Après les deux premières journées placées sous le signe de l'énergie, on en attaque une troisième résolument plus calme, et radicalement différente de la veille : programme de ce "tour du monde en 80 heures", la grande Joan Baez et John Illsley, le bassiste de Dire Straits. Un jour avant Mark Knopfler, John devrait déjà ravir les fans de la formation légendaire, mais avant ça, direction la scène Village pour Bear's Towers.
Bear's Towers
Quatuor souriant et visiblement bien content d'effectuer ce set devant un bon gros paquet de monde. Il y a de l'affluence ce soir comme attendu, nettement plus que les deux précédents. Normal, c'est le week-end après tout. Avec ses lunettes et sa chemise hawaïenne, le chanteur appose sa voix belle dans les aigus qui rappelle pas mal celle de Bono. Les amateurs des envolées mélodiques de U2 apprécieront.
Musicalement, c'est dansant, avec des gros kicks de grosse caisse pour imposer le rythme et de nombreux appels au public à scander en rythme ou taper ses mains. Le quatuor sait chauffer l'audience et se renouvelle un peu, notamment lorsque le guitariste sort son harmonica pour un titre encore plus rythmé.
La formule reste cependant répétitive, et si le folk-rock à tendances pop de Bear's Towers se révélait rafraîchissant de prime abord en cette fin d'après-midi bien chaude, il en devient assez pesant passés les premiers titres. Comme U2, en somme. Préférant la qualité de la bande son diffusée sous le chapiteau, on s'est éclipsé avant la fin du dernier titre pour aller retrouver la douce voix de Fish pour un petit Marillion période Misplaced Childhood. "Nous sommes si désolés, nous ne voulions pas vous briser le cœur." Et dire qu'ils auraient du s'appeler Girafe. Mais mine de rien, on a assisté au set des gagnants du Tremplin, comme quoi nos goûts sont subjectifs, et même si on crachote dans la soupe, on a pas la science infuse !
John Illsley
Fan de Dire Straits, envie d'entendre les titres phares de la formation? Ce n'est peut-être pas vers le représentant le plus évident du groupe, Mark Knopfler, qu'il faut se diriger dimanche à Guitare en Scène, mais bien vers son comparse John Illsley la veille! En effet, le bassiste, loin d'être dépourvu pourtant d'une carrière en solo, utilise le répertoire du groupe, dont il n'a pas composé le moindre titre, comme fond de commerce depuis de nombreuses années. On peut revenir sur l'honnêteté de la démarche, toujours est-il qu'au niveau de l'interprétation et du niveau des musiciens qui l'accompagnent, John Illsley ne se moque pas du monde.
À part quelques titres du nouvel album, fort sympathiques d'ailleurs, le set est donc entièrement centré sur Dire Straits. Peu de surprises dans le choix des morceaux, Illsley se focalise sur un immense best of. Il faut dire que le groupe a son lot de titres connus, et ces réinterprétations par l'un des musiciens phares de la formation sont bien légitimes, bien loin de l'arnaque menée par Chris White qui fait lui aussi les têtes d'affiche de festivals, au Retro c'est Trop entre autres.
Comme on l'a mentionné précédemment, les musiciens présents aux côtés du bassiste sont tous d'un certain niveau, et il suffit de fermer les yeux pour se téléporter trente ans plus tôt. On pense au guitariste chargé des solos, qui en plus d'avoir le son et la qualité d'interprétation d'un Knopfler des grands instants, se permet des arrangements chaque fois qu'il le peut, avec un talent d'improvisation sans faille. Le solo de "Sultans Of Swing", évidemment attendu, est l'un des grands moments du concerts, et le public le ressent, la vague de cris d'extase couvrant rapidement le son du groupe dès les premières notes.
"Romeo And Juliet", "Lady Writer", "Money For Nothing" ou encore l'incroyable "Tunnel Of Love", souvent oubliée, tout est joué, avec une humilité et une volonté de parfaire les titres qu'il fait plaisir de ressentir. Illsley, timide, interprète avec coeur ce qu'il aime, et est entouré par des acolytes qui eux aussi sont passionnés par le répertoire proposé. Après une journée où les prestations nous avaient légèrement déçues quant à la renommée des formations proposées, on retrouve un concert de haute volée, qui nous fait regagner immédiatement notre enthousiasme. La rampe est de nouveau lancée, on attend Joan Baez avec impatience.
Joan Baez
Démarrage du set sur "Don't Think Twice, It's Alright", reprise de Bob Dylan. Initialement seule sur scène, Joan va progressivement se voir rejointe et accompagnée par une petite équipe de musiciens et de choristes, avec qui l'alchimie est totale. En témoignent les nombreux échanges de regards et de sourires que Joan aura avec sa choriste Grace sur "Diamonds And Rust".
