 2018 chez X-Ray Production

The Dizzy Brains en tournée :

08.12.18 - Fumel - Pavillon 108
20.12.18 - Saint-Malo -  La Nouvelle Vague
21.12.18 - Vannes - Les Valseuses
30.12.18 - Antananarivo (Madagascar) - Kudeta
18.01.19 - Narbonne - Db
19.01.19 - Bagnère de Bigorre - Alamzik
20.01.19 - Belvezet - Les Agités du Local

Crédits photo : Serge Leplege

NOTE DE L'AUTEUR : 6 / 10



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