Cela fait une trentaine d’années qu’Anti-Flag explore tous les chemins d’un punk furieusement engagé et politique, faisant le grand écart entre énergie hardcore fortement do it yourself et hymnes presque pop punk. Trois ans après son dernier album en date et alors que les tourments politiques ont rarement été aussi forts aux Etats-Unis comme ailleurs, le groupe américain revient prouver que oui, il a encore des choses à raconter sur notre monde.
Et ce qu’il a à dire, il veut le dire vite et bien, puisque ce 20/20 Vision dure en gros une demi-heure, ce qui n’est pas étonnant au vu du reste de la discographie d’Anti-Flag. Après un American Fall efficace mais un peu en demi-teinte comparé à d’autres, la formation de Pittsburgh est attendue au tournant par les fans.
L’entame du disque devrait mettre tout le monde d’accord : un chant très éraillé rageur d’où suinte l’urgence, des guitares violentes, une mélodie qui va droit au but, « Hate Conquers All » est sans conteste l’un des titres les plus abrasifs d’Anti-Flag depuis longtemps. Et l’agresivité du titre reflète les paroles chantées par Justin Sane et Chris #2, qui scandent tour à tour que rien ne peut désormais nous sauver (« No one could save us ») et appellent à voir la nation (et donc l’unité ?) se dissoudre à la chute de l’empire – américain, manifestement (« When the empire falls, watch the nation dissolve »).
Après une attaque aussi incendiaire, difficile de maintenir le rythme, et les quelques morceaux suivants semblent un cran en-dessous. « It Went off like a Bomb » bénéficie de guitares (Justin Sane et Chris Head) et d’une batterie (Pat Thetic) rapides et d’un ensemble catchy mais manque de quelque chose pour être parfaitement indispensable. Quant à « 20 / 20 Vision », elle est sympathique et efficace mais trop pop punk pour sortir de l’anecdotique.
Un retour en force intervient avec « Christian Nationalist », déjà sortie en single. Elle possède toujours cette mélodie accrocheuse qui lorgne vers le pop punk, et à bien écouter, les arrangements ne sont pas les plus agressifs, mais le chant hargneux de Justin Sane et Chris #2 et les paroles au vitriol font beaucoup de sa réussite. « Don’t Let the Bastards Get You Down » suit un peu le même chemin, et si le chant enragé manque se noyer dans des chœurs un peu trop présents, la rythmique basique et féroce de Pat Thetic et Chris #2 (basse) renforce son côté hargneux.
« Unbreakable » déçoit légèrement et casse le rythme avec son rock efficace (mais quel morceau d’Anti-Flag ne l’est pas ?) mais beaucoup trop générique, malgré un riff de guitare intéressant et assez marquant. La définition parfaite d'un single en somme. Mais alors que l’auditeur commence à craindre que le groupe enchaîne titres percutants et morceaux dispensables jusqu’à la fin de l’album, la seconde moitié de celui-ci va être un déferlement de rage.
« The Disease » est une fois de plus l’alliance miraculeuse dont Anti-Flag a le secret entre refrains accrocheurs au possible, gros riffs, couplets hargneux, ce qui en fait un hymne enragé et imparable. « A Nation Sleeps » feinte avec une introduction toute douce au violon pour ensuite partir à toute vitesse sur un morceau qui oscille entre chant éraillé et scream, et à peine ralentir quelques secondes avant de repartir de plus belle. « You Make Me Sick » reste dans la même ambiance avec simplement un tempo ralenti et une mélodie un peu plus accessible mais autant d’énervement dans la musique que dans les paroles : « You make me sick – you’re a piece of shit », scande le groupe, très en forme donc (mais sans grande subtilité) quand on le rend malade.
Même la ballade obligatoire de l’album garde ce son brut : le refrain d’ « Un-American » est certes un peu facile mais la chanson dégage une certaine simplicité qui lui donne des airs d’authenticité que n’ont pas tous les morceaux calmes de groupes énervés. Et Anti-Flag n’en oublie pas les messages politiques, affirmant en substance qu’un pays ne peut vivre en paix quand il est dirigé par la cupidité « No peace comes frome a greedy hand », et réglant au passage ses comptes avec ses détracteurs qui l’accusent d’anti-américanisme : « Who is unamerican ? » demande le groupe en pointant du doigt tous ceux qui exploitent la croyance en le rêve américain de plus faibles qu’eux.
Mais en dépit de ces considérations sombres, Anti-Flag avec un morceau étonnamment joyeux, « Resistance Frequencies », le plus léger de tout ce 20/20 Vision, qui pourrait être mou et fade en comparaison des autres, mais dont le côté pop est tellement assumé, cuivres à l’appui, qu’il en devient imparable et irrésistible.
Si l’album ne convaincra pas ceux qui en sont restés aux tout premiers disques du groupe – à l’époque du Do It Yourself et de la production franchement dégueulasse – il marque un bon retour pour le groupe, qui, s’il commet de très légers faux pas, arrive la plupart du temps à trouver le bon équilibre entre les mélodies accrocheuses l’orchestration plus brute. Avec des morceaux directs, presque tous de moins de trois minutes, la formation américaine tire une fois de plus de multiples sonnettes d’alarme sur l’état de son pays et du monde en général. Par les temps qui courent, le message d’Anti-Flag est plus que jamais nécessaire, et si le groupe multiplie les considérations déprimantes, il conclue le disque sur une note d’espoir : un nouveau monde est possible à qui est capable de désobéir - « Another world is possible, when we refuse the order » .
Tracklist
1. Hate Conquers All 02:47
2. A It Went Off Like A Bomb 02:23
3. 2020 Vision 02:27
4. Christian Nationalist 02:44
5. Don't Let The Bastards Get You Down 02:50
6. Unbreakable 03:09
7. The Disease 02:56
8. A Nation Sleeps 02:17
9. You Make Me Sick 03:01
10. Un-American 03:11
11. Resistance Frequencies 02:54
Sortie le 17 janvier chez Spinefarm Records