Certains albums captivent et convainquent l’auditeur en quelques secondes : immédiatement dansantes, chaudes, mais en même temps mystérieuses, suggérant le potentiel désarticulatoire sans le dilapider d’emblée, c’est l’effet que font les premières mesures de "Wolf", titre d'ouverture de Spells That Rhyme, troisième album des Bordelais de Sweat Like An Ape!.
On voit depuis quelques temps fleurir çà et là un certain nombre de groupes attachés aux rythmiques chaloupées, qui font bouger les fesses tout en continuant de nourrir le renouveau post-punk de ces dernières années : chez Born Bad Records, notamment, Cannibale a fait œuvre d’exotisme avec classe et raffinement pour son premier album, Not Easy To Cook, paru en 2018. Ici, Sweat Like An Ape! propose une musique aux couleurs analogues, si l’on excepte le fait que le nombre de battements par minute semble avoir doublé, et que l’interprétation est livrée avec une énergie toute différente, furieuse et incantatoire. S'il avait été un peu punk, Franky Vincent tiendrait là son backing band idéal.
Spells That Rhyme construit en effet une sorte de monde tropical ambivalent, où l’Eden devient Enfer en fonction de la météo. Les lois physiques sont celles que dictent les basses rondes, les batteries à charley-en-double-croche -avec-ouverture-sur-le-contre-temps, les guitares à riffs chamaniques répétés jusqu’à ce que les esprits de l’auditoire abandonnent leurs corps et copulent dans le cosmos. Sur ces éléments de base varient des mélodies, solaires bien souvent, mais pouvant muer en terribles orages lorsque la pression que fait monter le groupe atteint des sommets. Ainsi "My SIlent House" est-elle marquée par son riff du bonheur en guitares joliment entremêlées (c’est une constante, la complémentarité des deux guitares est évidente : elles se lient, se séparent, s’harmonisent ou s’opposent mais ne se marchent jamais dessus), ainsi "Watching Jarvis Dance" détourne-t-elle parfaitement ces rythmiques ultra positives en jouant sur la dissonance pour ennuager le ciel et initier le doute, la tension et le malaise.
Ainsi entourée, une voix élégante fait des allers-retours entre un rôle d’obscur conteur d’histoires occultes, tirant profit d’une ambiance narrative introduite dès le premier titre avec les hurlements bestiaux à la fin de "Wolf" et trouvant son paroxysme à l’occasion de "The Swamp Monster", spoken-word angoissant, et une race particulière de crooner non-ringard, prenant de beaux accents dramatiques ("My Silent House") voire carrément désespérés ("Groom Of Doom"). On en réhabiliterait presque le mythe du frontman littéraire qu’incarnait Jim Morrison quand il picolait juste ce qu’il fallait : le jeu sur les assonances ("Groom Of Doom" encore) fascine, le langage est fluide, gracieux et habité, trouve toujours parfaitement sa place au sein des grands mouvements de crescendos et climax.
Les variations d’intensité sont donc particulièrement bien menées. On note d’ailleurs qu’à l’exception de "Sweety", un petit 7 temps tranquillou, bluesy et orientalisant évoquant plutôt un paisible trip halluciné, qu’on aimerait écouter allongé dans le désert, les titres de Spells That Rhyme maintiennent une tension constante qui nous oblige à rester debout, bien sur nos appuis, prêt à twister si besoin est. Le thème de la danse est central, le terme est même présent dans deux titres ("Watching Jarvis Dance" et "Dancing With Druids"), et exploré à fond ; danse de la joie, cérémonie cabalistique ou folie désarticulée, on est en mouvement constant sans pour autant se prendre les pieds dans la redite à aucun moment.
Ainsi Sweat Like An Ape! parvient à créer un album très uniforme et cohérent, explorant un registre unique mais l’explorant à fond, sans négliger aucune piste. Spells That Rhyme est accrocheur, que l’on se focalise sur l’instrumental, au groove furieux et contagieux, ou sur la voix, qui raconte des histoires passionantes avec force charisme. La production s’est améliorée sur cet album, le groupe bordelais est en progression, on suivra donc avec attention ses prochaines pérégrinations, que l’on espère trouver dans une division supérieure.
Paru le 10 mai 2019 chez Platinum Records
Prochaines dates :
3/06 - Tours - Aucard de Tours
7/06 - Sainte Bazeille - Le 180