Après des débuts dans une sorte de punk noise bruitiste et sauvage, Gossip avait explosé en 2009 avec son troisième album Music For Men et ses tubes imparables. Un quatrième album et une séparation plus tard, revoilà les Américains pour une tournée spéciale qui célèbre leur album emblématique. Dans une salle pas forcément la plus adaptée à un tel déferlement de rock.
Big Joanie
Les hostilités sont ouvertes par un trio féminin, Big Joanie, qui retourne aux basiques du rock : guitare, basse, percussions à la place de la batterie. Mais est-ce encore du rock ? La question se pose tant les Anglaises ne se limitent pas aux caractéristiques de ce style et le font évoluer vers quelque chose de plus unique. Le son est très organique, hybride, l’énergie, elle, est indéniablement rock, et confine au punk, au noise, voire au stoner.
Mais l’ambiance se fait parfois plus indéfinissable : pop ? soul ? funk ? R&B ?, le tout porté par des sonorités de percussions de Chardine tribales et incandescentes. Le son de la basse, lourd, puissant, ajoute à la dimension envoûtante, plusieurs chansons commençant d’ailleurs uniquement avec la bassiste Estella, comme pour mieux mettre son instrument en valeur. La voix de la guitariste et chanteuse principale Steph se fait tour à tour envoûtante, évoquant les girls bands américains des années 60, et assez irritante dans la plus pure tradition des mouvements punk et grunge.
Le trio n’a pas un jeu de scène extraordinaire mais sa présence suffit à capter l’attention. La salle n’est largement pas complète quand Big Joanie commence à jouer mais se remplit peu à peu. Si au parterre et aux balcons, le public reste assez froid, dans la fosse, l’enthousiasme ira croissant.
Les trois filles ne sont pas très loquaces en début de set mais communiquent de plus en plus au fil du show. Et à les entendre, on comprend pourquoi Gossip les a choisies. « Combien de gay y a-t-il dans la salle ? demande la guitariste, ne récoltant guère plus qu’un silence. Quoi, il n’y a aucune personne LGBT ici ? Vous vous fichez de moi ! », lance-t-elle, la foule se manifestant alors un chouilla plus alors que Steph annonce que la prochaine chanson est dédiée à ses « consœurs féministes queers », ce qui lui vaudra quelques applaudissements relativement timides.
Le concert alterne les morceaux profonds et fiévreux et des titres plus lents, jolis mais fades en comparaison. Heureusement, les trois derniers morceaux sont de la veine enflammée, chaloupée et enragée, à l’image de la prestation étonnante de ce groupe singulier.
Gossip
La salle s’est à présent bien remplie, et l’on découvre un public de Gossip beaucoup plus BCBG que ce que l’on imaginait. Plusieurs spectateurs semblent tout droit sortis de la Défense, même s’ils côtoyent des spectatrices en tee-shirt de Siouxsie And The Banshees. Sur scène, le décor est sobre : le backdrop de Music For Men en fond de scène, un drap avec le nom du groupe pour la table du claviériste.
Peu avant 21h, la sono se met à passer des morceaux d’electro dansante et la foule se met à crier. Alors que le noir s’est fait, on distingue vaguement les musiciens entrer en scène. Le bruit de la foule est impressionnant : le groupe a droit à une ovation délirante alors qu’il n’a pas joué la moindre note.
Après une telle acclamation, Gossip a intérêt à assurer. Comme une évidence, la bande entame Pop Goes the World, un des plus gros succès de Music For Men. Normal, puisque le groupe est là pour fêter les dix ans de l’album. La chanson est jouée de façon ultra carrée et efficace, et déclenche l’approbation bruyante du public. Clairement, le groupe est convaincant dès le début.
