Deuxième jour au This Is Not A Love Song de Nîmes. Le soleil tape sur les mines avinées des festivaliers restés s’évanouir pour la nuit sur le parking jouxtant l’aérodrome. Privés d’eau et dos brisés, nous résistons à l’appel de l’arbre ombragé d'à côté du site pour porter haut la bannière de la presse bénévole, et nous en aller à la rencontre de la programmation locale post-méridionale.
Poutre
Poutre est un groupe venu d’Arles l’antique évoluant dans un genre tout à fait bourrin, annihilant toute perspective de sieste tranquillisante ou de tai-chi en famille. Le soleil tape fort sur le sol sec, le public du groupe, qui a clairement fait le déplacement, fait voler la poussière autour de lui. Une ouverture de journée aussi brutale nous fait trouver le réveil un peu trop rude ; ça n’enlève rien des qualités d’un groupe qui frappe direct au foie, la basse gavée de fuzz roulant impitoyablement sur nos intestins. Un connaisseur nous dit au passage que le batteur est boulanger : « Bio et tout, il ramène toujours plein de fougasses. Les mecs ils font du noise et des chouquettes ». Cool.
Off The Wagon
Dans le patio, un autre échantillon de la scène locale a également son comité : les Nîmois scandent le prénom de Richard, seul membre du groupe Off The Wagon. En one-man band, il développe des boucles corrosives, sans se passer de l’efficacité du format chanson. La batterie (enfin le tom basse-caisse claire) est au centre de la composition, résolvant les tensions en dynamitant les structures. Si la voix mériterait d’être un peu plus cadrée, l’expérience est agréable, Off The Wagon faisant preuve de créativité pour s’adapter aux contraintes auto-imposées du seul en scène.
DTSQ
DTSQ fait partie de ce vivier d’artistes asiatiques mis à l’honneur dans la programmation du TINALS - une tendance à regarder à l'Est qu'on relevait déjà lors des éditions précédentes, mais qui s'est affirmée cette année. Les Coréens envoient un garage énergique, propulsé par un batteur à la frappe de sourd, laissant toutefois suffisamment de place pour développer quelques mélodies vocales au fond plutôt pop, et des textures de guitare gavée de flanger appelant à la rêverie-debout.
Le registre est moins bourrin, plus délicat que ce à quoi l’on pouvait s’attendre ; le quatuor fait preuve d’une maîtrise des contrastes d’ambiance efficace et originale, joue de feintes de crescendos et de climax à retardement. Pour ne rien gâcher, les types sont particulièrement sympathiques sur scène, contemplent avec des yeux de nouveau-nés le public de la Grande Salle se rallier unanimement à leur cause, s’en amusent, visiblement surpris. DTSQ est l’une des plus belles surprises du jour.
OPTM
À regrets, on quitte la Grande Salle un peu en avance pour aller capter quelques minutes d’un autre groupe à sigle, et constater au passage que dans les duos, il y en a toujours un qui porte une casquette (si quelqu’un a une explication, merci d'écrire à la rédaction).
Bon, les remords sont de courte durée, OPTM dégage une très grosse énergie. Le tandem veut clairement démontrer qu’il n’est pas là qu’à titre de groupe local et veut faire honneur à sa programmation dans un festival de qualité, ce qu’il fait avec force explosivité. Les mises en place sont créatives, les sons de guitare sont parfaitement travaillés, le batteur tabasse et le show visuel est tellement convaincant que les compères se retrouveront dans tous les after-movie du festival parce que, vé, les petits jeuneu là, y z'envoient, con.
Courtney Barnett
Nouveaux regrets, on zappe la fin d’OPTM pour aller voir Courtney Barnett, sympathique australienne dont la discographie compte un premier album très frais, une collection de berceuses enregistrées à la va-vite avec Kurt Vile, et un deuxième album, sorti l’an dernier, plus ou moins fade. Malheureusement, le concert s’inscrit dans la lignée de cette insipidité douce, alternant entre moments groove assez épars, et longues plages ennuyeuses.
Courtney Barnett, à la faveur de l’absence totale de charisme de son groupe, est au centre de l’attention, mais son chant est redondant, les fins de phrases parlées-chantées sont devenus des automatismes maniérés et paresseux, et ses solos de guitare sont longs et chiants. Pour le coup on n’aurait pas du quitter le patio.
Boy Pablo
Sur la scène Mosquito, le « type des algorithmes Youtube » pour reprendre le commentaire laissé par un connaisseur lors de l’annonce de la programmation du garçonnet, prend le relais. Suave virginal, tropical contrefait, Boy Pablo est le rosé pamplemousse de la soirée : trop sucré et faussement exotique, personne ne sait qui a amené ça mais on est sûrs en revanche de retrouver ses adeptes à quatre pattes dans les chiottes aux alentours de 23h45, recrachant du Boy Pablo semi-digéré entre deux gémissements pathétiques. Nous fuyons en agitant les bras en l’air, hagards, « Jeanne, au secours ! » supplions-nous en regagnant le patio que nous n’aurions jamais dû quitter.
Mick Strauss
En sécurité dans la saine atmosphère de la courette d’été de Paloma, nous respirons. Le personnage-mystère du festival est monté sur la petite scène : Mick Strauss, programmé tous les jours au même endroit pour « jouer le même set et raconter les mêmes blagues », cultive l’ambiguïté, a réussi à se faire programmer sans proposer le moindre contenu sur internet, ni musique, ni visuel, ni compte sur les réseaux sociaux, parle anglais tout du long à l’exception d’une phrase prononcée dans un français impeccable et sans accent (on a le fin mot là-dessus mais le mystère est plus excitant).
(attention on vous arnaque, ce sont les photos du set de la veille)
On se rend donc à son concert complètement au pif, et il faut avouer que c’est foutrement agréable. La musique proposée a un petit côté parenthèse enchantée, dans sa douceur et dans son humilité, la pureté de son interprétation simple, naturelle en même temps qu’incarnée repose nos cerveaux et nos foies pour nous laisser partir en road-trip imaginaire dans la Camargue alentour.
Les codes folk, country, sont présents mais pas envahissants, le rendu est foutraque par moments, tout en signes entre musiciens qui n'ont pas beaucoup répété « attention, la fin du morceau c’est maintenant » (on dit « spontané » quand on aime), et l’âme dégagée par le quatuor est incroyablement touchante. Les programmateurs ont un nez à truffes.
DTSQ (encore)
On est bien dans notre patio, et sans surprise, on n’est pas les seuls : avec la très belle prestation offerte dans la Grande Salle, nombreux sont les festivaliers à souhaiter revoir DTSQ. Comme lors des années précédentes, cet espace est formidablement séduisant, l’expérience du concert se révélant très différente malgré un set quasiment identique ; le son plus brut, la proximité avec le public vont très bien à ce groupe qui réalise une nouvelle fois une performance enthousiasmante, tout en continuant de jouer avec Google traduction pour communiquer avec la foule. L’amour suinte par tous les pores, DTSQ s’est fait plein de nouveaux amis et s’étonne toujours aussi joyeusement de ce succès indiscutable.
Pendant ce temps, dans le club, It It Anita livre une prestation qu’on a dit elle aussi particulièrement rutilante. Mais la file d’attente qui mène à cette salle ultra-select est trop longue, et plutôt que de tenter d’user de notre badge presse pour passer devant, nous nous en retournons dormir parmi les clodos du parking, nous préparer une belle gueule de bois pour le dernier jour.
Crédits photos : Thomas Sanna