Girl Band – Live at Vicar Street

Après avoir enfoncé le clou en 2019 avec leur deuxième long format, The Talkies, les irlandais de Girl Band se plient à l’exercice de l’album live, comme pour conjurer un 2020 vidé de ses concerts. Le résultat est tout sauf une mince consolation et redonne foi dans ce qui est souvent un passage obligé et maladroit de la discographie d’un groupe. Examen du cas Live at Vicar Street, enregistré dans leur fief dublinois.

Girl Band est le groupe le plus passionnant de ces dix dernières années. L’évolution de ces quatre jeunes sorciers, héritiers de la no-wave expérimentale et du post-punk, mérite toute votre attention. Partis en 2012 d’une noise à titres incongrus ("France 98") et à punchlines magiques (« Il commence toutes ses phrases par… ‘’je sais que je suis pas raciste MAIS… ’’ » ) où les guitares sonnent comme des perceuses ("You’re a Dog"), ils ont affermi leur écriture en submergeant leur rock sous des influences techno et IDM et en utilisant à contre-emploi guitares et basse pour les transformer en nappes, en samples stridents et en machines à bruits psychologiques pour former le décor idéal des psychoses de leur frontman, Dara Kiely. Un laboratoire qui n’a cessé de grandir avec une floppée d’EPs et singles à la frontière entre l’art-rock, le potache et la provocation ("The Cha Cha Cha", d’une durée de même pas trente secondes) puis leur excellent premier LP Holding Hands With Jamie. Sans parler des performances scéniques où, pour la première fois, j’ai vu un groupe qui, par son interprétation, m’a donné l’impression de vouloir attenter à ma vie.



Le quatuor se doutait-il de l’ambiance dans laquelle cet enregistrement live verrait le jour ? Nul doute qu’en retrouvant l’atmosphère poisseuse, industrielle et hostile de la plupart de leurs titres en version scène, l’auditeur se dise que la réalité a dépassé la fiction. Une fiction qui n’en était déjà pas vraiment une, tant le chanteur y exorcise des démons mentaux suffisamment sérieux pour que le groupe annule une tournée et disparaisse pendant deux ans. The Talkies signait alors leur retour, dans une veine plus complexe, plus ambiante mais toujours aussi troublée – j’avoue n’être pas encore totalement rentré dedans à ce jour.
 


Live at Vicar Street peut donc servir de bilan, même s’il faut en général n’attendre aucune forme « d’intention » avec Girl Band. Ce soir de novembre 2019, qui sera leur dernier concert de l’année, ils alignent quatorze titres à domicile, forts d’une tournée américaine et européenne à guichets fermés. L’exécution est solide, habitée, authentique. L’enchaînement introductif "Pears For Lunch" - "Fucking Butter" annonce le menu : ce soir on danse et on hoche frénétiquement de la tête sur fond de cauchemars absurdes et de rythmiques anormales. Le groupe tient ses chansons dans le creux de la main et s’amuse tour à tour à les comprimer dans son poing jusqu’à l’éclatement ou à relâcher son étreinte. Aux assauts punks de "Heckle The Frames" et "The Last Riddler" succèdent les bourrasques bruitistes "Laggard" et "Salmon Of Knowledge". S’il n’est pas devenu un groupe expérimental un peu chiant, Girl Band fait la part belle aux cris et aux déclamations perdues de Kiely, qui plus que jamais règle ses comptes avec sa psyché ("Amygdala") sans oublier de sourire de temps à autre. Les anciens et les nouveaux titres se mélangent parfaitement et forment un nouvel ensemble cohérent, ce qui justifie totalement l’entreprise de cet album live.

Girl Band, Live at Vicar Street

Le set accuse un creux vers la fin avec "Shoulderblades" et "Prefab Castle", plus longues et introspectives, mais repart de plus belle avec "Why They Hide Their Bodies Under My Garage", la reprise schizo du producteur techno Blawan qui a été le premier grand succès du groupe. "Going Norway" et "Paul" se chargent de fermer la marche à tombeau ouvert et ne déméritent pas à côté de leurs versions studios. C’est d’ailleurs l’autre grande qualité de Live at Vicar Street : on constate que si Girl Band jouait la carte de la production dans ses albums (réverbérations malsaines, effets de stéréo, couches de bruits, micros foutus un peu partout dans la pièce façon Steve Albini), leur puissance de feu sur scène est intacte et leur maîtrise du moindre son, parfaite.
 


C’est donc double, voire triple, mérite pour les quatre de Dublin d’avoir sorti ce disque live, qui reflète aussi bien leur trajectoire qu’il la transcende – et franchement ici le terme n’est pas exagéré. Un quasi-sans faute d’une juste durée, qui sera anecdotique pour certains, voire pour eux-mêmes, dans quelques années mais qui contient tout ce qu’on peut attendre d’une telle expérience. 

Tracklist :

1. Pears for Lunch
2. Fucking Butter
3. Lawman
4. Heckle The Frames
5. The Last Riddler
6. Laggard
7. Salmon of Knowledge
8. Amygdala
9. The Cha Cha Cha
10. Shoulderblades
11. Prefab Castle
12. Why they hide their bodies under my garage?
13. Going Norway
14. Paul

Sortie le 2 septembre 2020 chez Rough Trade.

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



Partagez cet article sur vos réseaux sociaux :

Ces articles en relation peuvent aussi vous intéresser...

Ces artistes en relation peuvent aussi vous intéresser...