Rencontre avec Romain Humeau pour Echos, l’interview carrière

« Le streaming, ce n’est pas qu’une perte financière, c’est une perte culturelle »

Rencontre avec Romain Humeau à Paris le 23 septembre dans les bureaux parisiens de son attachée de presse pour la sortie de son nouvel album solo, Echos, paru dans son propre label Seed Bombs Music. Un entretien comme toujours avec Romain, à bâtons rompus, sans aucune langue de bois, il n'en a cure, il est indé, il n'a rien à perdre. Retour sur sa carrière de 25 ans, riche de plus de 800 concerts et d'une dizaine d'albums avec Oobik and the Pucks qui prendra rapidement le nom d'Eiffel et enfin et même entre temps sous son propre nom, Romain Humeau. Nous revenons sur plusieurs moments de sa carrière au travers de ses chansons marquantes et de sujets d'actualité. La suite reste à écrire, et ça tombe bien, Romain a déjà plus de 70 chansons en stock.

La Grosse Radio : Tu me disais en 2012 en interview pour Foule Monstre être un porteur d'impressions, de ne pas être manichéen, comment as-tu évolué vis-à-vis de cela, avec ce qui s’est passé entre-temps : les gilets jaunes, les délires liés au Covid ?

Romain Humeau : Je pense toujours être un colporteur d'impressions, je pense que je ne pourrai pas être manichéen. Peut-être que j'utilise... c'est à dire que je fais parfois semblant d'utiliser quelques croyances pour pouvoir assener des trucs. Le Covid, c'est pas que je vais pas t'en parler, c'est que j'ai pas d'avis... Tout le monde à son avis. Il y a ceux qui pensent que c’est... Tu sais si je peux être complotiste hein, sur plein de sujets, notamment médiatiques et politiques, mais sur le covid, je ne rentre pas là-dedans.

LGR : Mais ma question ce n'est pas vraiment à propos du covid, c'est juste vraiment sur la pression que ça met sur la société. 

RH : Mais c'est normal en même temps, je ne dis pas que c'est bien, loin de là, mais il y a une pandémie, inévitablement ça fout la merde dans nos petites habitudes, et ça c'est pas le gouvernement qui fout la merde, c'est le Covid. Ce gouvernement, moi j'ai pas voté pour lui, je regarde, j'ai jamais voulu ça, mais par contre je vais pas le critiquer sur le covid.

LGR : Ils gèrent à peu près comme nous, au jour le jour.

RH : Ils savent pas, je les envie pas. Il a voulu être au gouvernement vas-y fait ton truc, mais je vais pas le juger là-dessus, je m'en fous, qu'il se démerde, et quelque part, nous aussi on se démerde, parce que moi le truc qui me choque c'est la réaction de certaines personnes face au covid « moi, ma liberté... » mais non mais ce n'est pas le sujet-là, c'est juste qu'on en sait rien, que ça fout la merde dans la vie de certains, donc on fait gaffe comme on sait pas trop tout ça. Donc effectivement, il y a des épidémies tous les jours dans d'autres pays et on n'en parle jamais, mais on en parle parce que ça touche les petits Blancs moyens qui jouent à la PlayStation… mais j'ai pas un avis très fiable là-dessus. Moi par contre ce que ça change dans ma vie, c'est que ça me fout le bourdon, ça amplifie une sorte de désespérance sur l'être humain, sur l'avenir, le climat, tout ça. C'est une répétition de choses bien plus graves qui vont se passer, et c'est sûr. Et quand je vois déjà la merde que ça fout alors que c’est tout petit…

LGR : Quand on aura les problèmes liés à l'eau…

RH : Oui, là ça va être compliqué.

LGR : Pour rester dans les joyeusetés, tu fêteras dans quelques mois tes 50 ans, l'occasion de revenir sur ta carrière qui fait la moitié de ta vie, même les trois quarts si on parle de quand t'étais pas encore «  pro ».

RH : Oui ma carrière a commencé à 11 ans !

LGR : Oui voilà, trois-quarts alors !
Alors, Si je te dis « Extraits de Jocondes » tu me dis ?

RH : Ah, Tu connais ?

LGR : Quand même !

