Steve Hackett continue d'écumer les routes, mais n'oublie pas de revenir faire un petit passage au Trianon de temps à autre. Au vu de la pierre angulaire du rock progressif qu'il représente, et du fait qu'il ne déçoive jamais lors de ses prestations, on se devait d'être au rendez-vous.
D'autant que cette fois-ci, l'annonce est forte. En plus d'avoir annoncé vouloir fêter Spectral Mornings, un de ses nombreux albums solos qui est un plaisir à redécouvrir pour les connaisseurs, il compte également jouer en intégralité Selling England By The Pound. L'immensité de Genesis dans toute sa splendeur, leur album le plus abouti, témoin d'une époque où le groupe avait atteint son pinacle créatif. S'il y a deux ans, c'était un plaisir d'entendre de nouveau les mélodies de Wind And Wuthering, ici c'est d'un tout autre niveau. Et si la salle a aussi vite affiche complet, ce n'est pas pour rien. On attend avec une impatience folle d'entendre de nouveau cet album et de voir quelles autres surprises nous sont réservées. À se demander si At The Edge Of Light, le nouvel album sorti en ce début d'année, aura la moindre place dans ce programme déjà très chargé.
La construction en deux parties est sans surprises, et très proche des précédéntes prestations du guitariste. Comprenant donc dès le début que tout ce qui ce concerne Genesis est réservé pour la deuxième partie du concert, on peut se plonger dans l'univers de Steve Hackett en solo. L'occasion de prendre nos marques avec le groupe, qui comme toujours se compose d'immenses musiciens. On retrouve une fois encore Rob Townsend, qui a toujours la lourde charge d'assurer saxophones, flute, percussions et une partie des claviers, en plus des choeurs. Roger King pointe encore présent aux claviers, et un nouveau venu derrière les fûts, Craig Blundell, nous ravit d'un jeu vif, lourd et moderne. À la basse, point de Nick Beggs, qui nous a enchanté lors de sa dernière venue avec Hackett ainsi que dans sa tournée au côtés de Steven Wilson, mais Jonas Reingold, qui n'a rien à lui envier. Le bassiste, connu pour ses travaux avec The Flower Kings, Kaipa ou encore The Tangent, est un véritable virtuose, et est ici totalement investi. Au chant, Nad Sylvan (qui s'apprête d'ailleurs à sortir un nouvel album solo, autre histoire mais on vous en cause vite !), désormais compagnon de longue date, toujours aussi juste.
Alors on redécouvre Spectral Mornings, ses orchestrations grandiloquentes, ses mélodies inspirées et inspirantes. Le nouvel album est finalement représenté par trois morceaux, qui se mêle parfaitement aux horizons de Spectral Mornings. Du rock progressif hautement mélodique, qui cherche toujours le grandiose, et qui nous montre bien qu'à l'instar de son comparse Tony Banks, Hackett était bien celui qui poussait Genesis vers l'orchestration classique, et apportait cette dimension épique qui a définitivement révolutionné le rock anglais des 70's. Ce qui aurait pu s'apparenter à un préambule devient une véritable communion musicale. Nous attendons tous Selling England By The Pound avec impatience, et nous sommes clairement déplacés pour ça, mais on réalise qu'au-delà de son groupe phare, Steve Hackett a un nombre incroyable d'albums et de morceaux de qualité qu'il fait bon entendre à nouveau.
Les vingt minutes d'entractes laissent alors rêveur. On vient de voir un groupe qui en a dans l'estomac, capable d'interpréter avec brio et une désarmante facilité des titres aux allures riches et complexes. Nul doute que l'album de Genesis va être interprété de manière magistrale. Ça n'a pas loupé, et bien plus encore. Avec énormément de réarrangements, que ce soit dans l'adaptation même offrant à Rob Townsend des passages de choix, changeant alors les passages de flute par des passages à l'alto ou autre, mais aussi dans la composition elle-même, les morceaux s'allongent, des passages s'ajoutent, on distingue des distanciations qui apportent une richesse supplémentaire. Contrairement à la réadaptation de Wind And Wuthering qui avait simplifié les solos de Steve Hackett (ou les avait tout simplement remplacés par un solo interprété alors par Townsend sur l'un de ses nombreux instruments), ici le guitariste est en plein coeur de chaque titre. Inspirée à souhait, son interprétation est toujours juste, autant dans les solos complexes que dans les rajouts effectués. Au chant, Nad Sylvan peine quelquefois. Sur des passages qui, de son propre aveu, mettaient déjà Peter Gabriel sur les rotules en son temps, on ne saurait donc en tenir rancoeur au chanteur qui à part sur deux trois notes trop haut perchées n'a aucun mal à interpréter ses parties et est complètement habité. Toujours théâtral, il se dénote du reste de la bande.
Un moment de grâce et une représentation fantastique pour le dernier vétéran scénique du groupe britannique. Genesis revit encore par le biais de son principal compositeur, qui tient encore bon la barre et dont on espère encore de nombreuses offrandes musicales. Un groupe que l'on peut encore redécouvrir de la meilleure des manières, avec des nouveaux musiciens qui se sont totalement réapproprié le répertoire. Tant que c'est sous la houlette de Hackett, on espère les revoir !
Photos : Jo Hackett. Toute reproduction strictement interdite.