Avec le succès populaire et médiatique de leur troisième album Serfs Up!, les gars de la Fat White Family sont passés d’une image d’affreux junkies infréquentables à celle de braves garçons bons à marier, grâce à ce qui nous avait semblé être un plan de communication un poil malhonnête, rondement mené par des attachés de presse polissons. Pourtant, toutes les rédactions y ont souscrit aveuglément ; c’est l’un des points que l’on tient à éclaircir en rencontrant les pionniers de la nouvelle et excitante scène indépendante londonienne, à l’occasion du This Is Not A Love Song de Nîmes.
Comme pour semer le doute, Lias Saoudi, chanteur et auteur principal, et Saul Adamczewski, guitariste et compositeur majoritaire, sont carrément en avance sur l’heure du rendez-vous, et nous attendent sagement dans les confortables fauteuils de l’un des studios de Paloma. Ils contrebalancent toutefois cette surprenante ponctualité en beuglant, comme des putois, le prénom d’un certain Marcus censé leur apporter du pinard. Notre photographe essaiera de louvoyer, en fin d’interview, pour leur en taxer ; en vain. Saul a l’air en forme, Lias semble un tantinet saoulé par cette après-midi promo, et ne compte visiblement pas contribuer à faire de cette interview quelque chose de formel et sérieux – ce qui n’est pas pour nous déplaire, puisque la langue de bois n’en sera que mieux éloignée. Les personnages sont introduits, leurs caractères, cernés, la pièce de théâtre peut commencer, un dialogue décousu, ping-pong verbal dont l’intérêt réside autant dans le naturel inhabituel et l’espièglerie de ses protagonistes, que dans ce que l’on peut lire entre les lignes pour comprendre la nature de la vie de famille des Saoudi-Adamczewski.
Saul Adamczewski
La Grosse Radio : Vous êtes finalement là.
Saul : Oui !
LGR : Je dis ça parce que l’an dernier vous étiez programmés avec Insecure Men.
Saul : Ah oui ?
LGR : Oui.
Saul : Pour jouer ?
LGR : Ouaip.
Saul : Ok. Je ne m’en souviens pas. (Il rit) On a joué ici ?
LGR : Non non, vous deviez jouer, mais vous avez annulé.
Saul : Ah, oui, ça arrive souvent.
LGR : Vous avez eu un beau succès avec votre dernier album Serfs Up!, dans la presse, tout ça. Comment vous vous sentez par rapport à ça ?
Saul : Je dirais que ce qu’il y a de mieux à ce propos, c’est que, ma copine est française, et ses parents pensaient que j’étais un sale chien et une pauvre merde. Et maintenant, ils m’aiment. Parce qu’ils ont lu des articles.
Lias : Tu es un chien et une pauvre merde, avec un travail.
Tout le monde rit très fort.
Saul : Non, c’est bien, qu’est-ce qu’on peut dire ?
Lias : C’est bien, oui, les gens disent de belles choses à propos de ce que tu fais, chez les disquaires, ou aux concerts.
Saul : Tant que tu n’y crois pas toi-même, c’est bon. C’est son problème (à Lias).
Lias : Mh. (rire)
LGR : Est-ce que ça n’est pas un peu décevant ? Vous avez effrayé les gens pendant quelques années, et maintenant, vous êtes corrects, vous êtes dans les grands journaux et tout.
Saul : Ouais, mais les problèmes sont restés.
Lias : Les problèmes sont restés, nous ALLONS nous rendre les choses difficiles, nous le ferons. (Saul rit fort) Très bientôt. Jusque là, on n’a fait qu’une tournée et qu’un seul festival, tu sais…
Saul : On n’a pas eu une seule dispute cette année, en tournée.
Lias : Effectivement on n’a pas eu une seule…
Saul : Donc je ne sais pas ce qui se passe, mais…
Lias : Il y a eu moins de cris, moins de déchirements, moins de crachats. (rires) Il y a eu des crachats, mais genre, amicaux.