RH : Quand même, je sais pas, c'est cool ça fait plaisir... « Extraits de Jocondes », c'est l’époque que je ne regrette pas du tout, j'en avais rien à foutre des textes, j'écrivais un peu comme un gros porc mais je me souciais tout autant de la musique, c'est une musique que je vois très bien. La musique je valide, les textes... bah c'est une époque où j'étais un peu léger on va dire, mais il y a beaucoup de gens qui aiment ça. Parmi les fans d'Eiffel, il y a des gens qui adorent « Gogito ergo destrugere », « Mr Caparivet », « Extraits de Jocondes », ou « M'a dit ». « M'a dit », c'est une chanson que j'ai beaucoup aimée. Et donc, « Extraits de Jocondes », je me souviens très bien de quand j'ai fait la démo, sur un quatre-pistes à cassette dans un appartement à Toulouse, avant de me barrer à Paris, parce que je venais de rencontrer Estelle. Je me souviens même que pendant la prise de voix de la démo, mon pote Fred Cavallin, batteur, avec qui je jouais, envoyait des cailloux à ma fenêtre parce qu’il ne comprenait pas pourquoi je ne répondais pas, et moi je ne l’entendais pas parce que j'avais le casque dans l'appart. Et avec les voisins... On entendait tout chez les voisins, et ils étaient en rut... ça baisait...  J’étais là, je leur disais oh putain on peut bosser là ou quoi ! C'était un moment assez fabuleux parce que c'était ma rencontre avec Estelle qui est quand même capitale dans la vie d'un homme de rencontrer la personne que t'aimes. Et puis Estelle c'est la personne avec qui je fais des trucs aussi. Ça ce n’est pas rien, de partager tout quoi. Donc voilà, « Extraits de Jocondes » c'est ce moment-là, très joyeux, plein de nouveautés, de gros changements dans ma vie, j'étais à étudiant à Toulouse, j'avais ma vie, et puis paf tu pètes tout et boum...

LGR :  Pour rester dans la même période, si je te dis « Te revoir », que dirais tu au Lycéen que tu étais ?

RH : Heu...

LGR : Moi, cette chanson me rappelle les histoires au lycée, je me revois dans les couloirs…

RH : C'est très étonnant, parce que j'ai beaucoup d'affection, peut-être pas pour la chanson, mais pour ce qu'elle peut dire. Bien sûr c'est un moment important dans la vie des gens de 15 ou 16 ans. C'est là aussi où tout nait, quand t'entend un rythme de batterie de rock & roll, quand t'entends un son de guitare et que tu découvres le genre féminin, c'est une avalanche, c'est, whoaa, c'est fou. Je ne me moque pas du lycéen dans « Te revoir », je ne m’en moque pas.

LGR : Il faut être affectueux avec lui.

RH : Je pense.

LGR : Il nous a aidés à être ce qu'on est.

RH : Et puis surtout, comment dire, c'est comme ce que disait Desproges « il est con l'ennemi, il croit que c'est l'autre », mais en fait ça a été moi, et ça fait toujours partie de moi. Dans la vie, il faut arrêter de dire « ça y est, là je suis vraiment bien, là j'ai atteint la sagesse ou je ne sais quoi ». Ce n’est pas vrai, c'est des conneries, la vie c'est un trajet, tu changes et il n'y a pas mieux ou moins bien, c'est juste un changement. Et puis après tu clamses.

LGR : Si je te dis que « Tu vois loin », tu es d'accord ?

RH : Moi je ne sais pas. Je sais que Salomé, ma fille, à l'époque où j'ai écrit la chanson, elle voyait très loin, et elle voit toujours très loin.

LGR : Elle est partie loin aussi, elle a bien évolué aussi.

RH : Oui, oui, elle est à Séville, danseuse de Flamenco.

LGR : Si je te dis « Qu’ai-je donc à donner », penses-tu que plus la crise avance, plus on devrait offrir aux autres, s'offrir même aux autres, et délaisser le matériel ?