Beaucoup de reprises au programme, et pas seulement de Dylan : le set réserve plusieurs chants traditionnels, du Tom Waits, mais aussi des chansons issues d'artistes non anglophones. Quelle que soit la provenance des titres qu'elle reprend et arrange, qu'ils soient chantés dans sa langue natale, en italien, ou en français comme cette reprise de "Chanson Pour l'Auvergnat" de Brassens, la prestation est systématiquement honorable.
Joan est en si grande voix que le temps ne semble pas avoir eu d'impact sur elle. La grande Joan habillée d'une veste blanche ne quitte pas sa guitare acoustique et enchaîne les chansons en prenant régulièrement la peine de les présenter en français à l'audience, avec une justesse remarquable, l'artiste est largement bilingue. Cependant, même si Joan est touchante dans son interprétation de ces classiques, on tient là sans aucun doute le concert le moins énergique de tout le festival, c'est indéniable. On comprend finalement plutôt bien la présence du grand carré or assis devant la scène. Ça s'y prête bien, ou alors couché dans l'herbe.
Joan reçoit un grand bouquet de fleurs en fin de set et revient en rappel assurer avec panache "Forever Young", comme en écho à sa longue carrière, qui semble continuer indéfiniment. Ou également de ce concert qui a déjà largement dépassé le temps normalement imparti, pour le plus grand plaisir de la foule, nombreuse sous la chapiteau. Aynsley Lister attendra un peu plus longtemps, on vit un grand moment.
Finalement, après "The Boxer" de Simon And Garfunkel et deux autres titres, la grande dame tire sa révérence. 1h40 au compteur, comme quoi l'âge n'est pas une excuse pour faire des sets courts. Côté Village, un présentateur est en train de meubler tout en faisant une grosse pub pour son média (et s'amuse à faire crier le public alors que la dame n'a pas terminé, comme quoi le respect c'est pas donné à tous), provoquant des fous rires dans une partie du public. Fil rouge du festival, on aura bien rigolé chaque fois qu'ils auront fait leur apparition pour raconter les mêmes conneries mais caler leur nom au cas où les t-shirts ne suffisaient pas.
Aynsley Lister
C'est donc sur un ton plus électrique que la soirée va s'achever. À l'instar de Fred Chapellier et Neal Black la veille (qui avaient d'ailleurs été rejoints par le parrain de cette édition 2019 dont nous allons parler tout de suite), c'est une note blues qui vient clôturer la scène Village. Ce blues, c'est celui d'Aynsley Lister, l'anglais prodige de la guitare qui depuis presque 25 ans s'est forgé une solide renommée.
Jouant auprès des plus grands du blues classique - John Mayall, Buddy Guy, pour ne citer qu'eux -, Aynsley n'est jamais aussi bon qu'avec son quartette, dans lequel il peut, en sus de ses talents de guitariste, dévoiler sa force de composition. On est en plein dans un carcan mélodique, qui a pris le temps d'ingurgiter pour mieux intégrer les influences du rock moderne. On l'aurait aisément imaginé en compagnie de Jonny Lang, avec qui il partage des saveurs communes, pour le Rockin' The Blues (et l'occasion aurait été d'y retrouver Walter Trout, avec qui il a déjà collaboré).
Définitivement orienté mélodie, le blues présenté ce soir se veut moins "de niche", et ne renie pas ses accents pop, notamment dans les refrains. On y retrouve d'ailleurs certains aspects de King King, avec ce on ne sait quoi de plus. Pour accompagner le blues rock d'Aynsley, les bons musiciens sont de la partie. On note une basse bien ronde, qui accentue parfaitement les rythmiques, un batteur qui se complait dans des breaks imprévus qui rajoutent un piment fort bienvenu, et un claviériste qui répond régulièrement à la guitare lors de mini-impros.
Surtout, chaque membre est complémentaire. Chaque passage instrumental se conclue sur un jeu de regards permettant à chacun de se situer quant aux changements de tonalités ou de rythmiques. Pas de morceaux aux durées prédéfinies, les musiciens se laissent porter selon leurs envies, confirmant leur appartenance aux mouvances blues. Un invité, Stevie Nimmo, vient s'amuser sur scène pour un jeu de questions réponses avec Lister. Initialement invité pour la fameuse jam du samedi soir, il reste quelques titres et revient pour le final sur une reprise de "Purple Rain", toujours aussi jouissive.
On a eu avec Aynsley Lister le concert de blues que l'on est en droit de rechercher en se rendant à Guitare en Scène. Un blues teinté de moderne, qui joue sur ses mélodies toujours généreuses et nous entraîne dans les horizons de musiciens au niveau tel qu'ils nous embarquent en deux deux dans des improvisation envolées. Plus qu'un jour pour le festival, dont on espère encore beaucoup !
Texte Bear's Tower, Joan Baez : Félix Darricau
Texte John Illsley, Aynsley Lister : Thierry de Pinsun
Photos : Luc Naville, Alexandre Coesnon. Toute reproduction interdite.