Lias Saoudi
LGR : Une grande histoire a été racontée autour de cet album ; nous dans la presse, on a tous reçu ce document expliquant que vous aviez déménagé à Sheffield et tout ça. Tous les médias ont retranscrit l’histoire telle quelle.
Lias : Parole d’évangile.
LGR : Tout le monde dit donc que Serfs Up! est un album très différent de Songs For Our Mothers. Vous pensez vraiment qu’il l’est tant ? Dans le sens où Songs For Our Mothers tranchait déjà avec Champagne Holocaust… Quel est le mouvement ?
Saul : Oui bien sûr, il est différent, ils sont tous différents. Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi penser de ça.
Ils rient.
Lias : Je pense qu’il y a quelque chose dans chaque album qui nous a amenés au suivant, des éléments de Songs For Our Mothers qui ont été explorés plus pleinement sur celui-là.
Saul : Oui, sur le premier album nous avions ce morceau, "Cream Of The Young", et c’est ce type de son qui a amené le deuxième album. Puis sur le deuxième, il y avait une chanson appelée "Hits Hits Hits", et ce genre nous a amenés à cet album plus… pop. Plus de pop, moins… d’héroïne.
Lias : Ouaais. Moins d’heroin agony.
Tout le monde rit fort.
LGR : Vous avez communiqué là-dessus, l’héroïne, la drogue en général, un discours de rédemption. Vous pensez que c’est la raison pour laquelle les médias…
Saul : (il coupe) C’est juste une belle histoire, hein ? Ce sont de grosses conneries !
On rit pas mal.
Lias : C’est une bonne histoire. Quand ça va mal, il y a une nouvelle histoire…
Saul : Il y a un peu de vrai là-dedans mais…
Lias : Ce n’est pas totalement vrai.
Saul : Rien n’est vraiment comme ça, en réalité.
L’interprète : Vous faîtes du remplissage.
Lias : On remplit les blancs, tu vois, on rend les choses un peu plus fleuries, un peu plus concrètes que ça ne l’est vraiment.
Saul : On vous le dit maintenant, c’est des conneries.
Ils rient.
Lias : 78% de conneries.
Ils rient.
LGR : Et comment vous prenez le fait que tout le monde reprenne cette histoire sans se poser de questions ?
Saul : C’est bien, c’est bien, la vraie histoire est ennuyeuse.
Le photographe : Vous devez imprimer la légende, c’est ça ? ("When the legend becomes fact, print the legend", c'est du John Ford)
Ils rient.
Lias : C’est ça, on doit écrire la légende.
Saul : Oui, ne jamais laisser la vérité faire obstacle à une bonne histoire. (« never let the truth get in the way of a good story », c’est du Mark Twain).
Lias : Ouais, on est allés à Sheffield, on s’est repentis, et maintenant on a tous purifié nos âmes.
LGR : A côté de ça, vote identité visuelle a évolué, vos clips, celui de "Feet" par exemple, c’est un putain de film… Est-ce que c’est votre décision, ou bien une idée du label ?
Saul : Non, on essaie de s’investir autant que possible dans ce genre de choses. Les réalisateurs du clip de "Feet" se connaissent depuis qu’ils sont enfants. Ils sont très bons. A partir du moment où ils nous ont dit qu’ils voulaient le faire, on se foutait de ce qu’était leur idée, on voulait juste travailler avec eux. On essaie de connecter les clips entre eux, de faire en sorte qu’ils aient un fil conducteur. Qui se perd un peu parfois.
Lias : On perd le fil parfois. (Ils rient) On doit faire beaucoup de choses en peu de temps : l’album à peine terminé, on a du tourner des vidéos et collaborer avec beaucoup de personnes différentes, c’est difficile de garder la continuité.