RH : Complètement. T’as tout compris. « Qu'ai-je donc à donner », je revendique totalement la chanson, et je me rends compte que, d'ailleurs, c'est qu'on ne la joue pas, parce que c'est un aveu d'impuissance sur ce que t'aimerais pourtant faire... alors je le fais, mais dans la proximité. Mais il y a toujours un moment, c'est peut-être l'époque de Tandoori, c'était encore l'époque où je pensais qu'en étant chanteur de Rock tu ne pouvais pas changer le monde. Ça je n'y ai jamais cru, mais changer, c'est aussi toucher les gens. Et puis ce qui est malheureux c'est quand tu as du succès comme sur À tout moment, tu commences à vraiment avoir du monde en face etc, tu te dis putain, les gens ont vraiment l'air de comprendre, de capter, mais c'est juste un effet de mode, ce serait ça ou la Lambada quoi…

LGR : On y reviendra, sur ce sujet. Pour continuer cette petite série, si je te dis « Je m'obstine » comment envisages-tu la suite pour toi comme pour les artistes indépendants dans le secteur musical ? On continue, on s'obstine ?

RH : Je n’ai pas de solution technique sérieuse. Mais ce dont je suis persuadé, et ça c'est positif... alors moi je m'obstine hein, je suis bélier ascendant bélier, je ne fais que ça, à l'heure actuelle, ça fait un moment que je le dis, mais là avec ce qui se passe en plus, je devrais absolument arrêter. Pour bouffer ça marche pas, je suis là je ne sais pas comment on fait pour avoir des interviews, payer des trucs, de machins... non on continue etc. Et de toutes façons, c'est malheureux, mais j'arrêterai pas, pas parce que je suis orgueilleux, c'est parce que c'est ce que je sais faire, et j'ai dix fois plus envie de le faire maintenant qu'il y a cinq ans, et il y a cinq ans, j'avais dix fois plus envie de le faire que cinq ans avant etc. Chez moi c'est un truc turgescent, c'est l'érection forever, j'ai vraiment envie de faire ça... et donc, par rapport aux solutions, parce qu’il faut pas parler que de soi, la seule chose que j'ai envie de dire à mes contemporains c'est « Le Streaming, c'est du vol ». C'était difficile de tourner avant le coronavirus parce que les tourneurs et subventionneurs ne filent plus d'argent pour les musiciens, ils filent de l'argent pour un petit chanteur, une petite chanteuse qui vient avec son ordi et son playback, c'est ça le truc, le deal, alors là avec le coronavirus, tu peux plus jouer du tout. Le problème c'est qu'en face, il y a des gens qui demandent à voir des concerts, ils demandent à voir des musiciens jouer, pas que des chanteurs, je n'existe pas moi si je ne joue pas avec un batteur ou une batteuse, tout le monde est important, il n'y a pas de hiérarchie pour moi, il n'y a pas l'auteur compositeur et puis les autres.

LGR : C'est même comme ça que vous marchez dans le groupe. Chacun a les mêmes cachets pour les concerts.

RH : Bien sûr, carrément, par contre on n'a pas tous le même rôle pour la conception. J'écris les chansons tout seul, les autres n'écrivent pas de chansons, ou alors ne veulent pas en écrire pour Eiffel. Mais je trouve que d'écrire des chansons, ce n’est pas plus important que de jouer de la batterie, de la guitare ou du triangle ou du pipeau. Tout est important, comme l'ingénieur light ou son... et donc je pense que du fait qu'il va y avoir un manque énorme, et pas que pour les musiciens, pas du fait de ne pas pouvoir jouer, mais du fait de ne pas pouvoir aller voir des concerts, j’espère que ça va se déplacer. Je suis contre un retour à la normale : « Je fais mon album dans une maison de disque, et je fais toute la promo et la tournée des SMAC, et si ça marche je fais un single et je joue au Zénith ». Ce modèle, c'est un modèle capitaliste croissant. On l'encule ce modèle, on n'en a rien à foutre et sans m'en rendre compte quand j'étais gamin je ne pensais pas comme ça, je disais ah ouais, on va jouer au Zénith, oh super, c'est chouette ! Ou allo maman, j'ai signé ! Mais en fait ce n’était rien. On avait des chèques, quoi... Mais maintenant non, maintenant je suis chez Seed Bombs music, notre petite boîte. J'estime que c'est pas du tout une descente aux enfers, ou être ringard, c'est difficile, mais l'honnêteté elle est vraiment là. Bon, ça a toujours été très honnête, Eiffel ou mon truc, artistiquement. Mais maintenant ça l'est même à tous les niveaux... Parce qu’il faut savoir que j'ai signé dans plein de maisons d'édition, pendant un moment, et ces maisons d'éditions, elles se sont faites racheter par d'autres maisons d'éditions, et puis finalement par des grands groupes, et tu te rends compte petit à petit que ce ne sont plus des maisons d'éditions, ce sont des fonds de pensions américains, qui dealent le pétrole et pire... par exemple, je ne te citerais pas de nom, mais je ne sais pas si certaines chansons comme « Tu vois loin » par exemple ne sont pas finalement, de fil en aiguille, éditées par des gens qui arment Daesh... Donc là c'est compliqué, tu joues au Trianon « Tu vois loin », tu as 50% des droits d'auteurs qui te reviennent, et le reste, PAF....  Et toi, t'es là, tu fais quoi ? C'est compliqué. C'est un peu une image, un peu exagérée, mais on n'est pas loin de ça.

