La Scène Punk à  Bangkok : Episode 4

         
         
          Il est déjà l'heure de l'apéro et on a justement RDV au Black Wolf Barber Shop, bar aux allures punk, rock'n'roll, barber and tattoo shop. On y retrouve les copains de The Lunatix qui nous ont arrangé un rencard avec des membres de The Die Hards et Chaos of Society, deux des groupes les plus influents de la scène actuelle.

       

       

        Tout est réuni pour passer un fabuleux moment. Mais quand je m'aperçois que des bières belges sont à la carte, des larmes et des étoiles scintillent dans le fond de mes yeux. Seulement elle aura raison de moi, mon corps s'étant habitué depuis plus de trois semaines à une sorte d'eau gazeuse que eux appellent bière...
Quand on commence l'interview je suis déjà quelque peu éméchée … Et celle ci se fait dans un joyeux bordel !

          Les Thaïs parlent très peu anglais et les membres de The Die Hards et Chaos of Society ne dérogent pas à la règle. Heureusement la chère et tendre de Sammy (The Lunatix), Tae, qui est thaïlandaise et parle anglais, nous sauve la vie en nous servant d'interprète.
J'aurais tout de même un peu de mal à décrypter l'enregistrement par la suite... Tout le monde, passant un bon moment et étant un peu enivré, oublie le minimum de discipline que l'on s'impose dans ces moments là.
Au final ça parle thaï, anglais et français à la fois, ça pose une question d'un côté et une autre de l'autre en même temps. L'horreur pour bosser mais un putain de chouette souvenir !


              (Tom, chanteur de The Die Hards, Ben et Arm, chanteur et batteur de Chaos of Society)
       
         
         
       Pour cette interview nous sommes donc en compagnie de Tom, le chanteur de The Die Hards.
Il endosse ce rôle depuis  maintenant 10 ans (11 maintenant). Ainsi que de Arm le batteur de Chaos of Society, et Ben le chanteur qui est dans le groupe depuis deux ans. Tous les trois sont fortement lookés punk 77, bien old school. Ils pourraient être les Breakout thaïlandais !
Mais qu'est ce qui leur a donné l'envie de faire du punk ? 
«  L'un des premiers groupes du mouvement, Bangkok Alcohol, nous ont donné l'inspiration pour créer Chaos of Society ou The Die Hards. Ce sont des frères. Mais il y a tout un tas de groupes punk thaïs qui malheureusement ne durent pas.»

         Visiblement ici c'est comme chez nous il est très difficile de vivre de la musique. Malgré leur notoriété dans la scène alternative  ils ont tous un boulot à côté. Et ça permet entre autre de payer les enregistrements.
« Avant on ne pouvait pas enregistrer d'album, on ne faisait que jouer. Maintenant on paie l'enregistrement avec nos salaires, ou en DIY, mais on a pas vraiment de label (maintenant Underground Rising).
On a aucune subvention, on fait tout nous même. Ça part de démos enregistrées sur notre téléphone puis ensuite on fait ça plus sérieusement à Kave Live Music studio. C'est un pote et il supporte la scène depuis longtemps.
Les labels sont plutôt pour les gros groupes. Au début on commence toujours avec le DIY pour réaliser un premier album. C'est plus facile pour enregistrer et mixer.
Et puis ce n'est jamais très sérieux au début. On ne pense qu'à jouer et rien d'autre. Mais maintenant tout le monde a grandi, on a tous un travail à côté. Du coup c'est toujours du punk mais ce n'est plus la même façon de penser. »

   
     
       Ils nous confirment que ce n'est pas évident de se produire sur scène. Plusieurs orgas existent sur Bangkok comme Punk Rock BKK, Underground Rising ou encore Blast.
Kay, le gérant du Crocodile Punk Shop organisait pas mal de concerts aussi dans le temps.
« C'est un ancien de la scène punk à Bangkok, mais maintenant il s'occupe plus de son shop et organise moins. »

