L'édition 2020 du Crossroads Festival de Roubaix est, comme toutes ses homologues, bien chamboulée pour cause de Covid19. Pour faire vivre cette édition, le festival est passé en sessions d'un quart d'heure par artiste filmées pendant l'été et retransmises sur les réseaux sociaux pendant la durée du festival du 8 au 11 septembre. Pour La Grosse Radio, cette période est liée à la réflexion sur l'après mais aussi à la manière de voir et concevoir la chose musical. Donc voici une série d'interviews un brin philosophique avec les groupes de Rock de la programmation. A vous de lire et réfléchir.
#scènefrançaise.
1. Cette édition du Crossroads est toute particulière. Comment avez-vous envisagé votre prestation ?
Au départ, on était un peu inquiet. Imaginer un concert filmé sans public nous paraissait vraiment casse-gueule.
Mais rapidement, en échangeant avec l’équipe du Crossroads, on s’est aperçu que nous étions sur la même longueur d’onde et que les choses s’envisageraient plus comme une session live dans le genre KEXP. Du coup, on a pris ça comme une répète avec des copains. L’équipe était chouette, on a passé un très bon moment.
2. À l'heure où le live stream est en train de devenir une norme à part entière, craignez-vous que le public se lasse en attendant la vraie reprise des concerts ?
Je crois qu’ils sont déjà lassés ! Il y a eu tellement de concerts en appartement pendant le confinement que, dès que l’on voit un gars avec une guitare dans son salon, on zappe direct. Il faut faire une différence entre les sessions lives qui sont un outil et un format hyper intéressant (la preuve avec la progression hallucinante du format depuis quelques années, notamment dans les pays anglo-saxons) et le live stream qui peut prendre des formes assez drôles ou parfois totalement pathos … Le format reste encore largement à inventer.
crédit photo : Ben Potier
3. En quoi la situation a-t-elle impacté la diffusion de votre musique ?
Déjà par l’annulation d’une quinzaine de dates et bien sûr sur l’organisation de la suite … même si les choses se recalent gentiment en ce moment. En espérant que la situation sanitaire s’améliore ! Par contre, sortir un album en 2021 dans la mêlée qui s’annonce, parait assez hasardeux … Tout le monde va s’y jeter dedans et il n’y aura certainement pas assez de place dans les médias pour tous les projets … Heureusement, pour le moment, les gens semblent continuer à soutenir les artistes en achetant des albums et du merch.
4. Qu'en est-il de votre situation en tant qu'artiste ? Que comptez-vous faire pour tenir le coup ?
Créer. C’est le moment rêvé pour se poser et redéfinir les choses qu’on remet souvent au lendemain dans le rythme tournées / répètes. Imaginer des projets alternatifs, des sorties expérimentales, des pré-prods … bosser les lives ! Et espérer que l’intermittence se maintienne bien sûr …
5. La culture n'est pas bien estimée par le gouvernement, pensez-vous que la valeur d'un artiste est déterminable ?
Ça fait un moment que les différents gouvernements se moquent complètement de la culture ! D’ailleurs nous sommes bien en face d’un ministère de la culture, pas des artistes. Ils tentent depuis des années de focaliser les soutiens sur la rentabilité d’un projet. Le taux de remplissage d’une salle est la nouvelle norme de l’efficacité de l’action culturelle d’un lieu et le nombre de co-productions, celui d’un projet artistique. Mais la culture DIY (qui investit de plus en plus les lieux labellisés et plus seulement les lieux alternatifs) est certainement une réponse intéressante à ce problème de fond. Reste aux artistes à déterminer aussi leur propre valeur, notamment non-financière.
6. En quoi la fantaisie de la création artistique peut intéresser, surtout en ces temps troubles ?
Justement, il faut qu’elle soit « fantaisiste » ! Qu’elle ne se replie pas dans les chapelles bien douillettes de l’entre-soi ou du déjà vu. Si on le fait avec générosité, les gens aiment être surpris. Quelle que soit l’esthétique.
7. Pour Proudhon, l'Art est la représentation de la nature et de nous-mêmes en vu du perfectionnement moral et physique de notre espèce. Qu'en pensez-vous ?
Ahah ! Ça ne m’étonne pas de lui … ça correspond à son idéal anarcho-socialiste d’émancipation de l’humain par le collectif. C’est pas totalement faux, mais il faudrait lui opposer la vision de Zola pour compléter : « L'art perfectionne, je le veux bien, mais il perfectionne à sa manière, en contentant l'esprit, et non en prêchant, en s'adressant à la raison. ». En plus, cette notion aurait tendance à gommer l’auteur de l’oeuvre … hors ce que l’on aime dans une oeuvre c’est aussi l’humanité singulière de l’artiste qui l’a créé … et parfois une oeuvre immorale ou inesthétique peut nous toucher et faire progresser l’humanité, bizarrement.
8. Quel artiste trouvez-vous le plus inspirant et pourquoi ?
Beaucoup… de Cioran à METZ, en passant par IDLES et Sonic Youth. En fait, on aime les artistes qui proposent des formats ou des univers qui interpellent. Avec ce petit mouvement de tête qui bloque un peu quand vous les découvrez et qui s’accompagne souvent d’un « tiens , c’est quoi ça? ». Au fond, peu importe le médium, les influences ou la famille artistique tant qu’il y a ce « je ne sais quoi » qui rend la chose unique, même imparfaite. Voire surtout imparfaite !
9. Quelle est votre chanson totem et pourquoi ?
C’est très mouvant. En ce moment on scotche pas mal sur les derniers Protomartyr, Murder Capital et Fontaine DC qui sont des albums hallucinants. Mais le dernier METZ arrive à grand pas !
On s’est connu tous les trois dans notre période A Place To Bury Strangers et autour de questionnements sur les textures sonores, donc j’imagine que si nous avions un totem il serait certainement à l’effigie d’Oliver Ackermann.
10. Un espoir pour 2021 ?
Qu’on en finisse avec les « Bonne Année » ! Parce que ça ne marche pas des masses apparemment …