LGR : De toutes façons il y a toujours une histoire de compromission quand on signe dans un grand label ou une major. Qu'est-ce qu'on peut encore faire soi-même ? Qu'est-ce qu'on va nous obliger de faire ? Justement certaines promos qu’on ne veut pas faire, ou certaines salles…

RH : Carrément, et moi je ne m’en rendais pas compte, et ça a été très difficile, et on y est arrivé, à garder une indépendance artistique dans tout ça. Par contre, je prendrais aussi l'exemple d'indés que je ne citerais pas où par indés je veux dire indés célèbres qui voulaient devenir des majors, donc tu finis par te dire putain, il ne faut pas être misanthrope... Moi finalement, dans ma manière de faire, j'ai toujours été indé.

LGR : Allez une dernière pour finir cette série : Si je te dis « Milliardaire » et Daniel Ek, le patron de Spotify, 2,5 milliards de dollars sur son compte, ça va, tant mieux pour lui ! Qui trouve que les artistes ne produisent pas assez et que c'est pour ça qu’ils ne gagnent pas assez.

RH : Je ne savais pas qu’il s’appelait Daniel Ek ce mec mais j’ai entendu cette phrase, c’est indécent de dire qu’il ne va plus falloir que les artistes fassent des albums mais qu’ils produisent tout le temps pour alimenter Deezer, Spotify, Apple qui ne paient pas ! C’est du vol donc il faut partir, mais tous ensemble, j’peux pas partir en tant que Romain Humeau, j’peux pas partir tout seul. Si on part tous, ce n’est plus la même.

LGR : Moi qui ai 40 ans, j’ai connu quand j’allais au Virgin pour écouter au casque 30 secondes des chansons qui me décidaient ou non à acheter un album, ce devrait être pareil sur les plateformes de streaming, on entend 30 secondes puis on achète ou non la chanson. Ce n’est pas un effort exceptionnel que d’acheter une chanson, c’est une envie, un soutien…

RH : Mais ça ne devrait pas être un soutien, ça devrait être la rémunération du travail. Je suis pour la rémunération du travail et non la rémunération du résultat. Si demain, je vends 2 exemplaires de Echos ou que j’en vends 1 million, Echos vaut le même prix… J’aime pas trop le principe du soutien, bien sûr qu’on peut faire du crowdfunding, moi je sais l’éviter. J’ai toujours milité pour que ça ne soit pas cher mais faut payer. A mes potes qui sont payés 1500€, 800€ ou 10 000€, je leur dis : « Mais imagine que du jour au lendemain, on te dise, tu fais le même taf mais t’es payé 5€... ». C’est ça qui se passe. En tout cas pour Daniel Ek, je sais pas comment on peut le laisser dire ça comme je ne sais pas non plus comment on peut laisser les médias publics ou privés joncher toutes les heures les informations de foot, je trouve ça indécent. Pourquoi on nous parle de foot tout le temps…

LGR : L’opium !

RH : Oui, mais bon, je sais pourquoi, la FIFA, c’est comme la Cosa Nostra. C’est une des plus grandes mafias au monde. T’imagines, on ne te donne que des nouvelles des voyous. C’est super, merci ! Et Dominique Strauss-Kahn, ça va ? Et ça maintenant, je trouve qu’il faut y aller, qu’on arrête de se foutre de notre gueule. Moi, là-dessus, j’trouve ça fou. Putain, on n’a qu’une vie. Qu’est-ce qu’on a à perdre.