Saul : On a voulu développer une esthétique romantique, germanique, païenne, avec ces symboles, ces montagnes dans les clips de "Feet" et de "When I Leave". Et là, quelque part au milieu, on se retrouve avec cette vidéo à la Monthy Python que je déteste, c’est affreux. (Il parle de celle de "It Tastes Good With The Money", ndr)
LGR : Ah ouais ?
Saul : Je la déteste.
LGR : Pourquoi ?
Saul : Parce que je déteste ce genre d’humour stupide anglais, « uuuuh ! », putain de débiles (il rit).
Lias : Il n’y a pas d’élément fasciste dans cette vidéo.
Saul : Tout simplement !
Ils rient.
Lias : Y’a pas de fasciste ! Pas de chemises noires, pas de nazis, pas d’italo-fascistes… Il n’y a même pas le moindre communiste dans ce clip, c’est ça.
Saul : Non mais je n’ai jamais aimé les Monthy Python, je ne trouve pas ça drôle. C’est pas drôle.
L’interprète : On les aime parce qu’on est Français.
Saul : Et vous aimez Mr Bean, pas vrai ?
L’interprète : Oui !
Tout le monde rit.
Saul : Personne en Angleterre n’aime Mr Bean !
Le photographe : vous voulez de la rédemption, c’est une rédemption : l’humour anglais.
Saul : Ah oui, d’accord, la rédemption, redeem me.
LGR : Bon, à propos de l’album, grâce à vos projets parallèles, The Moonlandingz, Insecure Men, on commence à comprendre comment vous deux fonctionnez, ce que vous apportez dans la composition. Dans la communication autour de l’album, Nathan [Saoudi, aux claviers et frère de Lias, ndr] est placé sous le feu des projecteurs, ce qui est relativement nouveau. Lui, on le connaît peu, quelle est son influence ?
Saul : C’est la première fois qu’il commence à écrire des chansons, qu’il garde le contrôle sur la composition, et qu’il peut aller jusqu’au bout de son idée. Quand Nathan arrive avec n’importe laquelle de ses idées… Je suis incapable d’en parler. S’il t’expliquait, tu ne comprendrais sûrement rien à ce qu’il raconte. C’est un type bizarre, on ne comprend jamais ce qu’il dit.
Lias : Il est assez fou, il aime les nombres et les théorèmes, la musique c’est des équations mathématiques pour lui. On avait un vieux piano à Sheffield, et il s’asseyait là, la tête pleine de skunk et de tisane et juste…
Saul : Il est un peu comme Lee Scratch Perry.
Lias : Oui. Ou Rain Man.
Ils rient.
Saul : Ouais, il est autiste.
Lias : C’est Lee Scratch Perry qui rencontre Rain Man, c’est ça. Mais, oui, il a de bonnes idées. Saul n’était pas dans le coin quand on a commencé à travailler sur l’album, donc c’était principalement Nathan et moi, en gros, qui arrivions avec des idées. Et on ne savait pas si Saul allait revenir ou non, donc Nathan se chiait un peu dessus en se disant qu’il allait devoir écrire.
Saul : Il aime ce qui est puissant et pop… Il aime la powerpop, il aime Def Lepp (il coupe… avant d’en dire trop ?!) il aime tout ce qui est heavy.
Lias : "Feet" était sa chanson, c’était sa mélodie. Un genre de heavy pop.
Saul : Oui, et "Tastes Good With The Money".
LGR : Et le truc de l’autotune ?
Saul : C’est plutôt une référence au raï algérien, il y en a beaucoup dans la musique maghrébine.
Nathan Saoudi pendant le set de Fat White Family, quelques heures plus tard
LGR : Vous avez dit dans une interview que maintenant, vous seriez incapables de composer un album comme "Champagne Holocaust". Vous en jouez encore sur scène, vous considérez que c’est du fan service ou est-ce que vous vous sentez quand même en phase avec ces morceaux ?
Saul : Moi non. C’est ennuyeux, putain, jouer toujours les mêmes putains de chansons, tu dois te rendre compte à quel point la chanson est inadéquate. Donc c’est du fan service, oui. Lui (Lias) aime ça. Il faut que quelqu’un aime ça.