De trio en studio, le groupe s’est transformé ici en quintette, avec l’ajout d’un bassiste, Julien, et d’un claviériste, Chris. Beth Ditto, dans une robe bleue satinée qui évoque un papier cadeau, arpente la scène et passe les premières chansons à serrer des mains dans les premiers rangs. La chanteuse a plutôt l’air en forme, pourtant elle s’excuse dès le début de boire beaucoup d’eau entre les morceaux parce qu’elle a un problème de voix, et que sans cela, sa « voix va ressembler à celle de Miley Cyrus ». Et toute la soirée, la chanteuse va multiplier les blagues entre chaque morceau, avec notamment une histoire récurrente sur son « bouton de fièvre » (en français dans le texte) qui vit des histoires insolites et communique visiblement avec elle.
La frontwoman, ultra volubile, est visiblement déchaînée. Si un jour elle arrête la musique, une carrière d’humoriste risque de s’ouvrir à elle. « Je suis un clown » reconnait-elle d’ailleurs elle-même. Alors, forcément, les quatre autres ont l’air en retrait, mais Beth Ditto ne tire pas toute la couverture à elle, et implique ses comparses dans ses nombreuses interventions. On apprend ainsi que le claviériste lui a demandé d’être la marraine de ses enfants, et qu’il vaut mieux éviter de parler en français au bassiste, « il a déjà parfois du mal à parler anglais » - elle-même soliloquant en franglais. Le guitariste historique, Nathan Howdeshell, réussira lui à sortir un retentissant « bonjouuur » dans la langue de Molière. Mais c’est la batteuse Hannah Billie qui est la plus mise en avant par la frontwoman, qui la présente comme « très brillante mais timide », et selon elle parfaitement capable de parler français quand elle s’en donne la peine.
Le public, acquis à la cause du groupe, est suspendu aux lèvres de la chanteuse, mais c’est évidemment lors des chansons qu’il est le plus bruyant. Le groupe fait la part belle à Music For Men, l’album célébré ce soir, et le plus marquant de la discographie des Américains. Les morceaux déjà très dynamiques en studio deviennent explosifs sur scène, et entre les blagues de Ditto, les musiciens assurent vraiment.
Le disco punk du groupe est électrisant, la chanteuse n'en oublie pas les messages politiques de ses textes (« Men In Love », évidemment dédié aux personnes LGBT), les chansons gagnent à la fois en lourdeur (« Dimestore Diamond », qui prend ici une puissance inattendue) et en vivacité. Au début du concert, de nombreux spectateurs du parterre assis se lèvent pour danser dans les allées et gagner la fosse, mais dans les deux cas, ils seront renvoyés sur leurs sièges – néanmoins, le fond et les côtés du parterre et des balcons resteront occupés par des danseurs debout.
Le concert connait un léger coup de mou vers la fin, mais repart de plus belle avec « Standing in the Way of Control» , issu du prédécesseur éponyme de Music For Men, pour lequel tout le monde se lève pour se déhancher. Le rappel commence sur une introduction très lente au piano, finalement rejoint par les autres instruments, puis par Beth Ditto qui a entretemps changé de robe, pour aboutir à « Careless Whisper », la reprise de George Michael.
La chanteuse, visiblement très émue sous ses blagues, remercie longuement Big Joanie, soulignant la difficulté pour les groupes de première partie d’assurer un concert devant un public qui s’en fiche éperdument. Et elle adresse aussi de longs remerciements au public, avec un poignant « merci d’être ma famille ». Evidemment, c’est le tube mondial « Heavy Cross », qui clôt le set. La voix de Beth Ditto manque se briser sur les premières notes, mais le public pallie aisément cette émotion momentanée. Avec ce concert, Gossip a non seulement prouvé qu’il avait toujours un public l’attendant de pied ferme, mais également que ses membres restent des bêtes de scène, capables de faire chavirer les fans purs et durs comme les simples curieux.
Setlist
Pop Goes the World
Love Long Distance
Listen Up! (avec l'intro de Psycho Killer Talking Head)
Vertical Rhythm
Move in the Right Direction
2012
Yr Mangled Heart
Men in Love
Dimestore Diamond
Get Lost
Are You That Somebody? (reprise d'Aaliyah)
Four Letter Word
Standing in the Way of Control
Rappel
Careless Whisper (reprise de George Michael)
8th Wonder
Heavy Cross
Photo : David Poulain. Reproduction interdite sans autorisation du photographe