LGR : Surtout, on n’a pas à la dépenser sur notre canapé…

RH : Ça, c’est le truc du cerveau comme ça, des escarres au cul et le bide qui déborde, avec un écran et une impression de liberté.

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LGR : Qu’est-ce que tu retiens comme moment le plus marquant dans ta carrière depuis Oobik and The Puks ?

RH : Le moment le plus marquant, c’est ma rencontre avec Estelle, ça c’est sûr. On a 23 ans, on est rmiste à Paris, on a une petite fille, mais on est sérieux dans ce qu’on veut faire. C’était super Paris à ce moment-là, on se baladait à 3 heures du matin, on ne se posait pas la question de savoir si ça craignait ou pas. Le déclic de monter un groupe avec Nicolas Courret, avec Fred Vitani et Estelle, puis après Damien Lefèvre. La ville Paris, moi qui lui en veux beaucoup mais qui a généré aussi beaucoup d’excitation. Et après, y a quand même les nineties, esthétiquement, musicalement, c’était quand même assez bandant. Les albums de Beck, de Björk, des Beasty Boys, de Nirvana, des Pixies, de Radiohead, de Supergrass… C’était fou, c’était le pendant fun de truc noir de Nirvana, ça avoinait. Et pas que le Rock, Cypress Hill, le Wu Tang, j’adorais ça, c’était mélangé, c’était assez open. Et nous, bon ça fait vieux con, hein mais ce qui était bonnard, mais t’arrivais en soirée, tu faisais ce que tu avais à faire en matière de paradis artificiels et après y avait la musique, l’objet, le CD, à burne sur des chaînes, maintenant, les mecs ils s’écoutent ça sur des petits trucs, ça ne fait plus de watts, alors que vas-y, à burne ! A 4 heures du matin, les fenêtres ouvertes dans Paris. Et le lendemain, t’allais répéter avec ton groupe, espérer choper une date dans un club où t’allais te faire baiser de 500 balles. A posteriori, j’m’en suis pas rendu compte sur le moment mais cette période-là était vachement bien. J’étais fou de Frank Black et des Pixies, et à ce moment-là, il a aligné des albums en groupe ou en solo, que des albums sublimes. En dernier lieu, l’idée de quand on est à Paris, comment faire pour embrasser cette ville, se faire reconnaître dans cette ville. On a serré des paluches mais avant tout, on a collé des affiches. J’ai le souvenir de groles dévastées par la colle, de la colle de merde. On partait à 22 heures, on revenait à 6 heures. Et après les gens disaient avoir déjà entendu parler de Oobik and The Puks ou Eiffel.

LGR : Tu sors ton cinquième album solo, si l’on compte le particulier Vendredi ou les limbes du Pacifique. Tu es toujours apparu en photo sur tes pochettes mais pas sur Echos, pourquoi ce revirement ?

RH : C’est Marie qui fait les pochettes, et en fait c’est tout bête, c’est que j’ai concrétisé la plupart des textes à New-York en mai 2019. Quand je dis New-York, c’est pas pour frimer, c’est un cadeau que nous a fait un pote. La photo, c’est le pont de Brooklyn. On est dessus, sur la pochette, tu regarderas, y a un petit point noir, c’est un hélicoptère. Y a cette petite chose d’ailleurs, que Romain Humeau ne soit plus lié à un visage. Parce qu’il y a ce problème-là, tu connais bien l’histoire, car Eiffel est plus connu que Romain Humeau mais ça va j’ai pas de problème d’ego. En revanche comme je vais surement faire plus de disques de Romain Humeau que d’Eiffel maintenant, pas par souci d’ego mais par envie de sonorités différentes, c’est juste ça. Du coup, y avait ce besoin, pas de moi mais autour, on me disait « mets ta gueule car les gens connaissent Eiffel et ta gueule mais pas ton nom ». Tu mets le nom et la gueule, ok on percute. Je l’ai fait, ça a donné ce que ça a donné, je le referai, probablement, de manière très différente. Là, je voulais le faire de manière éthérée. Puis, j’préfère être honnête, c’est pas un album, c’est une compile parce que ça utilise des B-sides de Mousquetaire I et II. Le titre "Echos", je l’ai écrit il y a un an et demi pour Vanessa Paradis. Elle n’a pas gardé la chanson, du coup je l’ai mise de côté. On m’a dit que je devrais la chanter, donc je l’ai chantée. Et puis j’ai terminé les chansons à New-York en mai 2019 et j’ai fini l’album pendant le confinement. J’ai écrit "Odyssée" il y a très peu de temps, c’était en février dernier. Donc c’est plus une compilation de titres ramassés. Ça ne veut pas dire que c’est pas important, c’est juste qu’on a l’habitude de faire des albums de 15-16 titres et longs.

