Voir Roger Hodgson en 2019, c'est prendre conscience qu'il existe des figures éternelles, qui ont réussi à traverser les âges, glanant le même succès tout au long de leur carrière. Avoir la chance de voir David Gilmour, Van Morisson, Joan Baez et consorts 50 ans après leur débuts est une chance irréalisable tant on ne les imaginait pas survivre à leur époque, leurs excès. Et à l'heure où Supertramp traverse une période de trouble - les revoir dans leur incarnation actuelle semble assez incertain -, on savoure d'autant plus leurs titres intemporels interprétés par leur voix.
C'est d'ailleurs ainsi qu'il est présenté sur toutes les affiches : Roger Hodgson est La voix de Supertramp, celle qui a été retenue en opposition à celle de Rick Davies, relayé au rang de simple claviériste du groupe, là où les deux chanteurs se complétaient pourtant parfaitement. La cission s'est également effectuée au niveau des fans, chacun y allant de sa prise de parti. Hodgson le hippie, qui se doit de garder son image de gentil tonton, et qui tient toutes les promesses de ce côté là.
En effet, Roger Hodgson va constamment, au travers de ses interventions entre chaque morceau, ramener l'ambiance à l'intimiste, faire mine de connaître chaque personne dans la salle. À public acquis, retour garanti, et l'audience le lui rend bien durant tout le concert. Il va même jusqu'à mentionner la famille complète de son nouveau parolier et co-compositeur, demandant où chaque personne est assise pour les saluer tour à tour. Un mec d'une incroyable gentillesse, qu'on vous dit.
C'est d'ailleurs assez ironique de le voir nous présenter un nouveau collaborateur quand la setlist ne présente pas la moindre prise de risque. Depuis 30 ans, Hodgson capitalise à souhait sur son répertoire Supertramp, et compte sur le fait que l'on ne se déplace que pour ça. Après tout, pourquoi proposer si l'on se contente des acquis? Alors il joue les mêmes titres, la date qu'il fait ce soir est exactement la même que celle d'il y a 20 ans, et de celles qu'il fera encore à l'avenir. Trois titres solos présentés (pris de deux de ses albums, et rien de récent), et pour le reste, le succès du groupe pérennise ses vieux jours. Aucun arrangement, ou très peu, juste les titres devenus classiques en leur temps.
Il faut cependant reconnaître que ces titres sont d'une composition sublime. En son âge d'or, Roger Hodgson a apporté des morceaux forts, riches, qui n'ont pas traversé les décennies pour rien. On a donc beau trouver la démarche facile et proposant peu de nouveauté, le résultat n'en reste pas moins grandiose. Toujours fort d'une voix juste, Hodgson interprète son répertoire avec puissance, offrant un nouveau souffle chaque fois qu'une partie est jouée, et sait s'entourer de musiciens qui vont s'accorder pour faire vibrer l'auditoire. Comme mentionné précédemment, tout est une question d'harmonies. Harmonie musicale, où les choeurs s'entremêlent, faisant parfois l'objet de canons retentissants (on pense à la somptueuse "Hide In Your Shell"), mais aussi harmonie avec un public qui n'a jamais lâché le navire et sait ce soir faire trembler les murs de l'Olympia d'une seule voix.
Alors le ressenti est en demie-teinte. La démarche est facile, on est face à un chanteur qui se repose sur ses lauriers depuis bien trop longtemps, et la carte de " l'absolue gentillesse " peut avoir tendance à sonner faux. Mais pour qui vient découvrir le répertoire phare de Supertramp ou souhaite se draper de nostalgie dans un cocon qu'il adore, la soirée prend une toute autre apparence. On peut alors savourer des morceaux intemporels, interprétés avec minutie et professionalisme. Une âme loin d'être éteinte ou affaiblie comme nombre de ses comparses, Roger Hodgson tient bon le flambeau, et fait encore voyager. On lui souhaite plus d'audace, mais ce qu'il offre est déjà conséquent.
Photos : David Poulain. Toute reproduction interdite.