    The Die Hards et Chaos of Society font en moyenne 12 concerts par an, environ un par mois.
C'est visiblement la moyenne pour tous les concerts de la scène confondus. On nous explique qu'il peut parfois y avoir 4 ou 5 concerts dans le mois mais c'est très rare et c'est souvent les mêmes groupes qui tournent.
Quant aux concerts à l' étranger
« Malheureusement on en fait pas mais on adorerait ! Pas mal de pays nous contactent pour venir jouer mais on à pas les fonds nécessaires pour faire le voyage. Du coup on joue en province et c'est déjà bien fun. »

Au niveau des conditions c'est un peu à l'arrache. En même temps on est punk ou on ne l'est pas :
« Tout se fait un peu par soit même. Les orgas paient les salles. Après les groupes sont pas rémunérés ou très peu. Ca dépend si c'est des amis, ce genre de choses. Si du bénéf a été fait ou non. Si le booker te met bien, il te paie quelques bières... »

         Du coup une question s'impose d'elle même, est ce que tous les événements sont légaux ?
The Lunatix nous racontent une anecdote plutôt intéressante qui prouvent que oui il peut y avoir des concerts illégaux mais à vos risques et périls !
« Une fois on a eu des problèmes avec la police. On devait jouer pour un organisme anti gouvernement, BNK48. En arrivant il y avait les flics à l'entrée, alors ils ont fermé la salle et le concert n'a pas eu lieu. La tentative précédente les membres des groupes avaient été arrêtés. Pour ce genre de concert, même garder le lieu secret jusqu'au dernier moment ne sert à rien, les flics vont toujours débarquer. Mais en règle général, quand le concert n'est pas étiqueté anti gouvernement tout se passe plutôt bien. »
Ah oui quand même...


Ils nous racontent également qu'une fois ils n'ont pas accepté de faire jouer un groupe pour les mêmes raisons
« Ce groupe est contre le gouvernement.
Du coup on a pas accepté le concert parce qu'on ne voulait pas avoir de problèmes. On peut aller en prison si on montre qu'on est contre.
Et on aurait pas pu protéger le groupe si la police était venu pour les amener en prison.
Donc on a préféré refuser.
On a pas le droit de se moquer, de critiquer la monarchie ou le gouvernement. »

Ambiance...

       Vu le contexte, on imagine facilement qu'il n'y est pas de punk diffusé sur les ondes ou à la télé.
Alors pour la com avant c'était énormément le bouche à oreille mais maintenant c'est réseaux sociaux à fond et quelques webradios.
« La meilleure façon de nous promouvoir reste le live mais on utilise également les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et Youtube.
Quand on a commencé on était pas bon là dedans, mais on faisait la promo nous même par bouche à oreille et il y avait pas mal de monde qui se pointait, c'était génial. De nos jours certains vont juste aller regarder des vidéos sur Youtube et ne plus se déplacer mais on s'en fout on fait ce qu'on aime. Après on apparaît dans diverses compiles comme Siam Underground, World Wide Punk et d'autres en Allemagne ou au Japon. »

         
           Comme on l'a apprit plus tôt la scène punk à Bangkok est relativement petite. Mais elle était beaucoup plus importante à Chiang Mai, dans le nord du pays, dans les années 2000.
Actuellement la scène là bas est toujours présente mais moins imposante qu'avant. Un des groupes phare est Crash Town avec un street punk bien corsé.
La scène est également représenté sur Krabi, Pattaya, ou encore Patchruap Kirikhan.
« Il y a beaucoup de festivals à Pattaya. Il y plus de 10 ans il y avait un festival , avec plusieurs scènes séparées en fonction du style de musique, Rock, Reggae, Hxc, Métal...
Bangkok Alcohol  jouait souvent là bas. Et nous avec nos groupes respectifs on avait l'habitude de s'y rencontrer pour s'amuser, sortir.
Mais à Bangkok c'est plus pareil. Maintenant qu'on est plus vieux, on est tous séparés, on a chacun notre travail, on fait chacun notre vie, on aime se retrouver et faire de la musique mais c'est moins punk. Et puis d'autres font maintenant plutôt du Hardcore.
Mais ça reste  une grande famille où tout le monde se connaît et se respecte. »