LGR : C’est ce que j’ai remarqué aussi, la playlist de cet album me paraissait bizarre par rapport aux albums précédents et même par rapport aux constructions de ceux d’Eiffel. Je comprends mieux maintenant.

RH : C’est pas la même construction, c’est pas le même timing. Je ne sais pas si c’est réussi. Je sais que j’ai raté un truc, c’est « Vagabond ». Mais en tout cas c’est pas le même timing, il faut qu’en 9 chansons, en ce petit temps, il se passe des choses à plusieurs endroits. Je suis assez content car moi qui suis assez prolixe et bavard, là je fais un truc assez court et ça passe. Bam bam. Et ça me permet d’ouvrir sur la suite. J’ai 70 nouvelles chansons. Donc Echos, et c’est marrant que ça tombe pendant le coronavirus, car ça me permet de clore un moment. Je vais vers autre chose maintenant. Pas pour cracher sur ce qui a été fait, j’me bats pas contre moi-même, j’suis pas débile. Mais là, j’ai envie de faire les choses un peu différemment, ailleurs aussi. Il faut marquer le coup.

LGR : Tu me parlais tout à l’heure du succès de À tout moment, classé 16ème dans les charts. Foule Monstre a été classé 9ème. Après ça, il s’est passé 7 ans jusqu’à Stupor Machine. Entre temps, tu as fait des albums solos. Je comprends que tu as envie d’en faire plus en solo…

RH : Je sais pas si j’ai envie d’en faire plus en solo mais j’ai envie de faire différemment.

LGR : Il y a aussi le départ de chez PIAS suite à une relation pas rose, puis la création de Seed Bombs. L’effet que ça m’avait fait quand Foule Monstre avait bien marché, c’était que peut-être qu’Eiffel était en train de casser le plafond de verre et enfin se placer comme un groupe pop qui compte.

RH : Ce n’était pas possible. On aurait fait un autre Eiffel tout de suite après Foule Monstre, ça n’aurait pas marché. Tu veux que je te dise, en fait c’est tout bête : On a vendu 50 000 albums de A Tout Moment, et on en a vendu 27 000 de Foule Monstre.

LGR : Et avec un meilleur classement de Foule Monstre ! Comme quoi…

RH : On aurait fait un album en 2014 qui se serait appelé je sais pas J’aime pas les horloges, on en aurait vendu 10 000. On en aurait vendu juste un peu plus que j’en ai vendu moi en solo, j’en avais vendu 6 000 (ndr : pour Mousquetaire I). Je bosse avec Bernard Lavilliers en ce moment, il vendait un million d’albums dans les nineties, il en vend 70 000 maintenant… Ce n’est pas le fait que c’ait été Eiffel ou que j’ai fait des albums solos qui a été plus difficile. C’est la même chose pour tout le monde. Tout tombait, à ce moment-là. Et j’étais pas dupe. Quand il y a eu le succès de A tout moment, j’m’étais dit qu’il fallait faire autre chose. Et je trouve qu’on a bien fait avec Foule Monstre, c’est une autre proposition, y a des gens qui l’aime pas. Moi, j’suis super content de ce disque. Est-ce que ça correspondait vraiment à du Eiffel, car y a beaucoup de machines, moi j’étais dans mon délire à la Gorillaz. Et je pourrais l’être encore. Je suis un fan de Rock. Mais je sais pertinemment que faire que ça, c’est débile. Ça ne m’intéresse pas. En revanche, de revenir à ça des fois, j’adore. J’pense l’avoir prouvé, j’ai fait 800 concerts comme ça. J’ai fait plein d’albums et je dis pas que c’est fini. J’ai envie de jouer vachement live, sans machines. En fait, t’es en train d’écouter parler un mec qui sait pas trop. Ce sont des questions que je me pose. Quand on est un groupe, il faut peut-être savoir ne pas continuer pour continuer, ce qui n’est pas le cas pour l’instant, et puis si demain on fait un album d’Eiffel, j’peux te dire que ce ne sera pas continuer pour continuer. C’était déjà le cas pour Stupor Machine. La question était posée, on l’a fait et c’est un album honnête. C’était un groupe qui avait envie de faire un disque. Mais faut pas se dire : « Ah oui, Eiffel, c’est là, donc c’est dans le paysage » parce que je le sens un peu le truc quand même. Stupor Machine, les fans le trouvent super, les médias s’en branlent, PIAS ne l’a pas travaillé. On a pas vendu plus de Stupor Machine chez PIAS que de Mousquetaire II chez Seed Bombs. On en a vendu 3 700, dans notre petite boîte à capital de 500€. C’est ça Seed Bombs, c’est tout petit.