Lias : Il faut que quelqu’un aime ça. Il faut que j’aime ça. (rire)
Saul : Non mais, parfois c’est bien d’avoir des morceaux du premier album à jouer, plus punk rock. On a fait un concert, il y a quelques jours, où on a joué le premier album principalement. On est retournés dans un petit pub du sud de Londres, avec à peu près 100 personnes, c’était bien tu vois, c’était marrant. Ca ne fonctionne pas forcément sur de grandes scènes, ça sonne un peu « krr ».
Lias : Les morceaux les plus récents sont plus sympas à jouer sur de grandes scènes.
LGR : Et vous pensez à ça quand vous composez, les grandes scènes, tout ça ?
Lias : Non, pas vraiment non.
LGR : Ça arrive juste.
Lias : Je veux dire, une grande scène pour moi c’est tout ce qui est plus grand que le Windmill.
Saul : Tout ce qui est plus grand qu’un pub, ouais.
Lias : On a passé tellement d’années à jouer dans des pubs, maintenant tout est une grande scène.
LGR : L’an dernier, Warmduscher a joué ici, dont le batteur a joué avec Fat White Family…
Lias : Une bande de cons.
Ils rient.
LGR : Quelqu’un lui a demandé, « alors, Fat White Family, il se passe quoi ?», vu qu’on ne savait rien du tout. Il a répondu, « Je sais pas si je suis dans Fat White Family, personne ne sait vraiment s’il l’est ». Donc, qui est dans Fat White Family, et qui sait qu’il est dans Fat White Family ?
Saul : Seulement moi, Lias, Nathan et Adam.
Lias : C’est le noyau.
Saul : Tous les autres sont « expendable », dans une certaine mesure.
Ils rient.
Lias : Les autres vont et viennent, ça apporte de la fraîcheur.
LGR : Vous pouvez dire quelque chose de gentil sur eux, ceux qui ne sont pas dans Fat White Family mais qui jouent ce soir ?
Saul : Oui, bien sûr.
Lias : Ouais.
Saul : Parfois. Ou je leur crache dessus.
LGR : Mais vous pourriez le faire, genre, maintenant ?
Saul : Ah oui, ils sont tous supers, je les aime.
Lias : A moins que tu ne veuilles une véritable critique de leur personnalité ?
Tout le monde rit.
LGR : Oui, un machin psychanalytique !
Saul : Il y a bien un sujet : je pense que le saxophoniste devrait brûler tous ses vêtements.
Lias : Il vit généralement dans une sorte de grand défilé de mode. C’est un défilé. Ce genre de vanité sereine, c’est trop. Le tourbus entier, c’est sa garde-robe, c’est dégoutant. Mais il a toujours de la cocaïne, toujours plus que quiconque, ce qui fait sens puisqu’il est dans le groupe depuis 40 secondes. Tout est à propos de lui maintenant.
Saul et Alex White (à gauche), le saxophoniste en question
LGR : Bon, pour finir, il y a une question qu’on ne vous pose jamais à laquelle vous voulez répondre ?
Ils ne comprennent pas la question (en même temps elle est pas top-top). On explique : une question à laquelle ils aimeraient répondre mais que tout le monde oublie de leur poser.
Saul : Je suis gay.
Lias ne comprend pas.
Saul : Réponds à une question qu’on ne t’a jamais posée.
Lias : Réponds à une question qu’on ne t’a jamais posée, c’est un piège. Euh, Jaune.
Tout le monde rit très fort, et on s’en va.
Crédits photos : Thomas Sanna au This Is Not a Love Song Festival
Interview : Davy Sanna
L'Interprète : Laetitia Maciel
Le Photographe : Thomas Sanna
Il était dans la pièce mais on l’a pas trop entendu, c’est le rédacteur en chef : Yann Landry
Grand merci à Lisa Haustrate pour l’aide à la traduction.