On aimerait en savoir plus sur le contenu de leurs paroles. Vu le contexte gouvernemental plutôt strict comment expriment ils les choses ?
Chez The Die Hards c'est le chanteur qui écrit et Chaos of Society le font ensemble.

« Les paroles parlent de violence, de la société, du gouvernement. C'est très politisé, on est punk et c'est notre manière de vivre.
On raconte qui on est et ce qu'on pense du monde qu'on aimerait plus libre et dénué de ces guerres et violences inutiles.
On peut parler de politique mais plus comme une blague et ne pas donner de noms directement.
Ou alors en argot. Il ne faut pas que ce soit sérieux.
Tout le monde sait de quoi et de qui tu parles mais tu n'attaques pas directement.
On doit faire attention à ce que l'on dit. C'est interdit de contredire le système politique ou royal.
Et ça au point qu'on peut aller en prison si on dit un mot de travers. Mais on aimerait pouvoir être plus sérieux.
 » 
« Pour la langue, on écrit en thaï et en anglais. On veut que les thaïs comprennent exactement ce qu'on raconte. En 2006 il n'y avait que Bangkok Alcohol et ils chantaient uniquement en thaï, mais on est aussi influencé par la scène US et UK donc on a décidé d'inclure l'anglais. »

(Tom de The Die Hards, Clément et Sammy de The Lunatix, Mehdi,
                 Pierre, Arm et Ben de Chaos of Society)

       
         Mehdi intervient en nous racontant qu'un gars est allé en taule pour une blague sur le chien du roi... car ce chien était décoré et un haut gradé militaire....
Ceci nous laisse quelque peu interdit.
Mais petit rappel de ce qui se passe en Thaïlande : le général Prayut Chanocha a pris le pouvoir par un coup d'état avant d'assoir sa position par une élection plus que controversée. Nous étions là bas au moment des élections et nous pouvions sentir une certaine tension. On nous a expliqué qu'il y avait ouvertement des intimidations envers les opposants et que les votes étaient bidouillés en toute transparence. En effet, ils pouvaient voir en ligne le nombre de votes des opposants chuter en direct...
           
           
          La religion est aussi très présente dans le pays. En effet 95% des thaïlandais sont bouddhistes.
Et la séparation "du temple et de l'état" n'est pas à l'ordre du jour. Pour nous ça nous paraît improbable mais pour eux c'est inculqué, dans les mœurs :
« Il y a beaucoup de respect par rapport à la religion mais il y a aussi des personnes qui s'en foutent. Nous on respecte que les bons côtés du bouddhisme. »
La religion est vraiment liée au quotidien et elle fait aussi partie de l'éducation. C'est instauré dès l'école où tous les élèves doivent faire la prière le matin avant de commencer les cours. Il y a également un rituel à faire tous les ans, comme un pèlerinage au temple. Et Tom nous explique qu'il se rase la crête tous les ans pour ça.

        C'est imposé et ils ne se posent pas la question. Dans une scène où le rejet de la religion est quasi total, l'addition religion-punk nous paraît plutôt absurde.
Chaos of Society en parle dans leurs chansons. Mais ils vont plus parler des mauvais côtés du bouddhisme en tant que des personnes qui respectent cette religion.
« il ne faut pas imaginer des choses, il faut que se soit vrai, on a pas le doit de parler de la religion en mal mais on peut parler des mauvaises personnes. »

Semaine prochaine : La suite de l'interview au Black Wolf Barber Shop avec The Lunatix



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