LGR : C’est ça, pourquoi avoir peut-être plus ailleurs alors qu’on peut faire mieux tout seul…

RH : Hé ouais !

LGR : Les maisons de disques sont finies. En gros, PIAS ne fait plus que de la distrib’ d’Américains.

RH : Je ne sais même plus ce qu’ils font. J’ai pas eu un mot d’eux depuis le coronavirus, pas un mot, pas un mot adressé aux artistes. Notre contrat est fini depuis août. Pas un mot, rien. C’est complétement dingue. Alors qu’en 2010, ils me disaient « Romain, tu vas voir… » A tout moment est monté haut, ils étaient contents. Ça et Miossec, c’était bon. Mais je ne suis même pas écœuré. J’les emmerde, voilà, tristes sires…

LGR : Tu as toujours été un fervent défenseur de la variété avec un grand V, qui est souvent mal vue, presque comme un gros mot, comme une insulte même pour certains. Là avec l’avènement du rap français, genre qui se vend le plus en ce moment. Ne penses-tu pas que la variété est perdue dans la masse et dans la masse du streaming notamment ? A-t-on même perdu la culture de la variété ?

RH : Mais la culture tout court. Les gens n’écoutent plus de jazz, de musique classique ou baroque, ou de musique afro ou latino ou je ne sais quoi, non les gens écoutent le truc du moment. Le streaming, ce n’est pas qu’une perte financière, c’est une perte culturelle, c’est un no man’s land.  

LGR : C’est aussi une perte de curiosité, cette culture « algorithmée ». C’est le logiciel qui nous propose quoi écouter, et plus l’inverse.

RH : C’est incroyable cette manie qu’a l’être humain de vouloir se robotiser. C’est bizarre. Y a des gens, ils occupent leur temps comme ils veulent mais moi, non, pas comme ça. C’est comme les gens qui parlent d’économie toute la journée, c’est merveilleux, ces mecs sont des chevaux de trait, ça devrait être nos esclaves et pas l’inverse. Ce sont des basses besognes pour moi, ce n’est pas noble. C’est ma vision des choses, elle est un peu trash peut-être mais j’dis ça en interview, on me dit « il est taré ». Excusez-moi, je préfère parler de Bruegel, Botticelli et David Bowie que de parler du CAC 40. Pour moi, parler du CAC 40, c’est comme comparer nos étrons.

LGR : C’est pire que de parler du néant.

RH : Et y a des gens qui ne parlent que de ça en costard cravate à longueur de journée sur BFM TV. Je les admire tant ils sont chiants à mourir. Je suis dur là-dessus.

LGR : Mais tu fais bien. J’espère qu’on pourra se recroiser dans de meilleurs moments, de meilleures conditions. 

L'album Echos est disponible à l'achat dans la boutique en ligne de Seed Bombs Music

1 Echos
2 Cherry Gin
3 P'tite faille dans l'espace continuum temps
4 Tryin' to be a girl
5 Sauve-toi, sauve-moi
6 Odyssée
7 Vagabond
8 Pretty Girls in a B.W.W
9 L'art de la joie

crédits photos :
carrée : Yann Orhan
corps de texte : Benoît Peverelli



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